3. 1. 2. Les Presbytériens américains à Luebo

On se souvient que G. Grenfell est le premier missionnaire protestant ayant remonté le Kasaï et le Sankuru. Son expédition n’a pas abouti à l’établissement d’une mission dans la région. Il fallait attendre l’arrivée des presbytériens américains pour qu’une première mission protestante s’établisse, en 1890, à Luebo, au Kasaï.

Ces Presbytériens viennent du Sud des États-Unis. Leur idée d’implanter des missions au Congo remonte à des années en arrière avec l’intuition missionnaire de J. Leighton Wilson ( 1809 à 1886).

En effet, celui-ci, diplômé du Séminaire de théologie de Columbia, est envoyé au Libéria et au Gabon par le Conseil américain basé à Boston. Il œuvre dans ces deux pays de 1834 à 1853. En 1853, il devient secrétaire du Conseil presbytérien des missions étrangères où il sert jusqu’en 1860 1 .

Avec le déclenchement de la Guerre de Sécession, l’Église presbytérienne se divise en deux camps. Wilson se range dans le camp sudiste. Il devient secrétaire du Comité exécutif des Missions Étrangères de l’Église presbytérienne du Sud des États-Unis. Il travaille donc, pour le compte des Missions étrangères, de 1861 à 1866, en Caroline du Sud puis à Baltimore, au Maryland. Il fonde le périodique «  Le Missionnaire » 2 . Wilson jouera un rôle essentiel dans les premiers efforts pour envoyer des missionnaires au Congo. Pour lui, trois raisons justifient que les Presbytériens aillent au Congo.

D’abord, l’intérieur de l’Afrique est considéré comme sain et économiquement productif. Ensuite, les voies navigables devraient, pense-t-il, faciliter la communication et propagation de l’Évangile. Enfin, la langue indigène serait un instrument facile pour répandre l’Évangile 3 .

Wilson estime que l’intérieur offre « des résultats meilleurs et plus rapides » que la côte de l’Afrique occidentale 4 . Il croit aussi que l’Église presbytérienne du Sud a une responsabilité spéciale dans l’évangélisation de l’Afrique. Il note que la Providence a donné au Sud une culture et une société dans lesquelles les blancs et les noirs partagent une existence commune, bien qu’inégale. Cet héritage commun rend l’Église capable de mener à bien une mission en Afrique 5 . C’est en vertu de ces principes que Wilson lance, dans son rapport annuel de 1881, un appel pour une mobilisation des missionnaires presbytériens pour l’évangélisation du Congo 6 .

L’appel de Wilson n’est pas immédiatement suivi d'effet parce qu’il est intervenu en un moment où, dans les États esclavagistes du Sud, ceux qui prônaient la supériorité de la race blanche, évoquaient la possibilité de renvoyer les Noirs en Afrique. Certains presbytériens du sud estimaient même que la première étape de ce retour en Afrique serait d’envoyer des missionnaires noirs américains là-bas. Ceux-ci représenteraient une tête de pont pour des millions de Noirs américains qui les y suivraient. Dans un tel contexte, l’appel de Wilson ne pouvait que susciter des appréhensions 1 .

C’est seulement à la fin des années 1880 que le premier candidat missionnaire presbytérien du sud se présente. Et, curieusement, il est Noir américain ! Il s’agit du révérend William Sheppard 2 . Il demande, dès 1888, à l’Église presbytérienne du Sud de l’envoyer comme missionnaire en Afrique. Pendant deux ans, les autorités religieuses tergiversent, elles ne veulent pas laisser partir Sheppard là-bas, s’il n’est pas accompagné d’un supérieur blanc. Cet aspirant missionnaire blanc se présente en 1890. Il s’appelle Samuel Lapsley, cadet d’un an de Sheppard.

Les deux hommes se mettent en route. Ils passent par Bruxelles où Lapsley rend visite à Léopold II.

En mai 1890, Sheppard et Lapsley arrivent au Congo. S’étant entretenus avec des missionnaires expérimentés au Stanley Pool, les deux jeunes révérends pasteurs décident d’établir la première mission presbytérienne du Sud tout en haut du fleuve Kasaï. Ils s’installent à Luebo sur la Lulua.

Au début de 1892, Lapsley se rend à Boma pour régler certaines affaires de la mission. Il ne reviendra plus au Kasaï car, pris d’une fièvre hématurique alors qu’il se trouvait sur la côte, il succombe le 26 mars 1892 à Underhill. Sheppard reste pendant quelques mois seul au Kasaï.

