4. LA MALADIE DU SOMMEIL ET LE CHANGEMENT DE LA STRATÉGIE MISSIONNAIRE AU KASAÏ ( 1902-1914)

Nous avons précédemment évoqué la maladie du sommeil comme un des principaux facteurs ayant entraîné la suppression de la mission de Berghe-Sainte-Marie. Ici nous verrons que cette maladie constitue une des causes de l’implantation des Scheutistes à Pangu, chez les Ding orientaux 2 .

Berghe-Sainte-Marie, nous le savons, était le passage obligé de tous les missionnaires à destination du Kasaï. C’est probablement à partir d’ici que l’épidémie s’est propagée le long du Kasaï jusqu’à sa partie supérieure à la faveur de fréquentes circulations des steamers et des hommes. Nous pouvons estimer que la maladie a atteint la Mission du Kasaï avant 1896. Dans un rapport envoyé cette année-là à la Propagation de la Foi, Cambier signale qu’il a érigé deux dispensaires, un hôpital, un lazaret pour les maladies contagieuses 3 .

À cette époque, on croyait, comme nous le verrons plus loin, que la maladie du sommeil était aussi contagieuse que la tuberculose et qu’il fallait isoler les patients. C’est ainsi qu’est née l’idée des lazarets ou hôpitaux pour les « dormeurs » 1 .

En 1902 Cambier fait aménager une île de la Lulwa dans laquelle il isole les malades du sommeil. Il la dénomme « Louvain-Alma-Mater » 2 . Deux fois par jour, une Sœur descend vers l’île des dormeurs.

En 1906, un hôpital pour dormeurs est construit à Hemptinne-Saint-Benoît, sur une colline voisine à la mission. Il est séparé du village par un petit ruisseau.

D’autres hôpitaux et lazarets seront progressivement érigés dans le Kasaï. Parmi eux nous retiendrons celui de Lusambo Saint-Trudon et celui construit par la CK à Pangu.

Pour multiplier et entretenir les hôpitaux et essayer d’enrayer la maladie, Cambier sait qu’il a besoin de ressources. Il adresse, en 1905, à la presse du monde entier, sa fameuse « Lettre sur la maladie du sommeil ». Cette lettre plaide la cause « des derniers malheureux entre tous les malheureux, ces squelettes ambulants qui semblent, à les voir sommeiller, dormir déjà de leur dernier sommeil. Dans la clairière défrichée de l’île, on compte déjà soixante-dix tertres ; et pour le moment, trente-cinq pauvres attendent l’instant où leur voisins, couchés sur le même grabat, pourront dire d’eux qu’ils ne souffrent plus » 3 .

La missive de Cambier décrit en des termes poignants la gravité et les affres de cette maladie dont nul ne connaît ni l’origine ni le moyen de combattre. Le sort de ceux qui sont atteints par cette sorte de peste de temps moderne est pitoyable :

