3. 2. 1. Cambier, un missionnaire de légende 1 , fondateur de la mission du Kasaï

L’installation des Scheutistes au Kasaï se situe à la fois dans le cadre de la politique léopoldienne de la « belgicisation » des missions au Congo et de la « lutte contre l’hérésie protestante et l’influence anglo-saxonne ».

E. Cambier
E. Cambier

(source, ARCCIM)

À l’origine lointaine de la venue des missionnaires catholiques au Kasaï se trouve un personnage que l’histoire religieuse officielle a souvent occulté ; il s’agit du capitaine de Macar, commandant à Luluabourg. En effet, celui-ci adresse, le 10 juillet 1887, une lettre au Pape au nom du « du plus puissant des chefs Bachilanges, Kalamba , de sa famille et de ses sujets »qui sollicitaient le baptême 2 .

En février 1891, Cambier rentre inopinément en Belgique pour faire connaître les besoins de la mission. Il entame un cycle des conférences sur la maladie du sommeil 3  ; il donne une conférence devant la Société antiesclavagiste et se plaint auprès de Léopold II des difficultés dressées à l’encontre de la mission par les agents de l’E.I.C. Il retourne au Congo en juin 1891, accompagné d’un couple particulier de fonctionnaires : le comte Ernest d’Userl, 25 ans, et son cousin le prince Henri de Croy, 31 ans, ayant comme destination Luluabourg.

Il a reçu ordre de Jérôme Van Aertselaer, son supérieur général, « d’accompagner ces nobles rejetons à destination et d’y fonder la mission que le comte Maurice Ramaix s’était engagé de financer.

L’ordre de Van Aertselaer résultait d’une demande de la mère du comte Ernest, qui désirait que son fils ne manque jamais de secours de la religion et puisse se confesser en tout temps » 1 .

Mais en attendant de son supérieur local, F. Huberlant, l’ordre formel de se rendre au Kasaï, Cambier reste sagement à Moanda se consacrant pendant quelques mois à construire des bâtiments pour la Mission. Cet ordre est donné le 27 août, 1891. Cambier est affecté pour la nouvelle fondation avec le jeune Jan De Gryse 2 .

Sans délai, il se met en route ; s’étant adjoint De Gryse à Boma, il s’engage le 3 septembre sur la route des caravanes. Arrivés à Léopoldville, les deux missionnaires s’y embarquent, le 7 octobre, pour le Kasaï. Tombé gravement malade, De Gryse doit s’arrêter à Berghe. Cambier continue seul le voyage vers Luebo, qu’il atteint le 5 novembre. S’étant remis en route, à pied, il arrive à Luluabourg le 14 novembre. Finalement le 7 décembre 1891, il établit sa résidence à Mikalayi, à 12 km au Sud de Luluabourg. La mission Mikalayi-Saint-Joseph est née. Le 21 décembre, De Gryse le rejoint, mais il doit regagner la côte quatre mois plus tard. Cambier restera seul jusqu’à ce qu’il reçoive de l’aide en la personne de J. Garmyn, à la fin de l’année 1892.

Déjà en mars 1892, Cambier et De Gryse se trouvaient à la tête d’une population de 255 personnes qui leur étaient dévouées et qui se préparaient à devenir chrétiennes. Les petits enfants, au nombre de 88, étaient déjà baptisés 3 . Il convient à ce niveau, de préciser comment Cambier a constitué sa première armée de travailleurs et ses villages chrétiens.

Depuis qu’il s’était installé à Luluabourg, le 7 décembre 1891, Cambier n’avait recruté aucun catéchumène de la région. Il vivait avec son « petit boy, Ngôma, 7 ans », venu avec lui de la côte. Pour bâtir sa première case à Mikalayi, Cambier, ne pouvant pas compter sur les « travailleurs » de la station d’État, recrute, à titre temporaire, quelques trente personnes qu’il paye en « mitakos » 1 .

Le 11 janvier 1892, Le Marinel, commandant du poste d’État de Lusambo, informe le prince de Croy, chef de la station de Luluabourg, qu’une caravane des commerçants cokwe devait passer dans sa région. Informations prises, le prince apprend que ces Cokwe campent, avec cinq cents esclaves, à trois heures de marche du poste. Une expédition est organisée à la tête de laquelle se trouve un certain Doorme. Les Cokwe sont battus, Doorme ramène à la station 307 prisonniers libérés.

Ces hommes et ses femmes sont livrés à la mission où Cambier et De Gryse les prennent en charge et les font travailler. Le 4 avril, deux mois et demi après la délivrance de ces esclaves, Cambier écrit : « Une rue compte déjà 55 habitations, une autre en a 22 et 10 cases entourent notre logis. Un hangar de 30 mètres de long abrite nos scieurs de long, charpentiers, menuisiers et forgerons. La scie circulaire, le soufflet de forge, le tour, la forge, tout cela est mû par une grande roue actionnée par une courroie fabriquée avec la peau d’un bœuf. J’ai tanné moi-même cette peau avec l’écorce très astringente d’un arbre du pays » 2 .

Cambier continue à peupler sa mission avec des esclaves « libérés » qu’il achète sur place ou que lui cède l’État. Ses « amis », les chefs locaux, lui offrent aussi quelques esclaves. En 1897, Cambier avait un « peuple de 1.600 Noirs et dont plus de 1.000 sont baptisés » 3 .

Notes
1.

Ce titre fait allusion à l’excellent article de VELLUT, J.L., « Émeri Cambier (1865-1943), fondateur de la mission du Kasaï. La production d’un missionnaire de légende », in HALEN, P. et RIESZ, J. (éds), Images de l’Afrique et du Congo/Zaïre dans les lettres françaises de Belgique et alentour. Actes du colloque international de Louvain-la-Neuve (4-6 février 1993), Bruxelles, 1993, p. 39-74. Cet article donne des informations sur le personnage de Cambier et sur les débuts de la mission de Scheut au Congo.

2.

Lettre de MACAR , Cf. supra.

3.

VELLUT, Émeri CAMBIER. Correspondance du Congo…, p. 30.

1.

MARCHAL, op.cit., vol. 2, p.170. Le prince Henri de CROY deviendra le chef de la station d’État à Luluabourg, tandis que son cousin Ernest d’Ursel meurt le 9 janvier 1892 après réception de l’extrême onction des mains du père Jean DEGRYSE, compagnon de Cambier à Luluabourg. S’interrogeant sur la raison pour laquelle la mère d’Ernest d’Ursel ne voulait pas que son fils manque de confession, MARCHAL écrit : « Un ami scheutiste du Kasaï m’a dit un jour que ses collègues sur place racontaient que le comte avait été relégué au Congo pour avoir, en janvier 1891, tué le prince héritier Baudouin en le surprenant avec sa femme au lit. Il mourut de méningite, écrit son biographe, dans les bras de son cousin de CROY, commissaire de district de Luluabourg. Mais les fonctionnaires se trouvant dans les environs racontaient que celui-ci avait empoisonné son cousin. Le prince semble par ailleurs avoir considéré sa mission au Congo comme terminée après la mort du comte. Il se déclara malade et séjourna plusieurs mois à Berghe-Sainte-Marie… », p. 170.

2.

BONTINCK, « Les débuts des missions… », op.cit., p.124.

3.

DIEU, L., Dans la brousse congolaise…, op.cit., p.86.

1.

DIEU, L., Dans la brousse congolaise…, op.cit., p. 82.

2.

DIEU, op.cit., p. 88

3.

SEGHERS, MCC, 1897, p.536.