1. LES JÉSUITES AU KWANGO CHEZ LES
« PEUPLADES EXILÉES DE TOUT PROGRÈS… » 1

Nous sommes le dimanche 5 mars 1893, le Révérend Père Van Hencxthoven et ses deux compagnons, le Père Dumont et le Frère Lombary sont à l'honneur 2 . C'est une veillée d'armes.

Demain ils s'embarquent pour le Congo; ils vont « tout quitter » 3 , peut-être pour un voyage sans grand espoir de retour. Une messe les réunit avec leurs parents et leurs amis en la cathédrale Notre-Dame d'Anvers dans un décor bien orchestré : le Roi est représenté par des autorités du jeune État Indépendant du Congo, dont Mr Van Eetvelde et Mme Coquilhat, mère d'un défunt Gouverneur Général. Deuxenfants noirs de l'équipe des acolytes et deux fillettes noires de l'escorte d'honneur donnent aux heureux voyageursune idée du travail d'éducation qu'ils feront « là-bas dans la brûlante Afrique ».

L'homélie de circonstance est prononcée par le père Verest. L'orateur explique l'immensité et l'urgence du travail qui attend les missionnaires. Il ne manque pas de rendre hommage au Roi qui a entrepris « avec désintéressement, intelligence et ténacité, l’œuvre de régénération » de ces nombreuses « peuplades » du Congo « exilées de tout progrès et plongées dans la plus affreuse barbarie »:

‘Là-bas dans la brûlante Afrique, dans ces terres immenses que nul européen n'a encore foulées, végètent dans les ténèbres de la mort, des peuplades nombreuses exilées de tout progrès et plongées dans la plus affreuse barbarie. C'est là que le vice, l'ignorance et la superstition d'un honteux fétichisme dégradent et abrutissent des créatures formées à l'image de Dieu. C'est là que des millions d'êtres humains grouillent en proie à toutes les misères physiques, intellectuelles et morales. C'est là où la lèpre de l'odieux esclavage sévit dans toute son horreur, que se livre l'impitoyable “chasse à l'homme” destinée à pourvoir la débauche ou à satisfaire la cupidité. C'est là enfin que s'étalent encore toutes les abominations de l'anthropophagie et du cannibalisme. L'aurore de la délivrance vient enfin percer cette nuit obscure. C'est la gloire immortelle du monarque qui préside aux destinées de notre chère patrie, d'avoir entrepris avec un désintéressement, une intelligence et une ténacité au-dessus de tout éloge la grande œuvre de régénération 1 . ’

Mais pour qu'on arrive à ce grand jour du premier départ, le chemin parcouru a été long et les négociations laborieuses 2 .

Notes
1.

Il existe une importante bibliographie sur la Mission Jésuite du Kwango. On peut se rendre compte de cette moisson en se référant aux différentes thèses défendues ces dernières années par les natifs, notamment, MUKOSO, N., F., Les origines et les débuts de la mission du Kwango (1879-1914), publié par les Facultés Catholiques de Kinshasa, 1993; 319 p.; KISWESO, M., L'émergence du clergé autochtone de la Mission jésuite du Kwango, Louvain-la-Neuve, 2003, 496 p.

2.

Ces trois missionnaires forment le premier groupe des Jésuites qui se sont embarqués le 6 mars 1893 pour la Mission du Kwango. Nous évoquerons ces personnages et leurs autres compagnons plus loin dans ce paragraphe.

3.

Le Père Van HENCXTHOVEN avait écrit la veille à sa sœur: “On prépare ici des grandes fêtes pour notre départ; nous les subirons, puisqu'il le faut, et seront heureux de tout quitter pour Notre-Seigneur”, cité par LAVEILLE, E., L'évangile au centre de l'Afrique, Louvain-Bruxelles, 1926, 94-95.

1.

L'Escaut, 6 et 7 mars 1893. On trouve aussi ce même texte dans Précis Historiques (1893), p. 146.

2.

L'histoire de toutes ces négociations a été minutieusement étudiée par MUKOSO, op.cit, p. 23-82. Nous n'en donnons ici qu'un résumé succinct.