2. 3. MISSION MÉDICALE ANTITRYPANOSOMIQUE (1920-1923)

Pour compléter le tableau des éléments qui ont constitué le contexte de la fondation d’Ipamu, il nous faudrait, enfin, évoquer la mission médicale contre la maladie du sommeil menée par l’équipe du Docteur Schwetz dans le Kwango-Kasaï entre 1920 et 1923 parce qu’elle a aussi influencé d’une certaine manière l’apostolat des Jésuites.

Dans la partie Ouest de la mission Jésuite du Kwango, au Bas-Congo, les premiers signes de la maladie du sommeil sont signalés au début de 1900 aux environs de Kimwenza. Jusqu’en 1901, les cas sont sporadiques. Pourtant le 9 avril 1901 à Louvain, les Jésuites perdent un de leurs missionnaires, le Père Joseph Prevers, frappé par un mal obscur qu’on identifiera plus tard au terrible fléau, lorsque le Père François-Xavier Hendrickx décède aussi le 14 novembre 1905, toujours à Louvain. Le mal atteint son apogée en 1904 dans la région de Kisantu et de Kipako. Pendant plus de deux ans, la maladie avait décimé la population du Bas-Congo, jusqu’à en emporter entre 80 et 97% des habitants 1 .

Pour combattre l’épidémie, les missionnaires jésuites créent un Lazaret à Kisantu en 1907 et le premier envoi d’atoxyl y arrive en 1908. On confie la tâche d’administrer ce médicament à l’abbé Hyacinthe Vanderyst, prêtre séculier de Liège et agronome, arrivé dans la Mission le 26 avril 1906, à titre d’auxiliaire volontaire. À l’abbé, sont adjoints le scolastique Giuseppe Greggio, d’origine italienne, et le Frère Van den Bosch. Les trois hommes parcourent les villages et vaccinent des centaines des malades. En 1917, l’épidémie avait presque disparu dans cette partie de la Mission, mais elle continuait à sévir à l’est 2 .

La lutte contre le fléau dans cette dernière région est organisée par les Jésuites à partir de 1913. Le Père John Hamerlinck (1913-1915), puis le Père Yvan de Pierpont (1916-1920) à qui se joindra Vanderyst sont successivement désignés pour diriger les campagnes de vaccination. La tâche est énorme. D’après un rapport au gouvernement, Yvan de Pierpont dit avoir, pendant le second semestre de 1919, examiné plus de 13.000 indigènes 3 .

Les missionnaires sollicitent le concours de l’État qui crée une mission médicale avec pour chef le Dr Schwetz. Cette mission est composée des docteurs David, De Wolf, Tabacco, Livchitz et des agents sanitaires Demaret, Baumann, Depooter, Darrouzain, Decock.

Dans la région comprise entre la Pio-Pio ( Lwele) et la Lubwe, et donc celle des Ding orientaux, le recensement est effectué par le Docteur Livchitz et l’agent sanitaire Darrouzain en 1922 1 . Pour le territoire de la Kamtsha-Lubwe l’enquête aboutit aux résultats suivants : sur 107.726 indigènes examinés, la Mission médicale a trouvé 10.604 malades (dont 954 dormeurs). Les îlots d’infection grave se trouvent surtout le long des routes fréquentées et autour des centres d’occupation administrative ou commerciale (Idiofa, Atene C.K, Mangaï). La conclusion de la mission médicale confirme l’hypothèse selon laquelle la maladie du sommeil aurait évolué du Nord vers le Sud, c’est-à-dire des rives du Kasaï vers l’intérieur du pays. Le Docteur Schwetz écrit : « La maladie du sommeil ayant suivi ici, comme dans les régions voisines du Kwilu, une marche du nord au sud, elle a déjà perdu son acuité dans le nord, chez les Badinga, et sévit actuellement surtout dans le sud, chez les Babunda » 2 .

