3. 2. 7. Tentative d’érection d’une mission près de l’embouchure de la Loange

À la fin de l’année 1898 ou au début de 1899, depuis sa résidence de Berghe-Sainte-Marie, Van Ronslé écrit au Gouverneur général pour solliciter l’établissement, le long du Kasaï, d’une série de postes de Mission permettant de relier le Bas et le Haut-Kasaï. Parmi les sites présumés, il désigne la proximité de l’embouchure de la Loange.

Répondant à la requête, le Vice-Gouverneur Général signifie à Van Ronslé qu’il l’autorise, à titre provisoire et sous réserve d’approbation par le Gouvernement Central, à établir des Missionnaires à « proximité de l’embouchure de la rivière Luanji, affluent du Kasaï, sur des terres vacantes faisant partie du domaine de l’État. Il lui demande aussi de lui faire parvenir, aussitôt que les missionnaires seront sur place, quelques renseignements complémentaires  » 3 .

Peu après, Cambier qui, apparemment, n’était pas au courant des démarches entreprises par Van Ronslé, demande, lui aussi, au Gouverneur Général la permission d’établir trois nouveaux postes de mission : l’un dans les environs de Wissmann Falls, l’autre sur la Haute Loange et le troisième à l’embouchure de la Loange. En ce qui concerne ce dernier site, il écrit le 7 août 1899 au Gouverneur Général :

‘Monsieur le Gouverneur, ’ ‘Notre Congrégation de Scheut projetant d’établir une mission à l’embouchure de la rivière Loanjé, je viens humblement faire appel à votre haute protection pour en obtenir l’autorisation.
L’emplacement de la nouvelle mission n’étant pas encore choisi, il m’est impossible de donner, pour le moment, les indications requises pour la demande d’occupation.
J’ose, néanmoins, espérer que cette demande sera bien accueillie par votre excellence, que je prie de bien vouloir agréer nos sentiments de reconnaissance et respectueux hommages » 4 .’

Cette missive est transmise au Gouverneur Général, le 18 août 1899, par Monsieur Lekeu, commissaire de District et capitaine commandant de 1e classe. Le Vice-Gouverneur Général, E. Wangermée, répond à Cambier  à partir de Boma, le 30 octobre 1899. Il lui indique que l’établissement des missionnaires de Scheut à proximité de l’embouchure de la Loanjé a déjà été autorisé à titre provisoire (lettre à sa Grandeur Mgr. Van Ronslé , en date du 24 février 1899, n° 888h). Il ajoute que « vu la nécessité de créer dans l’avenir, un poste en cet endroit, vous voudrez bien reporter votre installation un peu en amont de façon à ce que son extension ne vienne pas serrer de trop près le nouveau poste à créer 1 .

Le principe d’érection d’une nouvelle mission était donc acquis ; mais sa mise en application était soumise à l'avis du commissaire de district qui était sur le terrain.

Le Gouverneur Général, Fuchs, requiert l'accord du commissaire de district parce qu'à cette époque certaines parties de cette « région sont encore troublées » 2 . Les archives consultées ne nous indiquent pas quels étaient les avis et considérations du commissaire de district. Nous savons simplement que l’érection d’une mission à proximité de l’embouchure de la Loange ne s’est pas faite dans les années qui ont suivi immédiatement l’autorisation provisoire obtenue par les Scheutistes.

Le projet est encore évoqué en 1901 à l’occasion de la demande par Mgr Van Ronslé de l’érection de la Mission Indépendante du Haut-Kasaï. Dans la lettre écrite à Boma, le 23 février 1901, destinée au Supérieur Général des Scheutistes en vue d’être transmise au Cardinal Préfet de la Propagande, Van Ronslé demande que le Kasaï soit détaché du reste du Vicariat de l’État Indépendant du Congo. Présentant cette partie appelée à l’autonomie, il écrit :

‘Dans la région en question, le premier Poste de mission a été fondé vers la fin de 1891. Actuellement on y compte cinq Postes. À bref délai on réalisera le projet de la fondation d’un sixième poste dans l’agglomération des populations de Lusambo, en outre pour répondre à l’appel d’Européens négociants et planteurs qui désirent voir s’établir les Missionnaires à proximité de leurs établissements et leur prêter de l’aide, il a été décidé en principe qu’on établirait des stations religieuses à Ngalikoko et dans la région de la Rivière Loanje, le manque de personnel seul ayant empêché l’exécution jusqu’à présent ; […]3

Le désir d’établir un poste de mission chez les Ding orientaux, près de la Loange, est resté présent dans l’esprit des missionnaires de Scheut en attendant les circonstances favorables à sa réalisation. Ces circonstances se présenteront en 1908, lorsque la Compagnie du Kasaï (CK) fera appel aux Missionnaires pour « soigner les corps et les âmes de leurs travailleurs » de Pangu.