‘Il est huit heures du matin… Déjà ceux qui sont encore plus robustes parmi ces infortunés se sont traînés au dehors, pour réchauffer sous les caresses du soleil leurs membres engourdis par la nuit froide et brumeuse de la saison sèche. D’autres ont gagné le tronc d’un arbre couché par terre, s’y sont assis, et se sont endormis bientôt après. Les uns s’étant posés la tête finissent par perdre l’équilibre et tombent à la renverse. Les autres, ployés d’abord en avant, leurs mains prenant appui sur les genoux, s’effondrent bientôt, la face première, sur le sol. Quelques malades de la même catégorie se sont adossés au mur, à quelque pieu de la palissade, et là, les genoux à demi pliés, les bras ballants, les yeux ouverts, ils dorment debout, jusqu’à ce que la fatigue les fasse s’écrouler, sans leur arracher pourtant ni plainte, ni gémissement. Si on négligeait alors de les éveiller, ils resteraient sur place et seraient, comme tant d’autres malheureux chassés ou perdus dans la brousse, foudroyés par le soleil de midi. D’autres malades déjà moins robustes recherchent plus avidement encore la chaleur du soleil naissant. Mais n’étant plus maîtres de leur équilibre, ils font un violent effort pour avancer de quelques pas, et vont s’abattre de tout leur poids contre la muraille, une palissade, la terre nue, voire même contre d’autres malades. Maintes fois, quand nous nous rendons au lazaret pour la visite du matin, nous trouvons la porte obstruée par un monceau d’hommes impuissants à se relever. Un premier malheureux s’étant échoué sur le seuil, d’autres on buté contre l’obstacle, et là ont formé une lamentable grappe de corps entrelacés, tandis que des gémissements, des pleurs convulsifs, des cris de rage vont porter au loin les accents d’une détresse aux abois. Sommes-nous au dernier terme de la misère ? Pas encore. Les malheureux que je vous présente maintenant sont-ils encore vivants ? L’œil pourrait s’y tromper. Voyez ces os saillants comme ceux d’un squelette ensaché dans la peau ; ces yeux fixes, exorbités ; ces narines large ouvertes pour aspirer un peu d’air ; ces lèvres encroûtées, agglutinées par le feu de la fièvre ; cette bouche gangrenée d’où s’échappe une salive jaunâtre coulant en filets sur la poitrine décharnée : ce sont nos dormeurs de la troisième catégorie. Et maintenant écoutez encore. J’ai abordé de pauvres créatures portant des plaies hideuses sur les membres. Par moments un mouvement convulsif anime ces épaves humaines dont les bras voudraient s’agiter pour éloigner une nuée de mouches s’acharnant sur des chairs putrides. Ils feront effort pour se redresser et leurs dents desserrées laisseront passer deux mots : « Blessures, feu » ; et à bout de force ces malades s’effondreront à nouveau à nouveau sur la natte. Avez-vous compris ? C’est l’histoire de centaines et de centaines de malheureux qui, sans le savoir, ont poussé un pied, une jambe, un bras dans le feu qui brûle au milieu de la case, et qui, vu leur faiblesse, ne sont pas parvenus à le retirer. Et c’est dans cette effroyable position qu’on les retrouve, parfois après des heures, parfois après toute la nuit, les membres atteints ne présentant plus que des chairs noircies boursouflées, cuites jusqu’aux os 1 .’

Cambier décrit aussi la longue agonie des dormeurs, la folie furieuse qui s’empare d’eux au stade avancé de leur maladie au point qu’ils peuvent même exercer les pires cruautés sur leurs compagnons. Il conclut que «  La maladie du sommeil ne connaît ni limites, ni faveurs ; elle n’épargne ni sexe, ni âge ; elle fauche toujours et est bien autrement meurtrière que les plus épouvantables catastrophes » 2 . Il en appelle donc à la compassion et à la charité universelle : « La maladie du sommeil décime les villages, dépeuple les contrées, est en train d’anéantir des races entières. Et nous pourrions ne pas crier à nos compatriotes, crier au monde, à l’humanité tout entière : « Pitié pour ces malheureux. Pitié, et sans tarder ». Non, jamais. Ces hommes sont nos frères, et nous devons plaider leur cause, nous devons faire connaître leurs souffrances au monde entier, car le monde entier a le devoir de compatir à pareille infortune. […] Si le Congo réserve aux peuples des richesses, ces peuples ont cependant tout le devoir de s’intéresser au sort malheureux, souverainement malheureux, de leurs frères du Congo. Il nous faut un hôpital digne de ce nom, digne de ces innombrables victimes, digne de notre civilisation » 3 .

Si au début, les gens acceptent volontiers d’être internés dans ces « hôpitaux pour dormeurs » avec l’espoir d’y trouver la guérison, ils vont vite déchanter. Le mal était dans le pays et aucun remède n’était encore trouvé pour soulager les « dormeurs ». Les lazarets dans lesquels sont confinés nos pauvres malades se transforment en mouroir.

