2. 2. LA POLÉMIQUE AUTOUR DE LA « POLITIQUE INDIGÈNE »

La visée fondamentale de la colonisation belge a été la recherche des moyens appropriés pour soumettre les populations indigènes, les contrôler et les mobiliser en tant que main d’œuvre indispensable à l’exploitation des immenses ressources dont regorge le Congo, le tout habillé d’une ambition civilisatrice. Quelle politique mener pour « répandre la civilisation, développer les débouchés et l’action économique de la Belgique » 1 au Congo ? Telle était la question qui a préoccupé, depuis Léopold II, toutes les instances coloniales. À différentes époques, les gouvernements successifs ont hésité entre une politique d’assimilation à la manière française et une administration indirecte selon le modèle britannique.

Lorsqu’en 1918, un gouvernement libéral vient au pouvoir en Belgique, Louis Franck, son ministre des colonies, essaye d’appliquer les théories d’origine anglo-saxonne sur l’administration indirecte (indirect rule). Cette nouvelle pratique administrative est qualifiée de « politique indigène ». Elle consiste, théoriquement, à donner plus de pouvoir aux chefs traditionnels, à instituer des juridictions basées sur la loi coutumière et à abandonner certains droits régaliens (perception de l’impôt, organisation des corvées, etc.) à la compétence de ceschefs surveillés par des administrateurs européens. Parmi les ardents défenseurs de cette politique se trouve Gaston Van der Kerken 2 , gouverneur de l’Équateur (1919-1924), devenu plus tard l’un des professeurs les plus influents de l’université coloniale d’Anvers. Cette politique indigène rencontre l’hostilité des missionnaires (catholiques et protestants) qui ne veulent pas voir leurs adeptes se soumettre à l’autorité des chefs coutumiers et païens.

Pour mettre en application sa nouvelle méthode d’administration, le Ministre Franck édicte, dès 1920, une circulaire intitulée « Principes de politique indigène ». Ses partisans se mettent à la diffuser et à exiger son application.

À partir de 1921, le Gouverneur Général Lippens qui, aux dires de Mgr De Vos, « est loin d’être favorable aux missionnaires » 1 , multiplie des initiatives pour qu’à tous les niveaux de l’administration cette « politique indigène » soit appliquée. Il rédige une circulaire et entreprend un voyage d’inspection à travers le Congo et visite, à cette occasion, le Kasaï et donc le territoire de la Kamtsha-Lubwe. Commentant ce voyage, De Vos écrit au Père assistant : « Il (Lippens) vient de faire une randonnée à travers le territoire de la colonie et avant de quitter le Congo, il a adressé aux vice-gouverneurs une circulaire dans laquelle il montrait visiblement son sectarisme. Cette circulaire a provoqué immédiatement des protestations dans les milieux catholiques… » 2

La mise en application de la politique indigène entraîne des frictions un peu partout entre des fonctionnaires, parfois trop zélés, et les missionnaires protestants et catholiques, eux aussi, souvent imbus des préjugés et intransigeants vis-à-vis des chefs traditionnels qu’ils considèrent comme des ennemis de la religion chrétienne 3 .

Ce débat entre les tenants et les opposants de la politique indigène a produit une abondante littérature. Les grands noms de la colonisation, comme Mgr de Hemptine et Gaston Van Der Kerken, se sont affrontés dans un farouche combat d’idées, surtout dans la revue Congo. Cette polémique, n’est pas restée au niveau de la théorie, mais elle a influencé directement la pratique missionnaire et les regards des missionnaires vis-à-vis des traditions africaines. Revenons aux arguments théoriques exposés par le gouvernement pour justifier sa nouvelle politique et ceux énoncés par les missionnaires pour réfuter la théorie de Franck.

Notes
1.

FRANCK, L., Recueil à l’Usage des Fonctionnaires et des Agents du Service territorial, le 22 novembre, 1920.

2.

Van der KERKEN écrira un important ouvrage dans lequel il consacre quelques pages au Ding. Voir Van der KERKEN, G., L’ethnie Mongo, Bruxelles, 1944, 2 vol.

1.

Lettre de De Vos au Père Assistant, Kisantu, le 25 mai 1922, A.R.S.I., 1002-11. 8.

2.

Lettre de DE VOS au Père Assistant, Kisantu, le 25 mai 1922, A.R.S.I., 1002-11. 8.

3.

Lire NKAY, M.F., « Missionnaires belges et recherche ethnographique au Congo » in SERVAIS, O.& VAN’T SPIJKER, G. (sous la dir. de), Anthropologie et missiologie 19 e -20 e siècles. Entre connivence et rivalité, Karthala, Paris, 2004, p. 341-370.