1. 4. LA FONDATION DE WOMBALI ET L’EXTENSION DE LA MISSION DU KWANGO À L’EST

Comme nous venons de l’indiquer plus haut, jusqu’en 1900, les Jésuites ont cantonné leur apostolat dans le Plateau de Kimwenza et à l’ouest, dans l’actuelle province du Bas-Congo, surtout autour de Kisantu.

Le Père Van Hencxthoven décide de s’aventurer plus en avant vers l’Est pour installer des postes dans le bassin du Kwango et prendre de l’avance sur les protestants. Il écrit en juillet 1900 : « Dans quelques jours, le père De Vos partira pour explorer la vallée afin d’y choisir un emplacement et de poser le premier jalon de l’évangélisation de cette région » 2 . Ce n’est pas De Vos qui effectue ce premier voyage, mais son confrère Cus. Celui-ci accomplit son périple à bord du steamer de l’État accompagné de Costermans, inspecteur d’État, qui se proposait de voir quel genre de bateau pouvait en toute saison remonter les chutes de Kingushi et supprimer ainsi le portage à dos d’homme entre Tumba-Mani et Popokabaka 1 . Ce trajet durait une vingtaine de jours et constituait une lourde corvée pour les porteurs. Pour le Père Cus, cette exploration avait pour but de savoir s’il était possible de contourner, par voie d’eau, les obstacles qui empêchaient les missionnaires d’atteindre les terres du Kwango par voie de terre 2 . L’expédition arrive à Wombali, « minuscule village campé dans la brousse près du confluent du Kwango et du Kasaï. Sa situation géographique privilégiée en faisait le débouché naturel d’une vaste région – plus de 3/5 de la préfecture – arrosée par le Kwango, le Kwilu et leurs affluents nombreux » 3 . L’exploration continue jusqu’aux chutes de Kingushi. Le rapport de Cus convainc le Père Supérieur d'envoyer une autre mission à Wombali. Le 6 décembre, accompagné du Frère De Sadeleer, De Vos vient à Wombali afin de s’assurer de la fertilité du sol. Les deux Jésuites avaient pris place à bord du steamer des Scheutistes, le Notre-Dame de Perpétuel Secours, que venait d’inaugurer Mgr Van Ronslé, Préfet Apostolique de l’État Indépendant du Congo. En juin 1901, après avoir averti le Père Général, Van Hencxthoven commence la fondation de Wombali en compagnie du Frère De Sadeleer et de quelques jeunes catéchistes venus de Kisantu. On donne au nouveau poste le nom de Casier-Saint-Jean en reconnaissance au baron Jean Casier qui a alloué les premiers frais d’installation. Van Hencxthoven retourne à Kisantu et laisse De Sadeleer sur place. Ce dernier est rejoint au mois de décembre par le Père Cus, nommé responsable du nouveau poste 4 .

En avril 1902, Van Hencxthoven passe au Père Banckaert les rênes du gouvernement de la mission du Kwango ; il vient alors à Wombali dépenser ses dernières énergies de missionnaire. Il écrit : « Me voici fixé à Casier -St-Jean ; la mission est en pleine voie de prospérité. En novembre dernier il y avait ici vingt enfants ; en ce moment la population de Wombali atteint le chiffre de 146 » 5 . La fondation de Wombali allait servir de point de départ pour les autres implantations sur le Kwilu et sur le Kwango. Lorsqu’à partir de 1908 les Scheutistes seront établis à Pangu, ils se mettront régulièrement en contact avec les missionnaires de Wombali.

En 1903, un premier petit bateau est offert au poste de Wombali. On lui donne le nom de Saint Pierre Claver. Il deviendra l’instrument des fondations ultérieures le long du Kwilu et du Kasaï 1 .

L’évangélisation de l’Est de la Mission du Kwango ne prend son véritable envol qu’à partir de 1911 avec la nomination de Stanislas De Vos à la tête de la Préfecture. C’est le 13 novembre 1911 qu’il reçoit les lettres officielles qui le nomment Supérieur et Préfet apostolique du Kwango. Au mois d’août 1911, un mois avant d’apprendre officieusement son imminente nomination de supérieur, il traçait, dans une lettre au Père Provincial, un audacieux plan de conquête et de lutte contre les protestants. Sans rien abandonner des positions acquises à l’ouest (dans le Bas-Congo), il fallait développer la Mission du côté de Wombali. « Tout d’abord le Kwilu devait être occupé » 2 . On y chercherait «  un endroit salubre, à population assez dense, d’une fertilité convenable » 3 . Ensuite on occuperait Tua, « centre de la région des Bamfungunu et des Bateke » 4 . Un Père avec un Scolastique ou un Frère s’installerait là. De ce point stratégique, « il commanderait toute la région  5 » s’appuyant à la fois sur Sanda et Wombali. « Plus tard on occuperait successivement le Kwango en s’établissant par exemple à Mwene-Dinga, grand village habité par les Bayaka  6 ». « On aurait tout avantage de créer encore des stations à Popokabaka et à Kasongo-Lunda  7 ». Enfin il faudrait occuper Wamba.

