CHAPITRE QUATRIÈME
PANGU SAINT-PIERRE CLAVER 4 , EXEMPLE D’UNE RELATION AMBIGUË ENTRE MISSION ET COMMERCE : FONDATION, DÉVELOPPEMENT ET SUPPRESSION (1908-1919)

Pangu Saint Pierre Claver est la première mission catholique implantée chez les Ding orientaux et dans l’actuel diocèse d’Idiofa. Cette mission ayant été supprimée en 1919, son histoire est à peine connue des générations actuelles et risquerait de sombrer dans les ténèbres de l’oubli. Elle est aussi un de ces cas particuliers où commerce et mission ont fait bon ménage. Les difficultés financières de l’un ont entraîné le déclin de l’autre. C’est pour ces deux motifs que nous avons choisi d’approfondir, en deux chapitres, la connaissance de cette mission.

L’idée d’implanter un poste de mission près de l’embouchure de la Loange date de 1898, à l’époque où le Haut-Kasaï n’était pas encore séparé du Vicariat Apostolique du Congo. Il est certain que ce projet se situait dans la droite ligne de la lutte d’influence que Scheutistes et Presbytériens se livraient dans cette partie du Congo 1 . Pour les uns et pour les autres, la région située entre la Lubwe et la Loange, et particulièrement la zone de l’embouchure de cette dernière rivière, présentait les atouts nécessaires à l’érection d’un poste de mission.

Le décret royal de 1892 y avait créé les conditions favorables à l’implantation des compagnies commerciales. La région comprise entre la Loange et la Pio-pio offre en abondance les produits alors recherchés par les Européens : l’ivoire et le caoutchouc. Les factoreries sont fondées à Mangaï, Lubwe, Nzonzadi et Pangu pour « récolter » ces produits. Ces comptoirs ont besoin de nombreux travailleurs, prêts à se convertir au christianisme. Aussi le territoire de Ding orientaux devient-il non seulement une région économiquement intéressante, mais aussi une zone potentiellement apte à recevoir la semence de l’évangile.

Toutes les conditions naturelles attractives pour l’implantation d’un poste de mission semblent être remplies. Cette contrée se situe non loin de l’embouchure de la Sankuru. Un poste érigé ici servirait de relais entre les bateaux du Kasaï et ceux de la Sankuru. La Loange, elle-même, offre la possibilité d’explorer et d’évangéliser les régions situées plus au sud. En aval, la Lubwe constitue aussi une voie de navigation pouvant mener à la découverte des populations de régions méridionales.

Du point de vue démographique, tous les témoignages de cette époque attestent d’une population nombreuse et disposée à faire du commerce avec les Blancs 2 . Les ressources alimentaires y sont abondantes : le gibier de chasse, les poissons, le vin de palme, le maïs, le manioc (cikwangue), etc 3 .

Enfin, une grande partie des terres de cette région avait été déclarée « terres vacantes » d’après les textes réglementaires de 1885-1886. Pour garantir la sécurité des biens et des personnes, l’État avait installé dès 1893, un poste à Lubwe 4 .

Malgré tous ces avantages, les tentatives d’implanter une mission à l’embouchure de la Loange resteront sans effet jusqu’en 1905. Cette année-là, la C.K. entame des pourparlers avec Cambier pour étudier la possibilité de confier aux missionnaires la direction de l’hôpital alors en construction à Pangu.

Notes
4.

En septembre 2003, j’ai visité le site où, il y a aujourd’hui 96 ans, avait été érigée la mission scheutiste de Pangu (ou Mpangu) Saint Pierre-Claver ou Pangu Hôpital. Le lieu est, aujourd’hui, une forêt sauvage sur la rive gauche du Kasaï. À première vue, rien n’indique qu’ici s’étaient, autrefois, élevés une chapelle, une résidence pour les Pères, une école, un hôpital et un camp de travailleurs. Aucun mur, aucune croix, à peine quelques débris de briques cuites, quelques manguiers et des palmiers alignés et perdus dans la jungle tropicale, témoignent encore de cette mission qu’on ne peut désormais connaître qu’en écoutant les rumeurs de la tradition orale et en fouillant les archives. J’aurais eu de la peine à croire les explications de mes guides, si jamais auparavant je n’avais lu quelques articles et observer quelques photos dans les revues missionnaires. Il est simplement impossible à un néophyte de s’imaginer qu’en ce lieu redevenu sauvage, pendant onze ans, de 1908 à 1919, douze missionnaires de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CCIM) se sont « esquintés à ajuster tenons et mortaises, à mesurer linteaux et chambranles » et à prendre hardiment leur « bâton de missionnaire, missionnant pour aller visiter les villages, enrôler les recrues, encourager les catéchumènes, bref se dépenser au salut de pauvres noirs, faire pure œuvre de missionnaire et de propagandiste ». On n’oserait à peine croire qu’il y avait ici, au bord du Kasaï, un port où de nombreux steamers venaient accoster et qu’un Ministre des colonies en personne, Monsieur Renkin, et sa femme y avaient débarqué, un certain 7 juin 1909 pour visiter « la Mission rudimentairement installée, l’atelier de charpenterie et de menuiserie et les autres œuvres » des pères. Et pourtant, telle est la réalité que révèlent les différentes sources et particulièrement le Journal de la Mission tenu avec une régularité exemplaire par les différents supérieurs qui se sont succédés à Pangu.

1.

Cf. supra.

2.

Cfr. supra : De Macar, De Deken, etc.

3.

Idem

4.

Nous avons déjà indiqué qu’en réalité la raison primordiale de l’installation du poste par Lemarinel était économique : la collecte de l’ivoire pour le compte de l’État.