Les racines de l’évangélisation du bassin du Kasaï et du pays des Ding orientaux sont indissociables de la politique religieuse menée par le roi Léopold II dans l’ensemble de l’État Indépendant du Congo. Cette politique consistait à favoriser le catholicisme et les congrégations missionnaires d’origine belge. Les missionnaires de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie, communément connus sous le nom de Missionnaires de Scheut (ou Scheutistes), ont été les premiers à avoir accepté les sollicitations du roi qui désirait confier à ses compatriotes, le travail « d’évangélisation et de civilisation » de son empire africain. C’est après avoir écarté les Spiritains français et limité l’influence des Missionnaires de Mgr Lavigerie que les Scheutistes belges prennent progressivement possession du Vicariat de l’État Indépendant du Congo érigé pour eux, en 1888, par un décret du Pape Léon XIII.

Les Scheutistes installent leur premier poste à Berghe-Sainte-Marie, lieu stratégique au confluent du fleuve Congo et de son plus grand affluent, le Kasaï. Ce site avait, quelques années auparavant, fait l’objet d’une querelle entre les Spiritains et les Pères Blancs de Mgr Lavigerie.

À partir de Berghe-Sainte-Marie, les Missionnaires de Scheut vont essaimer en amont du fleuve et dans la vallée du Kasaï grâce aux moyens de transport disponibles à l’époque, les steamers. Au Kasaï, Émeri Cambier fonde, en 1891, près de la rivière Mikalayi et non loin du poste d’État de Luluabourg (crée par Von Wissmann en 1884), la première mission baptisée Luluabourg Saint Joseph. C’est donc en empruntant le cours du Kasaï pour rejoindre Luluabourg que les missionnaires rencontreront le pays des Ding orientaux. Cette région populeuse où la nourriture abonde, les Scheutistes la jugent, dès 1898, digne d’abriter un poste de mission. Ce projet d’implantation chez les Ding orientaux, près de l’embouchure de la Loange, ne s’est pas réalisé immédiatement. Il a fallu attendre jusqu’en 1908 pour voir les premiers missionnaires s’établir à Pangu, chez les Ding orientaux.

Entre-temps, d’autres événements s’étaient produits dans le Kasaï, évènements qui vont d’une manière ou d’une autre retarder ou accélérer l’érection de Pangu. Il s’agit de l’érection de la Mission autonome du Haut-Kasaï, de la création de la Compagnie du Kasaï (C.K.) par le décret royal du 26 décembre 1901 et de la « Question Congolaise » ( c’est-à-dire de l’ensemble des contestations élevées en Europe et en Amérique contre Léopold II. Celui-ci était accusé d’exproprier les indigènes, de les réduire en esclavage, de les mutiler, de les tuer et d’incendier leurs villages en vue d’obtenir l’ivoire et le caoutchouc ). La maladie du sommeil qui faisait des ravages dans la région de Pangu servira de prétexte à l’invitation des Scheutistes par la C.K.

Notes
3.

Lettre n°888h du GG. du 24 février 1899 , ARCICM, O.II.c.1.12.2.

4.

A.M.B.A.E., Archives Africaines, dossier n° M.42 (570) 62, III.

1.

A.M.B.A.E., Archives Africaines, dossier n° M.42 (570) 62, III.

2.

Les premières grandes rébellions des autochtones contre l’établissement de l’ordre colonial sont qualifiées de « révoltes  de Batetela ». C’est la mutinerie des soldats de Luluabourg, en 1895, au Kasaï, qui inaugure une décennie d’insécurité dans toute la partie est du Congo. C’est de cette insécurité dont parle le Gouverneur FUCHS.

3.

APF, FNS, Vol. 238, n° 357, (copie)