Une fois installé comme Préfet, De Vos doit répondre à une question urgente : la mise au point des méthodes d’apostolat différentes du système de fermes-chapelles. En effet, ce dernier système subissait des critiques de plus en plus nombreuses de la part des agents de l’État qui n’hésitaient pas parfois à comparer les fermes-chapelles aux réductions jésuites du Paraguay 1 .

Certains missionnaires critiquaient aussi cette méthode car elle isolait trop les enfants de leur milieu; elle rendait presque nulle l’action des missionnaires; elle laissait une trop grande autorité à des catéchistes souvent sans grande formation et, enfin, elle favorisait les adultes au détriment des enfants.

Devant ces critiques, le nouveau Préfet Apostolique décide d’abandonner progressivement la méthode des fermes-chapelles.

Dans une lettre du 4 février 1912, il communique ses décisions au Provincial :

  1. On ne créera plus de nouvelles fermes-chapelles, mais on établira des écoles à proximité des villages indigènes.
  2. Les fermes-chapelles peu florissantes seront supprimées.
  3. Celles qui sont prospères seront conservées. On en fera des sortes des missions secondaires, en veillant à respecter l’entière liberté des enfants non-orphelins. « Tout doit se faire sans bruit et sans heurts »DENIS, op.cit., p. 90..

Le projet de l’extension de la Mission à partir de Wombali peut alors commencer. En mars 1912, le Père Legrand est désigné pour entreprendre la fondation de Kikwit. Il y débarque le 13 septembre et commence les travaux d’installation. Il écrit le 23 novembre au Provincial : « la Mission Van de Were-Moretus est fondée » 3 . Deux mois après avoir écrit ces lignes, Legrand tombe malade et rentre en Europe. Il est remplacé par Brielman secondé du Frère Roelands. La région doit faire face à la maladie du sommeil. Les Pères John Hamerlinck (1913-1915) et Yvan de Pierpont (1916-1920) organisent la lutte contre la redoutable maladie.

Toujours pendant l’année 1912, les tractations débutent entre les Huileries du Congo Belge (H.C.B.) et la Compagnie de Jésus pour l’installation d’une école et d’une résidence missionnaire à Leverville. Après de nombreuses rencontres, le Père Sylvain Van Hee est mandaté à commencer le poste de Leverville. Il vient s’installer le 15 février 1915 au confluent du Kwenge et du Kwilu pour fonder une école à laquelle s’adjoint bientôt un poste de mission.

D’autres Missions vont sortir de terre à un rythme accéléré : Ngowa, non loin de Popokabaka avec le Père Hanquet en 1915 ; Kimbau en 1916 avec le Père Allard ; Kingungi en 1918 et Djuma en 1919.

Cette occupation rapide de l’espace est justifiée par la lutte que les Jésuites entendent mener contre « l’hérésie protestante » qui, elle aussi, déploie tous les moyens pour engranger le plus possible de fidèles. C’est dans cette dynamique qu’il faut situer les pourparlers entre les Scheutistes du Kasaï et les Jésuites du Kwango et la reprise de la Mission Pangu par ces derniers.

Notes
2.

DENIS, L., Les Jésuites belges au Kwango, 1893-1943, Bruxelles, Museum Lessianum, 1943, p. 13-14.

1.

Collectif, Jalons de l’évangélisation au Kwango, Heverlee, éd. privée du Ravitaillement Intellectuel au Congo, 1967, p. 24.

2.

Lettre de Van HENCXTHOVEN au Père Général, Kisantu, le 12 novembre 1900, ARSI, Kwango 1001/II/40.

3.

GUFFENS, J., « Wombali Casier-Saint-Jean » in MBCJ, 1925, p. 89.

4.

Idem, p.90.

5.

GUFFENS, J., « Wombali Casier-Saint-Jean » in MBCJ, 1925, p. 90.

1.

MUKOSO, Les origines et les débuts…, p. 169.

2.

DENIS, L., Les Jésuites belges au Kwango…, p. 88-89, d’après une lettre du Père DE VOS au Père Provincial, Wombali, le 13 août 1911, PBS.

3.

Ibidem.

4.

Ibid.

5.

Ibid.

6.

Ibid.

7.

Ibid.

1.

Il existe une abondante littérature sur la problématique des « fermes-chapelles » au Kwango. MUKOSO consacre un chapitre entier à cette question (p. 207-224). On peut aussi lire : LAVEILLE, E., L’Évangile au centre de l’Afrique. Le père Van Hencxthoven fondateur de la Mission du Kwango (1852-1906), Louvain, 1926, p.267 ; VANDERVELDE, E., Les derniers jours de l’État du Congo, Bruxelles, 1909, p. 177-178 ; SADIN, F., La Mission des Jésuites au Kwango, Kisantu, s.d., p. 73 ; CIPARISSE, G., « Les origines de la méthode des fermes-chapelles au Bas-Congo (1895-1898) dans Bulletin de l’Institut Historique Belge de Rome, 43 (1973), p. 693-839.

3.

Lettre du P. LEGRAND au P. Provincial, Kikwit, le 23 novembre 1912, BPS, D, 16/ 3-4.