6. 1. Leo Frobenius, l’anthropologue

Le célèbre anthropologue allemand Leo Frobenius a effectué son voyage d’étude dans le bassin du Kasaï en 1905. Il part d’Anvers le 29 décembre 1904 ; il arrive à Boma le 18 janvier 1905 ; le 28, il se trouve à Kinshasa et le 2 février, il arrive à Dima, siège en Afrique de la Compagnie du Kasaï. Le 18 février, il part de Dima pour commencer son expédition dans la région du Kwilu.

Dans un article publié dans le M.G. de 1905, Frobenius indique que son voyage d’étude a bénéficié de l’intérêt du gouverneur Costermans et a été favorisé par la puissante Compagnie du Kasaï. Il précise le rôle de la CK dans la réussite de son expédition :

‘En quelque point de la portion du bassin du Kasaï appartenant à l’état Indépendant du Congo que nous nous rendions présentement, nous rencontrons partout l’appui le plus bienveillant de la compagnie unifiée, qui a bien voulu nous investir de pouvoirs très étendus. Nous avons été autorisés à prendre, contre bordereau, dans le magasin de chaque station, les denrées et marchandises nécessaires et à nous servir des steamers de la compagnie, et les connaissances linguistiques des agents de celles-ci, qui partout ont pu remplir nos questionnaires, nous ont été d’un précieux concours. Ce sont là les avantages considérables, dont nous avons su amplement tirer profit 1 .’

La bienveillance de la C.K. envers Frobenius n’était nullement désintéressée. Le fait de venir en aide à une mission scientifique rehaussait l’image de la compagnie qui, en cette période précise, subissait les attaques de Presbytériens. Dans l’opuscule de propagande publié en 1906 la compagnie se vante d’ailleurs d’avoir apporté « l’aide la plus efficace et la plus entière » à différentes missions scientifiques qui se sont rendues au Kasaï 2 .

L’expédition de Leo Frobenius, à bord d’un petit navire de quinze tonnes environ, remonte, pendant cinq jours, le Kwilu (Djuma) jusqu’à Mitshakila. Elle établit son quartier général à Mitshakila. Frobenius écrit :

‘Nous avons établi notre quartier général à Mitshakila du 23 février au 19 mai, et nous nous y sommes voués principalement à l’étude et à la description des différentes peuplades. Nous avons pénétré à cet effet dans l’intérieur, dans toutes les directions et à des distances de plusieurs jours de marche ; du côté de l’Est notamment, jusqu’à un cours d’eau encore complètement inconnu, la Kantsha qui, à l’endroit de son cours sis exactement à l’Est de Mitshakila, mesure 80 mètres de largeur3.’

D’après Van Bulck, Leo Frobenius longe « la crête montagneuse, frontière entre les Ba. Dzing et les Ba. Mbunda, en allant de Mitschakila à la Kantsha » du 10 au 19 avril 4 . L’ethnologue allemand n’aurait visité, comme on le voit, qu’une portion des Ding, notamment ceux du Sud-Ouest. Il n’aurait pas de contacts avec les Ding orientaux.

Ce voyage dans le Kwilu moyen a permis à Frobenius d’étudier les peuples suivants : Bayaka, Basamba, Bapindi, Bahungana, Bambala, Bayansi, Badinga et Balunda. L’allemand observe qu’en réalité ces populations se réduisent à trois groupes seulement. Les Bayaka, les Basamba, les Bapindi et les Bambala forme un seul bloc. Ils habitent un même espace géographique et leurs villages s’entrecroisent : « Au cours des incursions, dans quelque direction que ce soit, on rencontrera tout d’abord un village Bambala, puis deux village de Bapindi, puis un de Basamba, encore un de Bambala, puis trois de Bayaka, et ainsi de suite » 1 .

Les Bayansi et les Badinga sont, d’après Frobenius, « deux dénominations d’une seule et même peuplade » 2 . Ils doivent être considérés « comme le roc primitif, partiellement désagrégé ; en d’autres termes, ils sont les plus anciens de la région » 3 .

