3. 3. 2. Querelle avec les agents du commerce : affaire Lundgren

Dans une lettre écrite le 1er janvier 1922 et adressé au Gouverneur Général, monsieur Lundgren, responsable de la Société Suédoise à Mangaï accuse les pères Jésuites d’Ipamu et leurs catéchistes d’être la cause de la chute de sa production de noix de palmistes :

‘[…]En 1918, j’avais une production de noix palmistes de 73 tonnes, en 1919, 112 tonnes, en 1920, 181 tonnes, en 1921, 180 tonnes. Pendant les cinq premiers mois de 1921, j’avais une production moyenne de 17 tonnes par mois, pendant les derniers sept mois seulement 13 tonnes par mois, une diminution considérable. Le résultat aurait dû être amélioré au lieu d'être comme maintenant détérioré. Les principaux motifs de ceci sont d’après ce que j’ai pu juger : Au mois de mai, cette année-ci les révérends Pères Jésuites ont installé une mission à Ipambo 1 à 4 heures de Manghay. Par l’intermédiaire du chef des Bangalas 2 , tous les jeunes gens de sa chefferie qui n’ont pas été baptisés, ont été amenés à la mission. Dans la région des Badinga, les Pères ont installé des villages chrétiens sous domination d’un catéchiste. Les chefs n’ont évidemment plus d’autorité sur ces gens. Le premier travail que les chrétiens avaient à faire, c’était construire une grande maison en pisé pour le catéchiste, après pour eux-mêmes des maisons en pisé. Depuis l’installation de la mission ni les chrétiens de la mission ni ceux des villages nouvellement formés n’ont fourni un kilo de produits 3 .’

Pour bien comprendre la portée de cette accusation, il convient de se rappeler qu’à partir de 1911, la production des amandes palmistes et de l’huile de palme a remplacé la récolte du caoutchouc naturel. Si le ramassage de noix pourries et leur concassage en vue de l’obtention des coconotes ne comportent pas de grands dangers, par contre grimper sur un palmier pour en descendre un régime de noix pour l’extraction d’huile est un travail risqué. Il fallait donc des personnes initiées. Dans la société traditionnelle, quelques personnes par village savaient grimper sur un palmier et la demande en huile de palme était limitée aux besoins domestiques. L’installation de l’industrie huilière fait donc augmenter exponentiellement la demande en noix de palme. Il se pose aussitôt deux problèmes majeurs : celui de la propriété des palmeraies dites naturelles et celui des grimpeurs. Pour avoir toujours plus d’huile de palmes, il faillait multiplier le nombre de grimpeurs. Or la dangerosité de ce travail ne suscitait pas beaucoup de vocations, surtout parmi les jeunes.

Pour forcer les gens à apprendre à grimper, les agents de l’État et du commerce employaient souvent des méthodes radicales : par exemple, on allumait un feu au pied du palmier sur lequel un jeune homme s’essayait à grimper. Par peur de tomber et de se laisser dévorer par les flammes, le jeune devait se débattre par tous les moyens pour atteindre le sommet de l’arbre. Pour fuir l’horreur de telles exactions, lorsque les missionnaires arrivent dans la région, les jeunes préfèrent les suivre et se mettre, en quelque sorte, sous leur protection. Mais cette démarche reste préjudiciable pour les exploitants d’huile de palme. C’est ce qui est probablement arrivé dans la région d’Ipamu.

Les accusations de Lundgren montrent comment l’action missionnaire pouvait parfois contrarier les intérêts économiques et se mettre au travers de leur chemin. Les Jésuites d’Ipamu se mettront, plus tard, à recruter les coupeurs, à produire et à vendre l’huile de palme. Ils s’afficheront ainsi, ouvertement, en concurrent des sociétés huilières de la région.

Comme source historique, la lettre de Lundgren nous renseigne sur l’établissement des villages chrétiens et le rôle des catéchistes au début de la mission des Jésuites chez les Ding orientaux.

Notes
1.

Il faudrait lire « Ipamu »

2.

Il s’agirait de « chefs Bangoli ».

3.

Lettre de LUNDGREN au Gouverneur Général, Mangaï, le 1er janvier 1922, AMBAE, M.628, doss. IV.D.