La région dans laquelle travaille Sheppard est limitrophe du pays des Kuba. Le pasteur noir américain tente obstinément de nouer des contacts avec ces Kuba, peuple qui était « fier de ses propres traditions culturelles et religieuses et était, pendant de nombreuses années, indifférent au travail de la mission. En plus, le roi Kuba ne voulait pas de blancs dans son pays » 1 . Sheppard est fasciné par l’art Kuba dont il collectionne des objets. Il prend des notes ethnographiques sur les Kuba et d’autres populations de la région du Kasaï. Il consigne les mythes ancestraux, les rites et les rendements des récoltes. Il réprouve certaines pratiques telles que les sacrifices humains ou le fait de tuer les femmes considérées comme sorcières. Son jugement à l’égard des coutumes africaines reste équilibré et respectueux.

En cette année 1892, il réussit l’exploit de s’introduire dans la capitale royale de Kuba. Le roi Kot a Mbweeky II menace de lui couper la tête, mais quand il s’aperçoit qu’il est noir et que les anciens ont déclaré qu’il est un esprit réincarné de l’ancien roi Bope Mekabé, Sheppard est finalement accepté. Il séjourne quatre mois à la cour du roi des Kuba. Il y prend de nombreuses notes dont il se servira pour l’élaboration de son livre titré Presbyterian Pioneers in the Congo 2 .

Les presbytériens du Sud, embarrassés de se trouver avec un Noir de facto à la tête de leur nouvelle mission du Congo, envoient, en 1893, d’autres presbytériens blancs : Margaret et George Adamson, De Witt C et May Snyder, Margaret et John Rowbotham. Un autre groupe de missionnaires, Blancs et Noirs, arrive en 1896 : Lucy Gantt (nouvelle femme de Sheppard), Maria Fearing, Lillian Thomas et Henry P. Hawkins. Un blanc, Samuel Verner, et un noir, Joseph Phipps, arrivent un peu plus tard à Matadi le 1er juin 1896.

Alors que la plupart de ces nouvelles recrues travaillent efficacement pour la mission, Verner devient plus intéressé par des entreprises commerciales et scientifiques, soutient le régime de Léopold et se révèle être une déception et un embarras pour la Mission 3 .

Avec l’arrivée de William M. Morrison en 1897, le travail apostolique se précise peu à peu et commence à se concentrer autour du peuple Luba à Luebo.

Depuis sa fondation en 1890, la Mission presbytérienne a conservé son siège à Luebo. Jusqu’en 1912, le gouvernement de l’État du Congo et les missionnaires de Scheut s’efforcent de contrecarrer les tentatives de presbytériens de s’étendre au-delà de la région de Luebo et leur petit poste d’Ibanji. Néanmoins, avec le transfert du Congo à la Belgique en 1908 survient une occasion sans précédent d’expansion. En 1912, les protestants américains fondent le poste de Mutoto ; en 1913, ils s’établissent à Lusambo ; enfin ils ouvrent le poste de Bulape en 1915, au cœur du pays Kuba, et le poste de Bibaanga en 1917, au centre du pays Luba.

Ainsi, en 1918, les presbytériens du Kasaï gèrent cinq postes, chacun ayant une multitude d’avant-postes couvrant un vaste territoire. Cette expansion du protestantisme au Kasaï inquiète sérieusement les missionnaires catholiques et même les instances romaines. Elle influencera la politique des Scheutistes chez les Ding orientaux et les déterminera à abandonner cette région périphérique aux Jésuites pour se consacrer à endiguer « l’hérésie protestante » au cœur de leur fief du Kasaï.

Notes
1.

BENEDETTO, Presbyterian Reformers..., op.cit., p. 5-6.

2.

Idem, p. 6.

3.

BENEDETTO, op.cit., p.6.

4.

WILSON, J.L., « Central Equatorial Africa. A New Field for Missionary Effort” in The Catholic Presbyterian, N° 1, 1879, p. 260-266.

5.

WILSON, cité par BENEDETTO, Presbyterian Reformers..., op.cit., p. 6.

6.

Idem, p. 6.

1.

BENEDETTO, op.cit., p. 7.

2.

Né en Virginie en 1865, Sheppard fréquente l’institut Hampton de cet État, un des rares établissements d’enseignement supérieur ouverts aux Noirs du Sud. Après avoir poursuivi ses études au séminaire pour gens de couleur de Tuscaloosa, en Alabama, il devient pasteur presbytérien à Montgomery et Atlanta. HOCHSCHILD, Les fantômes du roi..., op.cit., p. 184.

1.

BENEDETTO, op.cit., p. 7.

2.

SHEPPARD, W., Presbyterian Pioneers in Congo, Presbyterian Committee of publication, Richmond, 1916.

3.

BENEDETTO, op.cit., p. 7-8 ; HOCHSCHILD, Les fantômes du roi…, op.cit., p. 185.