L’ethnologue ajoute :

‘Ils (Bayansi-Badinga) ne se retrouvent actuellement que dans le Dinga, sur le Kwango ; ils sont fixés depuis l’embouchure de l’Inzia, vers l’ouest, jusqu’au Loange et vers le nord, jusqu’au delà du Kasaï. Disons que les Balori de l’embouchure de la Kantsha, et les Banguli, qui déjà furent mentionnés sur les cartes de Wissmann, sont des Badinga. Ils se trouvent avoir été refoulés de toutes parts : du coté de l’ouest, du côté du sud où les Balunda les ont obligés à avancer vers le nord, du côté de l’est, où ils sont en lutte incessante avec les Bakongo et les Bashilele et doivent reculer toujours, et ils sont serrés de près aussi du côté du Nord4.’

Les Balunda constituent à eux seuls, le troisième bloc. Ils ont été les maîtres du vaste empire de Mwaant a Yav dont parlent Wissmann, Pogge et Büchner.

Curieusement, dans l’article publié dans le M.G., Frobenius ne fait pas allusion aux Mbuun (Bambunda). Mais il parle de ce peuple dans ses autres publications.

Les résultats de ses enquêtes, Frobenius les diffuse dans un ouvrage intitulé Schatten des Kongostaates. Bericht ueber den Verlauf der ersten Reisen der D.I.A.F.E. von 1904 bis 1906 1 . L’ethnologue écrit aussi des articles dans la revue Zeitschr. f. Ethnologie 2 .

Il donne quelques détails sur les Ding qu’il a pu visiter dans bassin de la Kamtsha. Il les accuse d’être anthropophages. Il indique que leur nourriture de base est différente de celle des Bayaka. Tandis que les Badinga se nourrissent du manioc transformé en cikwangue, les Bayaka consomment ce même manioc mélangé avec le maïs sous forme de « luku » 3 .

Frobenius affirme aussi qu’il n’a pas trouvé chez les Ding la passion de fumer le chanvre. Il s’étend longuement sur la description des cases indigènes.

Il insiste sur le contraste qui règne entre les Ba.Mbunda et les Badinga, gens de la savane opposés aux gens de la forêt 4 .

Après le Kwilu moyen, Frobenius visite, dans le Haut-Kasaï, les pays de Kuba et de Luba. Dans ces contrées, il rencontre Cambier.

En début de 1906, l’ethnologue allemand a de graves démêlés avec le Préfet apostolique du Haut-Kasaï. Le 14 février Cambier porte plainte contre Frobenius auprès du substitut du procureur Max Buchler à Lusambo, plainte du chef de diffamation : l’Allemand l’aurait accusé d’avoir tué une femme. La plainte semble être restée sans suite par manque de preuves.

Cambier harcèle l’Allemand. Il saisit un fusil mauser d’un de ses hommes parce que ce fusil n’était pas marqué par l’État. Il donne asile à deux Africains ayant abandonné Frobenius et refuse de les livrer au chef de secteur de Luluabourg, l’Italien Giovanni Boffano, auprès duquel l’ethnologue allemand a posé plainte contre eux du chef de désertion 5 .

Notes
1.

ANONYME, « L’exploration Frobenius dans la région du Kasaï », M. G., 1905, col. 358.

2.

ANONYME, Question congolaise. La Compagnie du Kasaï…, op.cit., p. 78.

3.

ANONYME, « L’exploration Frobenius...” in M.G., 1905, col. 358.

4.

VAN BULCK, « Les Ba. Dzing dans nos sources de littérature… », op. cit., p. 316-317.

1.

M.G., 1905, col. 358-359.

2.

M.G., 1905, col. 358.

3.

Idem, col. 359.

4.

M.G., 1905, col. 358.

1.

FROBENIUS, L., Schatten des Kongostaates. Bericht ueber den Verlauf der ersten Reisen der D.I.A.F.E. von 1904 bis 1906, Berlin, 1907, pp. 112-175.

2.

FROBENIUS, L., « Bericht ueber die voelkerkundlichen Forschungen“ in Zeitschr. f. Ethnologie, XXXVIII, 1906, pp. 736-741; „ Reisebericht aus Dima“, in Zeitschr. f. Ethnologie, XXXVII, 1905, pp. 767-770.

3.

FROBENIUS, Schatten des Kongostaates..., p. 161-162.

4.

FROBENIUS, Schatten des Kongostaates...,op.cit., p. 163.

5.

MARCHAL, op.cit., vol.2. p. 200 ; Lire aussi AMBAE, AE 199, liasse 2.