3. 3. 3. Le meurtre d’un chef

Un autre événement qui a troublé la quiétude des missionnaires d’Ipamu en cette année 1922, c’est la « révolte des Ngwi » 1 que Struyf détaille dans un article intitulé « Le meurtre d’un chef ».

‘Or le chef, en juin dernier, était un chrétien, baptisé par les Pères de Scheut. Il était reconnu de tous les Bangoli et l’État lui avait donné la médaille. Il s’appelait Benoît Mabera. L’an dernier, il avait introduit « Bula Matari », c’est-à-dire l’État, à l’extrémité de sa région où se trouve encore une vingtaine de villages absolument sauvages ; ils les avaient forcés de payer l’impôt, de faire de grands chemins, d’arranger des ponts sur de nombreux marécages que l’on rencontre ici aux bords des rivières dans la forêt équatoriale. Mais ces sauvages ne voulaient pas de l’État, ni de n’importe quel blanc. Nous-mêmes, nous n’y avions aucun catéchumène. C’était des gens à la mine farouche, et qui s’armaient de leurs terribles arcs aux flèches acérées. Plusieurs fois déjà ils avaient attaqué des Bangoli soumis, en avaient tué quelques-uns qu’ils avaient mangés. Naturellement, ils en voulaient à leur chef Benoît et n’attendaient qu’une occasion pour s’en venger 2 .’

Cette occasion se présente lorsque le chef Benoît se rend dans cette région pour faire accommoder les chemins et les ponts, et proclamer la levée de l’impôt. Il est attaqué et tué à Oveke. Les « sauvages se jettent sur lui, et le découpent en morceaux ». Ils « transportent ensuite leur horrible butin au village » et le dévorent 3 . La nouvelle se répand rapidement dans toute la région et les Pères de la Mission sont vite au courant. Struyf écrit encore : « À la nouvelle de cet événement, ce fut le deuil général chez tous les Bangoli ; on pleura des jours et des jours ; on ne mangeait plus la chikwangue et on se contentait de patates douces, ce qui est le signe de la douleur. Nos chrétiens firent dire des messes pour les victimes. Que le bon Dieu ait pitié de leurs âmes ! » 4

C’est le Père Struyf lui-même qui se charge d’en informer l’État qui organise une expédition punitive : « Immédiatement, j’avertis l’État et une expédition militaire, forte de 80 soldats occupa le pays révolté ; elle était dirigée par le lieutenant Clauwaert. Celui-ci a fait toute la guerre en Belgique où il faisait partie du régiment de lanciers. […] Un soldat a été tué et huit blessés. Espérons que ces sauvages ne recommenceront plus » 5

Le missionnaire Jésuite termine son récit de la révolte des Ngwii en justifiant ce qui l’a poussé à écrire : « J’ai voulu montrer par cette histoire que tous les Bangoli, avant 1917 étaient de vrais barbares, puisque actuellement encore, ceux qui n’ont pas embrassé notre religion se montrent aussi sauvages ». Comme quoi la religion, c’est-à-dire le catholicisme fait passer de la « barbarie à la civilisation ».

La révolte des Ngwii a eu des répercussions dans la mission d’Ipamu et chez les Ding orientaux. D’abord, elle donne naissance au mythe des « Ngwii méchants et anthropophages ». L’histoire du meurtre de Benoît, le chef chrétien, et de sa prétendue manducation par les « sauvages du village Oveke » a dû, à maintes reprises, être ressassée par les Pères à l’intention des catéchumènes.

À lire le récit de Struyf, le nom du chef noir pouvait figurer dans le martyrologe de la mission du Kwango. Son sang serait une semence qui a fait lever un grand mouvement de conversions chez les Ngwii : « Chez les Bangoli, nous assistons actuellement à un miracle de la grâce ; et le missionnaire n’y est pour rien : jamais ce peuple n’avait été visité par lui, sauf une ou deux fois en passant. Nous nous demandons ce que ce peuple peut avoir ainsi mérité du bon Dieu ; il est entrain de se convertir, non seulement les enfants, mais les hommes, les femmes, jeunes et vieux. Nulle part je n’ai assisté à pareil prodige de la grâce ! Nous ne pouvons que nous écrier : « Dieu seul est le Maître des cœurs ! »

C’est juste après cet éloge fait à la conversion de Ngwii que Struyf entame le récit du meurtre du chef comme pour montrer le lien entre les deux événements. Mais le fait de répéter aux catéchumènes que les Ngwii ont tué et mangé leur chef n’était-il pas susceptible d’appréhension pour ceux qui approchaient ces Ngwii ? Nous lisons, par exemple, dans le rapport des Sœurs de Sainte Marie de Namur que la présence des filles « Bangoli » au dortoir n’était pas souvent désirée par les filles « Badinga ». Cette situation peut-elle être rapprochée à la réputation d’anthropophagie que Struyf a voulu coller au Ngwii ?

Ensuite, à la suite de cette révolte, l’autorité coloniale décide une restructuration des chefferies indigènes de tout le territoire de la Kamtsha-Lubwe. C’est probablement à cette occasion que seraient nées, dans la chefferie Munken, les sous-chefferies Ntor et Ibo.

Notes
1.

NDAYWEL, Organisation sociale et Histoire…, op. cit., t. 2., p. ; EKAGNY Ivary, La révolte Ngwii (1922), Lubumbashi, UNAZA, 1976, mémoire de licence.

2.

STRUYF, Y., « Le meurtre d’un Chef », MBCJ, 1923, p. 82.

3.

Idem, p. 84.

4.

Ibidem.

5.

STRUYF, « Le meurtre d’un Chef »…, op.cit., p.84.