Sur le plan de la recherche documentaire, le rapport de Docteur Schwetz nous apporte quelques informations sur la situation géographique du territoire de la Kamtsha-Lubwe, sa démographie et sa composition ethnique. Le rapport indique, par exemple, que ce territoire « communément appelé territoire d’Idiofa, du nom de son chef-lieu actuel, précédemment appelé territoire des Babunda, du nom de la peuplade dominante, est le territoire le plus occidental du vaste district du Kasaï » 3 . Le rapport de Schwetz nous livre aussi quelques renseignements ethnographiques. Il montre, par exemple, que « les Babunda sont des gens des plateaux et les autres, de la forêt. La différence est en général si marquée que les indigènes disent : « chez les Badinga », pour dire : dans la forêt. Il paraît que les Babunda sont venus du sud et les autres du nord, de l’au delà du Kasaï. Toutes ces peuplades ont leur langage propre, mais c’est celui des Babunda qui est tout à fait spécial et ne ressemble pas du tout aux autres » 4 . Schwetz note la différence des régimes alimentaires : « Les Babunda se nourrissent presque exclusivement de millet (seule céréale croissant bien sur les plateaux herbeux), tandis que les autres cultivent le manioc, le maïs et la patate douce. Je demande dans un village Badinga la race d’un village voisin. « Mais ils mangent du millet, me répond-on, ce qui veut dire que ce sont des Babunda. Et inversement, dans un village Babunda on me répond à la même question : « Mais ils mangent des shikwange » voulant dire que ce sont des Badinga » 1 .

La mission médicale, bien que voulue au début par les Jésuites, va rapidement entrer en conflit avec ceux-ci, notamment avec De Pierpont, qui dénoncent « les agissements autoritaires et les méthodes brutales » 2 du Docteur Schwetz et de ses hommes. L’équipe médicale, en effet, ne lésine pas sur les moyens. D’une manière autoritaire, elle force les indigènes à regrouper leurs différents hameaux en des grands villages et avec le concours de la force publique, elle somme les gens à se faire recenser. Une véritable chasse à l’homme est engagée. Ce qui choque le plus les missionnaires Jésuites, c'est que leurs villages chrétiens n’échappent pas au regroupement forcé et leurs catéchistes ne sont pas épargnés par les exactions des agents médicaux. L’acrimonie des missionnaires envers l’équipe de Schwetz peut aussi s’expliquer par le fait que les Jésuites qui, jusque-là, avaient le monopole du combat contre la maladie du sommeil – ce qui leur conférait un certain prestige – se voient concurrencer par des agents de l’État disposant des moyens financiers plus importants et n’hésitant pas de dénigrer les Pères 3 .

Enfin, la mission du Docteur Schwetz a laissé des traces durables dans l’aménagement de l’espace et la répartition des populations. Les regroupements forcés des villages qui se sont poursuivis jusqu’aux années 1930, ont changé le paysage de la région et obligé les Jésuites à adapter leur stratégie de visite apostolique.

Notes
1.

Lire VAN WING, J., Le vingt-cinquième anniversaire de la mission du Kwango, Bruxelles, s.d. p. 28, aussi MUKOSO, op.cit., p.179-186.

2.

Lire VAN WING, J., Le vingt-cinquième anniversaire de la mission du Kwango, Bruxelles, s.d. p. 28, aussi MUKOSO, op.cit., p.179-186.

3.

DENIS, Les Jésuites belges..., op.cit., p. 91.

1.

SCHWETZ, Rapport sur les travaux de la mission médicale…, op. cit., p. 2. Le territoire de la Kamtsha-Lubwe, district du Kasaï, ( et le pays des Ding orientaux) a été visité de juin-décembre 1922.

2.

SCHWETZ, op.cit., p.78.

3.

SCHWETZ, op.cit., 73.

4.

SCHWETZ, op. cit., p. 75.

1.

SCHWETZ, op. cit.,.p. 75-76.

2.

DENIS, op.cit., p. 92.

3.

Il convient de lire à ce sujet les notes de voyages de Yvan de PIERPONT dans MBCJ. Les nombreux abus commis par la mission médicale sont réels, mais ont été amplifiés par les missionnaires à une époque où la polémique autour de la fameuse « politique indigène » battait son plein.