5. 2. Début d’un nouveau cycle : l’économie huilière

Jusqu’en 1911, au Congo, l’industrie des produits oléagineux (l’huile de palme et palmiste) s’était cantonnée dans la région du Mayombe, vers l’embouchure du fleuve Congo. Les produits du palmier, exportées du Congo entre 1901 et 1911, sont restés, de l’avis de Genon, Administrateur-Délégué des Huilever, S. A., sensiblement stationnaires oscillant entre 1700 et 2300 tonnes d’huile de palme et entre 4000 et 6500 tonnes de noix palmistes 2 .

À partir de 1910, comme nous l’avons indiqué plus haut, l’administration coloniale fait face à une crise sérieuse, et le département des colonies s’attache à favoriser le développement des ressources nouvelles pouvant remplacer les produits sur lesquels était basée la richesse antérieure du Congo : l’ivoire et le caoutchouc. Les régions intérieures du Congo – celle des Ding Orientaux également – possèdent d’immenses palmeraies naturelles dont l’exploitation n’a pas encore été envisagée par suite de leur éloignement de la mer. Il ne peut guère être question d’exploiter ces palmeraies par « les méthodes indigènes primitives, qui gaspillent 50% de l’huile contenu dans le fruit. Il fallait créer de toutes pièces un organisme puissant qui serait disposé à introduire des méthodes nouvelles et à mobiliser d’énormes capitaux, avec certitude de ne pas pouvoir les rémunérer pendant des nombreuses années » 3 .

Le département des colonies se met en relation avec la firme bien connue, Lever Brothers Ltd., dont William Hesketh Lever est, à l’époque, le grand patron. Cette société possède déjà une fabrique de savon en Belgique, la Sunlight Soap 1 . Les négociations aboutissent à la constitution en 1911 d’une société belge, la S.A des Huileries du Congo Belge (H.C.B.) au capital initial de trente millions de Francs-or. Cette compagnie est chargée de mettre en valeur les palmeraies spontanées accordées en concession autour de cinq centres distribués le long du fleuve et de ses affluents. Au Kasaï les H.C.B. tentent de s’installer à Mangaï, mais déménagent rapidement pour des raisons que nous ignorons et s’installent dans sa concession de Sanga-Sanga (puis Brabanta) dans le territoire de Basongo, en amont de Pangu.

L’arrivée des H.C.B. intéresse les missionnaires de Scheut. Le Père Baerts commente :« À Sanga, à 3 heures de Pangu, Lever Brother commence une grande installation pour la récolte des noix de palme ; il pourra engager chez nous un millier de travailleurs. Il a déjà à Manghay, - où nous avons une école-chapelle, - un établissement. Comme il est encore peu développé, reste à voir si on lui donnera de l’ampleur jusqu’à y employer 1000 travailleurs, ou bien si on le supprimera pour développer l’autre » 2 .

Le ministère des colonies espérait que cette initiative servirait d’exemple et attirerait l’attention des milieux coloniaux belges sur les possibilités d’exploitation des produits oléagineux au Congo.

Effectivement, d’autres sociétés concessionnaires sont également créées ; après la première guerre mondiale, elles installent progressivement des huileries mécaniques dans leurs concessions et ensemble avec les H.C.B., elles exportatent de l’huile en vrac.

Tableau N°7 Quantité d’huile de palme et de noix palmistes exportée du Congo belge (1912-1935)
Années Huile de palme (en tonne) Noix palmistes (en tonne)
1912 1989 5895
1913 1974 7205
1914 2498 8052
1915 3408 11024
1916 3852 22391
1917 5409 35027
1918 5126 31363
1919 8000 37313
1920 7624 39457
1921 9006 45694
1922 10675 49262
1923 12418 54607
1924 14107 47477
1925 17047 59571
1926 16500 77836
1927 18832 74755
1928 26506 72548
1929 30296 75388
1930 36989 66356
1931 36583 47172
1932 38765 57935
1933 52454 62095
1934 45041 49295
1935 56000 (environ) 63000 (environ)

(Source : Genon dans Papiers Sidney Edkins, AHPM.R.A.C., Boîte 54.85.)

