1. LES NÉGOCIATIONS ENTRE CAMBIER ET LA COMPAGNIE DU KASAÏ

Rappelons quelques faits pour fixer les circonstances qui ont déterminé les Scheutistes à s’établir à Pangu en 1908.

La C.K. est créée en décembre 1901 et c’est au courant de cette année que le Kasaï est érigé en Mission autonome détachée du Vicariat de l’État Indépendant du Congo. En 1902, un accord intervient à Bruxelles, entre le Supérieur des Scheutistes et la Compagnie. En vertu de ce contrat, les missions du Haut-Kasaï mettent « leurs travailleurs » à la disposition de la C.K. pour assurer le transport de paniers de caoutchouc et d’autres marchandises. Cambier établit des relations de « confiance » sinon de « complicité et de dépendance » entre la C.K. et les Scheutistes du Kasaï. C’est ce que nous avons appelé le « système Cambier ».

La Compagnie se met à financer l’établissement des Missions et l’entretien des œuvres. En 1904, les Kuba mènent une rébellion contre les abus et les exactions des agents de la Compagnie. Ce soulèvement est mâté par les troupes de l’E.I.C. Certains missionnaires de Scheut prennent position contre les « insurgés », tandis que d’autres préfèrent se murer dans le silence. Les presbytériens américains, notamment Morrison et Sharpperd, dénoncent les abus commis par la C.K. en territoire Kuba. Une longue polémique va donc opposer la Compagnie et les protestants américains réputés être proches de la Congo Reform Association. Cette dernière association, animée par Morel, était elle-même en guerre contre les abus de l’État léopoldien 1 .

À partir de 1905la Compagnie du Kasaï, citée dans le rapport d’enquête régentée par Léopold II, est constamment chahutée par les protestants anglo-américains. Elle cherche alors à se dédouaner de l’image d’une société qui massacre les noirs à cause du caoutchouc. Elle veut se présenter comme une entreprise philanthropique soucieuse du bien-être de ses « travailleurs indigènes » 1 . Elle a, pour se donner cette image de marque, besoin de la caution des missionnaires de Scheut qui, à cette époque, ont la réputation de bien organiser leurs écoles et leurs hôpitaux.

L’offre de la Compagnie devait plaire aux Scheutistes. Ceux-ci avaient besoin des moyens financiers et de la protection de la Compagnie pour faire progresser l’évangile et « damer le pion » aux presbytériens qui possédaient d’importantes ressources pécuniaires.

C’est donc dans ces circonstances que les Scheutistes acceptent la réalisation, en 1908, de deux projets : l’implantation d’une mission avec école à Demba et l’installation des Pères à Pangu pour s’occuper de l’hôpital 2 .

Depuis 1904 la C.K. étudie la possibilité de construire un hôpital à Pangu. L’institution comprendrait deux parties distinctes, l’une pour « Blancs » et l’autre pour les Noirs atteints de la maladie du sommeil qui, jusque-là, étaient conduits à Lusambo.

À partir de 1905, sous la responsabilité du Docteur Mey, l’hôpital pour Blancs fonctionne modestement. La partie destinée aux Noirs ne peut pas être opérationnelle, faute de personnel. C’est alors que la direction de la C.K., à Dima, se tourne vers les Scheutistes qui ont fait preuve de leur dévouement pour les malades du sommeil, notamment à « l’île aux dormeurs » et à Saint Trudon. La compagnie entame une série de démarches pour obtenir de Cambier l’envoie des missionnaires à Pangu. Un important échange de correspondance s’en suit 3 . La Compagnie entend confier la direction de l'hôpital en construction aux Pères. Elle s'occuperait elle-même de l'engagement d'un médecin et verserait aux missionnaires des subsides pour leur entretien.