Une seule consolation pour les missionnaires, c'était qu’aucun de ceux qui étaient parqués dans ces « maisons de la mort » ne pouvait échapper au baptême in articulo mortis. Ces lieux lugubres deviennent ainsi, suivant une expression anaphorique de l’époque, des « vestibules du Paradis » 1

Les suspicions et les rumeurs commencent alors à circuler parmi les natifs à propos de l’eau de missionnaires (l’eau de baptême) qui précipite les malades à la mort et achève ceux qui agonisent. Les malades redoutent donc le baptême et plus tard « l’extrême onction ». L’île des dormeurs et les lazarets du Kasaï se vident. On cache les malades à l’approche des missionnaires. Pour continuer à peupler les « vestibules du Paradis », Cambier trouve une idée originale : donner un petit coupon d’étoffe aux indigènes qui amenaient leurs malades 2 . La pratique de l’achat des « dormeurs » en vue du baptême est donc née. Elle va bientôt faire tache d’huile à tel point qu’au 1er juillet 1909 les Scheutistes du Kasaï avaient acheté au total 9.972 personnes. Ce total se repartit comme suit : Saint-Trudon de Lusambo (là où les malades de la région de Pangu étaient acheminés avant 1908) 5.497, Mérode 2.567, Mikalay 1.145 et Hemptinne 763.

Presque 10.000 baptêmes de malades du sommeil au Kasaï, c’était à peu près un cinquième de tous les baptêmes catholiques administrés au Congo au 1er juillet 1909 3 .

Les soins aux « âmes des dormeurs » confèrent désormais aux missionnaires une aura qu’ils n’avaient pas auparavant. Ils sont considérés comme spécialistes éprouvés de la maladie du sommeil. Les Sœurs de la Charité de Gand sont particulièrement admirées à cause de leur dévouement à soigner les « dormeurs ». Certaines d’entre elles payeront de leur vie cet apostolat auprès des malades 4 .

La documentation, pour l’instant, à notre disposition ne nous permet pas d’établir clairement à partir de quelle époque la maladie du sommeil apparaît chez les Ding orientaux. L’établissement par la C.K. d’un hôpital à Pangu nous donne une indication déterminante. Celui-ci est réalisé en 1905 pour soigner sur place les malades du sommeil qui, jusque-là, étaient conduits à Lusambo. La certitude que les Ding orientaux concernés par cette terrible maladie, allaient à Lusambo, chef-lieu du district de Lualaba-Kasaï, nous est donnée par deux sources : une circulaire du Vice Gouverneur Général, F. Fuchs et une lettre du Père Baerts. La circulaire de Fuchs est ainsi libellée «Lusambo recevra des malades du district. Au cas où il aurait trop de malades, il pourrait en être envoyé un certain nombre à Kabinda, après avoir prévenu en temps opportun le médecin directeur de ce lazaret » 1 . Or à cette époque le territoire de Ding orientaux faisait partie du District du Lualaba-Kasaï.

Le Père René Baerts indique, quant à lui, qu’avant l’établissement de l’hôpital de Pangu, les dormeurs étaient invariablement dirigés sur Lusambo : « Des malades atteints du sommeil, notre lazaret est encore peu fourni, et pour cause. En effet, rien n’est malaisé comme de faire dévier un courant. Or, avant l’établissement de Mpangu, les dormeurs étaient invariablement dirigés sur Lusambo, et aujourd’hui, c’est encore cette mission plus ancienne qui recueille les malades de nos parages » 2 .

Il apparaît donc qu’avant 1905 la maladie du sommeil sévissait dans la région de Pangu. Si nous acceptons l’hypothèse selon laquelle cette maladie se serait répandue au Congo à partir de la côte occidentale, nous pouvons penser qu’elle avait atteint les Ding avant de sévir dans le Haut-Kasaï. À part cette indication laconique que nous venons d’évoquer, nous n’avons pas de données sur l’expansion de la pandémie dans cette zone.