Citons, parmi ces nouveaux producteurs : SA de Culture du Congo Belge (CCB), la Compagnie du Kasaï (CK), la Compagnie du Lomami et du Lualaba, l’Institut National d’Etudes Agronomiques au Congo, la Société de Colonisation du Mayumbe, la Société Agricole du Mayumbe, la Société Egger Frères, etc. Les quantités d’huile de palme et de noix palmistes exportées se sont développées d’année en année, comme l’indiquent les statistiques du tableau n° 7.

Plus de 80% de la production d’huile de palme exportée au cours de ces années provenaient d’usines européennes, mais les noix palmistes extraites par les méthodes industrielles ne représentent que 35% environ des quantités exportées. Le solde, soit 35.000 à 40.000 tonnes provient de l’exploitation indigène.

Dans la région des Ding Orientaux et dans ses environs immédiats la CK se tourne, elle aussi vers les produits de l’elæis. Les noix palmistes constituent le premier de ces produits. Concasser les noix pour en retirer l’amande à vendre aux commerçants européens, devient la principale activité qui supplante la récolte de caoutchouc. Cette nouvelle activité est plus populaire et ne présente pas autant de contraintes que la collecte du caoutchouc. C’est ainsi qu’hommes, femmes et enfants se convertissent en vendeurs des amandes palmistes. Le travail est facile. Il suffit de ramasser, dans de nombreuses palmeraies de la région, les noix dont les pulpes se sont désagrégées, de les concasser sur une pierre et d’en retirer l’amande. Le système d’achat reste celui du caoutchouc. On recourt aux capita-acheteurs qui pratiquent le plus souvent le troc. Les amandes des noix de palme obtenues par les indigènes après concassage, sont acheminées par les porteurs jusqu’aux postes de la C.K. comme Pangu ou Lubwe et de là, comme le caoutchouc, elles prennent, par steamers, le chemin de Dima puis des marchés européens.

Les témoignages oraux confirment que les jeunes gens de l’époque, venant aussi bien des villages Ding que Lele, Wongo, Mbuun et Pende, affluaient vers Pangu, Lubwe et Mangaï pour acheminer les « coconotes »(amandes palmistes) et recevoir en retour du sel, quelques mètres d’étoffes ou quelques mitako 1 .

Quant à l’extraction de l’huile de palme, la C.K. la commence avec un outillage rudimentaire : « un hangar, une petite chaudière ou parfois un simple fût dans lequel cuisent les fruits, la bouillie des fruits est établie dans une grande natte de fabrication villageoise qu’on plie ensuite en deux. Accrochée par une extrémité à une poutre, la natte est tordue à la main et le jus est recueilli dans un récipient » 2 .

Le développement de l’économie huilière bien que rentable pour les capitaux coloniaux pose deux problèmes principaux : le recrutement de la main-d’œuvre, c’est-à-dire des « indigènes capables de grimper sur un palmier et de faire descendre les régimes de noix » 3 (les coupeurs) et la question de la propriété des palmeraies dites naturelles. Cette deuxième question est cruciale car elle renvoie à la problématique du droit foncier des autochtones.

Notes
2.

GENON, « L’industrie de l’huile de palme au Congo » dans Papiers Sidney EDKINS, Archives Privés du M.R.A.C, Boîte 54 (polycopie)

3.

Idem.

1.

Lire MUKOSO, op.cit., p. 240-248.

2.

BAERTS, op. cit., p. 213.

1.

Entretien avec MUKULUNDEKE, le 5 avril 1986 à Nsim Bawongo, alors que j’étais professeur d’histoire au petit séminaire de Laba.

2.

NICOLAÏ, op.cit., p. 322.

3.

MAMOKO, V., Occupation coloniale de l'entre Piopio-Loange « Pays Ding Mbensia » 1885-1931, Mémoire de licence en Histoire, IPN, Kinshasa, 1981, p. 77.