2. 2. 1. La position du gouvernement

L’assertion du gouvernement est clairement exposée par le Ministre des colonies, L. Franck (1918-1924). Dans la préface aux 3e et 4e éditions du Recueil à l’Usage des Fonctionnaires et des Agents du Service territorial, Franck répond à la question « Que faisons-nous au Congo » ? :

‘Nous y poursuivons un double but : répandre la civilisation, développer les débouchés et l’action économique de la Belgique. Ces deux buts sont inséparables. Sans une population indigène plus portée au travail, mieux protégée contre les maladies, plus nombreuse, mieux outillée, de capacité technique plus grande, mieux vêtue, mieux nourrie, mieux logée, de conceptions plus élevées, nous n’arriverons pas à dégager de notre empire africain sa magnifique puissance de richesse. C’est avec les noirs et par les noirs que nous y parviendrons, pour leur plus grand bien comme pour le nôtre. C’est dire que le souci que nous avons des populations est à la base de notre politique indigène. Mais cette fin essentielle de notre activité est, à son tour, étroitement associée aux progrès du commerce, de l’industrie, des plantations européennes, de l’agriculture indigène, au développement des transports, de l’outillage et de la mise en valeur du domaine minier. Peu pénétrables à nos idées abstraites, les primitifs subissent profondément et rapidement l’action des facteurs économiques ; pour eux, également, le bien être et le travail sont à la longue des agents très puissants de civilisation 1 . ’

À analyser de près le raisonnement de Franck, le but ultime de la colonisation demeure l’exploitation économique. D’où l’importance des agents économiques :

‘Le commerçant, l’industriel, le planteur sont la force d’une colonie. Sans eux, sans leur initiative et leur travail, sans le rendement de leur effort, aucun pays au monde ne pourrait s’imposer les charges considérables de la colonisation. L’État ne peut tenter lui-même la mise en valeur économique de nos vastes domaines. Aussi, la politique du gouvernement est-elle d’industrialiser la Colonie en donnant à ses propres services une organisation commerciale et autonome et en encourageant partout les entreprises privées 2 . ’

C’est à l’entreprise privée que revient le rôle de développer la colonie, car « jamais les fonctionnaires n’ont réussi à développer seuls les pays nouveaux » 3 . Les colons et les sociétés commerciales sont nos collaborateurs directs et obligés » 4 . Le rôle du service territorial est « d’aider et de soutenir les colons et les sociétés commerciales » 5 . Concrètement «  aider et soutenir » l’entreprise privée signifie lui faciliter le recrutement de la main d’œuvre en contrôlant la population indigène et en lui donnant une formation adéquate. Or l’expérience des colonies anglaises a démontré que la meilleure façon de contrôler les indigènes est de les laisser se gouverner par leurs propres chefs qui les connaissent et suivant leurs propres lois. D’où la nécessité pour le fonctionnaire « d’observer avec intelligence la vie indigène, d’apprendre à connaître les coutumes, l’organisation de la famille, du clan, de la tribu, les croyances et les mœurs. Bien des institutions congolaises qui, à première vue, peuvent paraître bizarres ou étranges, tels le matriarcat, le mariage par achat, la compensation pécuniaire à titre de pénalité, la solidarité matérielle des membres d’une même famille, correspondent à des formes et des pratiques qui ont existé chez nos ancêtres et n’ont disparu qu’après une longue évolution » 1 .

Franck estime qu’il ne faut ni brusquer le changement ni détruire les règles traditionnelles. Les progrès économiques entraîneront de proche en proche la transformation de la société indigène. À l’étape actuelle, le travail de l’agent européen consiste à accompagner les chefs locaux et à les aider à conduire leur population d’après ce qu’il y a de positif dans leurs coutumes. « Il nous faut, écrit-il, non pas essayer de faire des Noirs, des Blancs, mais de former des Noirs mieux outillés pour la vie économique, plus travailleurs, plus habiles, plus instruits du savoir qui convient à leur mentalité » 2

Notes
1.

FRANCK, L., Recueil à l’Usage des Fonctionnaires et des Agents du Service territorial, le 22 novembre, 1920., p. 4

2.

Idem, p. 4-5.

3.

Idem, p. 5.

4.

Ibidem.

5.

Ibidem.

1.

FRANCK, L., Recueil à l’Usage des Fonctionnaires et des Agents…, p. 6.

2.

« L’âme indigène », écrit le ministre FRANCK, « est une réalité comme la nôtre. Nous avons le devoir de nous en préoccuper et de la respecter. Il nous faut, non pas essayer de faire des Noirs, des Blancs, mais de former des Noirs mieux outillés pour la vie économique, plus travailleurs, plus habiles, plus instruits du savoir qui convient à leur mentalité » […] L’abîme infranchissable qui sépare le Noir du Blanc entraîne comme conséquence la nécessité d’un ordre social et politique distinct : « Il est impossible à l’autorité européenne d’agir directement sur les individualités indigènes. Leur personnalité leur échappe. […] », op.cit., p. 7.