Mais nous pouvons dire avec certitude que ce fléau, à l’instar d’autres épidémies comme la variole, se serait répandue à partir des rivages du Kasaï à la faveur de nombreux mouvements de populations consécutifs au développement du trafic sur cette dernière rivière. En 1908, Van Der Linden fait allusion à cette maladie dans la région comprise entre Eolo et Mangaï :

‘Jusqu’à présent je n’ai guère pu prendre contact avec les indigènes. Les deux rives du Kasaï sont désertes. On aperçoit des noirs que sur les îles, où ils vivent dans la sauvagerie la plus primitive. Dès qu’ils voient notre steamer, ils se sauvent dans la brousse. Jusqu’à Mangue la région riveraine n’est presque pas habitée. De rares villages sont épars entre la Lukenie et le Kasaï. Un agent de l’état qui vient de traverser ce pays me dit qu’il y a trouvé beaucoup de chimbeks abandonnés. La maladie du sommeil a dû faire ici des terribles ravages. Au cours d’une excursion en baleinière aux environs d’un poste de bois, c’est par centaines que les mouches tsé-tsé volaient autour de nous 3 .’

Baerts signale, en 1910, la présence de « quelques cas » de la maladie dans les bassins moyen et supérieur de la Lubwe. Les cours des affluents du Kasaï – la Loange, la Lubwe, la Pio-Pio et la Kamtsha - ont été des voies privilégiées de la pénétration de la maladie vers l’intérieur des terres. Les rivages marécageux de ces rivières ont favorisé le développement de la tsé-tsé. Le rapport de la mission médicale antitrypanosomique du Kwango-Kasaï 1 et les cartes épidémiologiques de l’époque coloniale confirmeront que ce sont les zones forestières longeant ces rivières restent des foyers les plus infectés.

En tout cas, la maladie avait causé des dégâts considérables parmi les populations Ding orientaux et leurs voisins Ngwi, c’est du moins ce que témoigne l’administrateur de Luebo, Lode Attchten : « Les Badinga habitent un pays de galeries et de forêts. Ce sont des chasseurs assez frustes mais qui commencent, grâce à la propagande active, à s'adonner à la culture du riz et à la récolte des fruits du palmier. Ici encore comme chez les Banguli, avoisinant le fleuve la maladie a fait de grands ravages. Chez ces derniers l'état sanitaire est particulièrement mauvais, malgré une prospérité exceptionnelle » 2 .

La maladie du sommeil a été longtemps une préoccupation pour l’autorité coloniale belge et pour les missionnaires non pas, avant tout, pour des mobiles philanthropiques, mais pour la justification même de l’entreprise coloniale qui avait pour essence l’exploitation économique.

La littérature coloniale ne cesse de répéter que la dépopulation consécutive à cette épidémie aurait des conséquences irrémédiables sur le recrutement de la main d’œuvre et constituerait ainsi une menace à l’avenir économique de la colonie.

Parlant des conséquences de cette maladie dans la mission Jésuite du Kwango, le Père Thibaut écrit :

‘Depuis 1900, le terrible fléau qui menaçait de faire un désert du centre africain, commençait déjà de sévir. Il détruisit la plus grande partie de la population, presque toutes les réserves qui devaient constituer alors la portion adulte et, en particulier, le plus grand nombre de catéchistes. Sans les ravages de cette sinistre pourvoyeuse de la mort, les fermes-chapelles notamment établies quelques années plus tôt, seraient déjà devenues des villages chrétiens. Les enfants, recueillis auparavant, auraient pu former une population dense et laborieuse. Hélas ! en bien des endroits, c’était le désert. La dépopulation générale amena la multiplication des animaux sauvages, au point qu’à certain moment, il n’y avait plus de cultures possibles dans plusieurs régions de Mission. A cette époque, la médecine, surprise par la soudaineté et la nouveauté du fléau, se trouvait désarmée, sans moyens thérapeutiques un peu efficaces1.’

