3. 2. 3. La commission accuse les missions catholiques (1905)

En ce qui concerne les Missions catholiques, le rapport de la commission n’est pas du tout tendre, surtout à l’endroit des Jésuites du Kwango. Il critique particulièrement les fermes-chapelles et les colonies scolaires. Il reproche aux Jésuites d’opérer des recrutements forcés des enfants et de les retenir dans les missions contre leur gré, de maltraiter ces enfants ( mise aux fers, peine de la chicotte, etc.) et d’exercer une tutelle étroite sur les habitants des missions et des fermes-chapelles 2 .

Ce rapport épargne les Scheutistes qui, comme nous l’avons vu, avaient aussi des choses à se reprocher dans leur conduite vis-à-vis des « indigènes ».

La publication de ce rapport cause un émoi profond dans les milieux catholiques en Belgique. Les accusations contre les missions catholiques restent incompréhensibles et cachent, pour les missionnaires, d’autres intentions inavouées : « On constata, écrit Léon Dieu, avec stupeur que, par un étrange renversement des rôles, ceux qui avaient plaidé la cause du droit et s’étaient efforcés de protéger les Noirs, étaient eux-mêmes accusés de les exploiter et de les maltraiter » 3 .

Les catholiques voient derrière ces accusations la main des Francs-maçons et des protestants anglo-américains. C’est ainsi qu’au Kasaï, ils prendront parti pour la C.K. contre les presbytériens qui accusaient la compagnie de maltraiter les populations.

Dans cette affaire, les protestants se sentaient plus proches des « opprimés », c’est-à-dire des Noirs. D’abord, ils n’étaient pas cités dans le rapport. Ensuite, ils pouvaient se vanter d’être les premiers à avoir rendu publiques les exactions commises par le régime de Léopold II et par les compagnies concessionnaires.

Mais cette philanthropie des protestants ne peut pas être expliquée simplement par l’innocente charité évangélique. D’autres facteurs doivent être pris en compte.

En premier lieu, les protestants du Congo n’étaient pas d’origine belge. Ils étaient considérés, dans le cercle des blancs du Congo, comme une minorité étrangère capable de nuire aux intérêts de la Belgique et de son roi. A ce titre, les Belges nourrissaient des soupçons à leur endroit. C’est peut-être pour affirmer leur existence et leur différence, qu’ils ont pris fait et cause pour les Africains.

Deuxièmement, sur le plan financier, les protestants n’attendaient pas grand chose de l’État léopoldien. Jusqu’en 1909, les subsides annuels réguliers accordés par l’État aux sociétés missionnaires n’avaient guère dépassé le montant de 2.500 francs pour les Baptistes anglais qui, seuls, en bénéficiaient. Les autres missionnaires protestants ne recevaient aucun subside de l’État. Les sommes importantes allaient aux missionnaires catholiques belges qui, non seulement jouissaient de subsides réguliers, mais aussi de l’assistance extraordinaire et des fonds dits spéciaux 1 . Cette indépendance financière des protestants vis-à-vis de l’État léopoldien peut aussi expliquer leur esprit critique et leur liberté d’action.

Troisièmement, les protestants, surtout ceux du Kasaï, s’étaient gardés de tisser des liens privilégiés avec les Compagnies commerciales. Ils essayaient d’organiser leur apostolat missionnaire en dehors des influences du commerce et plus tard de l’industrie. Cette distance leur a permis de tenir un discours critique contre les abus de ces compagnies sans craindre d'éventuelles représailles. Les missionnaires catholiques, les Scheutistes du Kasaï particulièrement, étaient tellement impliqués dans le système léopoldien et dépendants des sociétés commerciales qu’ils n’ont pas pu s’apercevoir des abus commis contre les Noirs et les dénoncer.

Les protestants, dans leurs écrits et leurs déclarations, n’ont pas manqué de fustiger le silence sinon la complicité des catholiques dans cette fameuse « question congolaise » 2 .

Notes
2.

MUKOSO, op.cit., p. 190-191.

3.

DIEU, L., op.cit., p. 260-261.

1.

Voir AMBAE, M. 610, A/II/3.

2.

Lire les lettres de Morrisondans BENEDETTO, op. cit., p. 54-246.