3. 2. 4. De Clerq chez les « mangeurs de chair humaine »

Les épisodes du récit de voyage du Père De Clerq sont eux aussi publiés dans Missions en Chine et au Congo. La description des escales faite à Mangaï, Lubwe et Nzonzadi, semble un peu plus développée.

Le Stanley, au bord duquel il a pris place depuis Berghe, comme nous l’avons déjà indiqué, arrive à Mangaï le mercredi 20 décembre 1893 à 4 heures du soir. Les deux agents de la S.A.B. trouvés sur place « se plaignent de ne pouvoir acheter que très peu d’ivoire, bien que les éléphants soient très nombreux dans la région ». Le missionnaire de Scheut justifie cette difficulté. Il est vrai, dit-il, que « le poste n’existe que depuis six mois, que les indigènes n’ont pas tort d’aimer mieux se reposer à l’ombre de leurs bananiers, que de courir la forêt, avec la perspective d’être broyés d’un seul coup de trompe » 3 . Il affirme que les noirs de la région de Mangaï ne sont pas paresseux car le manioc abonde ici et les cultures de maïs, d’ignames et de bananiers sont soignées dans la perfection. À l’esprit de travail les gens de cette contrée joignent l’industrie : leurs couteaux de parade sont ingénieusement façonnés, leurs flèches artistement ajustées et leurs tissus « en fibre d’ananas ou de palmier » travaillés avec finesse. Les cases de ce pays ont un toit plus aigu, plus élevé et couvert des larges feuilles d’une plante aquatique tandis que les parois sont fermées par des feuilles de palmier étroitement entrelacées 1 .

La flottille part de Mangaï le 21 décembre au matin. Elle arrive le soir à « un poste militaire établi récemment par l’État, au confluent d’une petite rivière » 2 . Cette station, « très soignée, abrite, sous des chimbecks propres et coquets, six soldats noirs commandés par un autre noir originaire des possessions portugaises, et répondant au nom mélodieux de Domingo » 3 . De Clerq décrit ce Domingo :

Au service de l’État depuis dix ans, maître Domingo, faute de pouvoir se débarrasser de sa peau noire et huilée, a tâché de se hausser d’autre façon au niveau des Européens : il porte un veston noir, pantalon gris, chemise blanche, bottines lacées. D’ailleurs, il ferait un sergent très convenable, n’était que son fez rouge très incliné sur l’oreille, et des jambes qui flageolent souvent n’indiquaient un goût très prononcé pour le délicieux malafou que fournit la contrée. – Et que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ? – formulait jadis le lièvre du bon La Fontaine – pourrait dire Domingo, alors qu’il n’y a point d’ennemis à combattre, et qu’on ne voit figure blanche que tous les deux mois ! 4

Le scheutiste insiste sur la consommation du « malafou » qui est le sport favoris des gens d’ici : « D’ailleurs, dit le missionnaire, l’aimable Domingo n’est pas le seul dans son cas. À la visite que nous faisons au chef du village, nous trouvons ce monarque assis devant sa case, à côté de sa lance fichée dans le sable, et passablement pompette, lui aussi. Brave homme, du reste, grand ami de notre capitaine et protecteur de Domingo » 5 . Grâce à Domingo, les voyageurs peuvent se procurer « poules, chèvres, arachides, maïs, malafou ». Ces douceurs viennent à point, car Mère Amalia se trouve assez indisposée, une autre Sœur s’est à peu près empoisonnée par mégarde, Père Hornaert a la fièvre, un Bangala se meurt.

Le Stanley et son équipée passent la nuit à Lubwe, la station de maître Domingo. Le vendredi, 22 décembre, au matin, tous les malades de la veille vont beaucoup mieux. Le Bangala qu’on disait « agonisant hier soir mange avec appétit de cannibale une large tranche de viande fumée » 1 . Le steamer peut donc continuer son parcours. Vers 9 heures, il arrive à Nzonzadi, « siège d’un autre poste de la S.A.B., non loin de l’embouchure de la Loange » 2 . C’est ici « qu’à sa descente de Loulouabourg, P. De Deken a philosophiquement attendu, durant quatre semaines, que le Stanley vint le prendre pour le descendre à Léo. Il a donc eu le temps de parcourir les environs qu’il nous décrit, de chasser la pintade et l’hippo, de capturer des poissons électriques, de s’amuser beaucoup et de s’ennuyer très fort » 3 . De Clerq présente le poste : « Au point de vue sanitaire, la factorerie paraît très bien située ; au point de vue commercial, c’est autre chose : l’ivoire n’abonde pas, l’éléphant se fait rare, et le nègre paresseux préfère à la chasse le plaisir de savourer un succulent morceau de chair humaine, comme en témoignent de nombreux crânes exposés dans le village à l’admiration des passants » 4 . Cadenas approvisionne le bateau en bois et celui-ci peut repartir vers 10 heures en destination de Bena-Bendi. Le séjour au pays de Ding orientaux est donc terminé.

Notes
3.

DE CLERQ, « Relation de voyage… », op.cit., in MCC., p. 460.

1.

DE CLERQ, op.cit., p. 460.

2.

DE CLERQ, op.cit., p. 460. Il s’agit du poste de Lubwe.

3.

CLERQ, op.cit, p. 460.

4.

Ibidem.

5.

Ibidem

1.

Ibidem

2.

DE CLERQ, op.cit., p. 460.

3.

DE CLERQ, op.cit., p. 460-461.

4.

CLERQ, op.cit, p. 461.