Dans une lettre du 28 février 1908, le Directeur de la C.K. annonce à Cambier qu’il vient de se rendre à Pangu pour examiner et prendre les dispositions définitives en vue de la construction de la mission.Il lui envoie un plan renseignant sur la disposition des lieux. Il détaille ce plan et indique les travaux déjà effectués et ceux en cours. Il propose, enfin, ce que les missionnaires pourront eux-mêmes entreprendre quand ils seront sur place :

‘Nous pensons que pour ce qui concerne les constructions du service religieux, il vaut mieux que ces travaux soient faits sous la surveillance même des R.P. destinés à les occuper, par des travailleurs et artisans à la solde de la C.K. – Les R. P. seront ainsi assurés d’avoir une installation telle qu’ils la désirent et des bâtiments disposés à leur gré. – Il est inutile d’ajouter que nous mettrons à leur disposition tout ce qu’ils nous demanderont 1 .’

Cambier répond à Chaltin, Directeur de la C.K., le 5 juin 1908 :

‘En réponse à votre lettre du 28 février, N° 255/6 D, j’ai l’honneur et le plaisir de vous faire savoir que je suis parfaitement et entièrement d’accord avec vous, sur toutes les dispositions que vous m’y indiquez et qui me semblent aussi plus pratiques et plus avantageuses. ’ ‘Vous estimez que, dans ces conditions, les Pères pourraient se rendre à Pangu, dans six mois au plus tard ; cet arrangement me plaît également à souhait, car je ne pourrais raisonnablement pas disposer de Pères avant le mois de novembre.’ ‘Quant au recrutement des 50 travailleurs, je vais faire mon possible pour les trouver, mais cela devient difficile et vous demanderai d’avoir un peu de patience. Au fur et à mesure que j’en trouverai, je les enverrai à Luebo pour s’y engager à destination de Pangu ; mais, ne croyez-vous pas, Monsieur le Directeur, qu’il serait bon de donner à Monsieur le gérant de Luebo, des instructions dans ce sens, en tout cas, pour les tickets de passage à leur délivrer ? […]’ ‘Dans quelques mois, j’aurais l’intention d’aller voir Pangu et profiterais de l’occasion pour aller vous présenter nos respects et avoir l’honneur et le plaisir de faire votre connaissance. Je suppose, Monsieur le Directeur, que, comme dans nos bonnes relations antérieures, je pourrai profiter de steamer de la C.K. descendant de Luebo, dans le cas où je n’aurais pas occasion de me servir du steamer de Scheut ?’ ‘Je vous remercie d’avance et vous prie, Monsieur le Directeur, d’agréer mes respectueuses salutations2.’

Nous ne savons pas si le voyage d’inspection projeté par Cambier pour se rendre compte de visu de ce qui se réalisait à Pangu a effectivement eu lieu. Toujours est-il que les premiers missionnaires débarquent à la nouvelle mission le 12 novembre 1908.

Carte 10 : Scheut au Kassaï 1910 (source : Marchal Etat libre du Congo ... p. 174)
Carte 10 : Scheut au Kassaï 1910 (source : Marchal Etat libre du Congo ... p. 174)

Notes
1.

Cfr. supra.

1.

L’opuscule de Propagande publié en 1906 égraine sur plusieurs pages les réalisations sociales entreprises par la Compagnie en faveur de ses travailleurs. Lire ANONYME, La Question congolaise. La compagnie du Kasaï à ses actionnaires…, op.cit., p. 67-85.

2.

Lettre du Directeur de la C.K à Cambier

3.

Nous n’avons pas pu trouver toute cette correspondance dans les archives romaines de Missionnaire de Scheut. Il est possible que les copies de ces lettres soient gardées au siège de la Compagnie à Bruxelles.

1.

Lettre de Chaltin à Cambier, Dima, le 28 février 1908, A.R.CCIM, P.II.b.2.2.5.

2.

Lettre de Cambier à Chaltin, Luluabourg, le 5 juin, 1908, A.R.CCIM, P.II.b.2.2.5.