La médecine fut donc, au début, surprise et impuissante devant cette maladie, jusqu’alors inconnue en Europe. Jusqu’en 1903, les savants ignoraient le mode de transmission de cette infection. Pour illustrer cette ignorance, il suffit de lire l’arrêté du 26 août 1903 inspiré d’un rapport du Docteur Van Campenhout daté du 9 janvier 1903. Cet arrêté range la maladie du sommeil parmi les maladies contagieuses épidémiques. Pour endiguer ce mal qui ne cesse de faire des ravages dans la population, ce texte législatif impose les solutions proposées par Van Campenhout : isoler les malades, brûler leurs huttes, ou désinfecter les maisons dans lesquelles ils ont habité et brûler les toits de chaume de celles-ci, repeindre les murs, renouveler les parquets et les carrelages, faire cuire les aliments de toute la communauté, surveiller l’eau de boisson et la cikwangue et désinfecter tout ce qui est susceptible de l’être et qui aurait pu être en contact du malade, éloigner les cimetières, etc. Enfin – le seul point qui se justifie plus ou moins – interdire tout déplacement de voyage aux malades 2 .

Craignant les conséquences néfastes de l’épidémie sur l’avenir du Congo et comme d’autres colonies africaines étaient aussi confrontées au même fléau, les autorités belges vont joindre leurs efforts à ceux d’autres nations européennes pour chercher l’agent pathogène de la terrible maladie.

En 1902, la Royal Society de Londres envoie Aldo Castellani avec 2 collaborateurs à Kisumu, sur le lac Victoria, où sévit un foyer de maladie du sommeil, et Castellani isole chez ses malades un « streptocoque » qu’il considère comme l’agent causal de la maladie. La Royal Society ayant demandé du renfort au War Office, obtient la collaboration du Docteur et de Madame Bruce qui, en 1895, avaient montré le rôle d’un trypanosome dans une maladie de bétail en Afrique du Sud ( le nagana). Quand Castellani reçoit les Bruce à Kisumu, il leur raconte qu’il trouve chez ses malades des streptocoques qu’il considère comme les auteurs du mal et des trypanosomes assez rares, dans le liquide céphalo-rachidien auxquels il n’attache pas grand intérêt. Bruce est d’un avis tout différent. Il convainc Castellani que ce sont les trypanosomes qui provoquent la terrible maladie 3 . En juillet 1903, le Docteur Laveran annonce à ses collègues de Bruxelles « qu’il résulte des recherches de Castellani et Bruce qu’il y a chez les sommeilleux des trypanosomes qui seraient l’agent de la maladie » 1 . À ce moment, aucun traitement n’est connu, non plus que le rôle des tsé-tsé qui s’impose plus tard. La course est donc à la recherche du médicament. Après avoir procédé aux essais de plusieurs médicaments sur les malades, l’atoxyl, plus tard l’émétique et le tryparsamide se révèlent efficaces.

Nous savons que le premier envoi d’atoxyl arrive à Kisantu chez les Jésuites en 1908 2 . Nous ignorons quand les Scheutistes du Kasaï ont reçu ce produit. Nous pouvons supposer que c’est à partir de 1908 que les malades du Kasaï comment à être soignés par un médicament efficace. D’ailleurs, à partir de cette année, les lettres des missionnaires parlent de moins en moins de la maladie du sommeil.

Pour tous les missionnaires du Congo, la découverte du trypanosome et des médicaments pour le combattre constitue un vrai soulagement car le progrès de la maladie du sommeil et l’impuissance à l’endiguer, non seulement hypothéquaient l’œuvre même d’évangélisation mais aussi jetaient un discrédit sur la « science et la médecine » que les Sœurs et les Pères présentaient comme supérieures aux savoirs et aux thérapeutiques « indigènes ».

Au plus fort de l’épidémie, les autochtones se méfiaient des blancs, les accusant d’être à l’origine de ce mal. Van Wing note à propos de la Mission jésuite du Kwango : « La sympathie presque générale qui avait caractérisé la période antérieure fit place, à partir de 1904-1905 à une antipathie et même à une hostilité générale. L’idée que la maladie était due aux influences maléfiques des Blancs, donc aussi des missionnaires, s’était répandue dans l’opinion publique » 3 .

Les lettres de Cambier montrent qu’au Kasaï, on observait une recrudescence des pratiques « fétichistes et superstitieuses » 4 . Lorsque la science des « étrangers » ne fournit pas des réponses adéquates aux malheurs des « indigènes », ceux-ci retournent aux sources séculaires qui ont longtemps garanti l’ordre et la survie de leur société.

Cambier admet aussi que la maladie du sommeil a déclenché un grand mouvement de conversion, surtout parmi ceux qui étaient touchés par cette « peste des temps modernes » 5 . Les foules désespérées et moribondes, faute de trouver leur bonheur dans la vie présente, ne devaient-elles pas affluer vers les missions et recevoir le baptême pour espérer une place « au paradis » ?

Notes
2.

Contrairement à une opinion généralement admise attribuant la suppression de Pangu à la maladie du sommeil, les sources indiquent que cette maladie a été plutôt un prétexte évoqué par la C.K. pour inviter les missionnaires à s’établir à Pangu. La suppression de Pangu est due à d’autres facteurs que nous évoquerons au chapitre quatrième.

3.

Archives de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, Lyon, G.74.

1.

B.O., 1903 et 1909.

2.

DIEU, L., Dans la brousse…, op.cit., p. 117 ; MARIAULE, A., « Nganga-Bouka » « Médecin – Sorcier ». Le Père Cambier (1865-1943), coll. Lavigerie, Namur, s.d, p.131.

3.

MARIAULE, « Nganga-Bouka »…, p. 132.

1.

MARIAULE, op.cit., p. 133-134.

2.

Idem, p. 137.

3.

MARIAULE, op.cit., p. 137-138.

1.

DIEU, op.cit., p.140

2.

DIEU, op.cit., p. 118 ; MARCHAL, op.cit., vol. 2, p.201.

3.

MARCHAL, op.cit., vol.2., p. 201.

4.

La direction de l’hôpital de l’île des dormeurs est confiée à la Sœur Albania.CAMBIER fait l’éloge d’une religieuse qui, malade, ne veut pas rentrer en Europe, mais veut mourir près de ses Noirs : « Oh Père, dit-elle, Oh mon Père ! Non, je vous en supplie, ne me renvoyer pas, laissez-moi mourir près de mes Noirs ». Effectivement, quelques mois après la Sœur mourut près de ses malades. Pour Cambier, cette sœur est un de ces « anges terrestres incarnant la charité de Dieu », Discours de CAMBIER prononcé devant des Anciens Coloniaux, dans MARIAULE, op.cit., p.141-142.

1.

Il s’agit du Règlement coordonnant les mesures prises pour enrayer la maladie du sommeil et comminant des peines contre les contrevenants au dit règlement, B.O, 1910, p. 1029.

2.

BAERTS, R., « Lettre à un confrère », in M C C P, septembre, 1910, p.215.

3.

Van der Linden, F., op.cit., p. 147.

1.

SCHWETZ, Rapport sur les travaux de la mission médicale antitrypanosomique du Kwango-Kasaï, Goemaere, Bruxelles, 1924, p. 77. Nous reparlerons de ce rapport dans un prochain chapitre consacré aux Jésuites.

2.

LODE ACTTEN cité par Van BULCK, « Les Badzing dans nos sources de littérature ethnographique » in Congo, II (1934), p. 326.

1.

Thilbaut, Les Jésuites et les fermes-chapelles, Goemare, Bruxelles, 1911, p. 34.

2.

B.O, 1903, col. Voir aussi AMBAE, AIMO, 1903.

3.

MGANGA MLEFU, « La maladie du sommeil » in Revue congolaise illustrée, n° 6, juin 1960, p. 22-23.

1.

Idem.

2.

MUKOSO, op.cit., p. 181.

3.

Van WING, J., Les fermes-chapelles, notes rédigées en 1967, citées dans CIPARISSE, G., Les structures traditionnelles de la société mpangu, (1976-1977), p. 527-538.

4.

Archives de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, Lyon, G.74.

5.

MARIAULE, « Nganga-Bouka »…, p. 132.