4. 1. 1.Apporter « notre part de sympathie et de dévouement à l’œuvre congolaise »

Il semble que c’est le Roi Léopold II lui-même qui aurait demandé aux Oblats, probablement en 1903 ou 1904, d’accepter un poste de mission au Congo. Cette demande aurait été formulée au Supérieur Général des Oblats à Rome. En effet, en 1905, le Père Cyprien Delouche 1 , d’origine française, très proche du Roi et de la haute bourgeoisie catholique belge, est nommé premier provincial de la Province belge qu’il a lui-même implantée. Il se charge de faire avancer la demande du Roi et se rend à Rome. Un auteur anonyme écrit, en 1905, dans le M.G. : « La Congrégation des « Oblats de Marie Immaculée » est appelée à jouer un rôle prépondérant dans l’évangélisation du Congo. C’est une Congrégation française, qui a déjà donné des preuves de son activité en Belgique en récoltant des fonds en vue de l’érection de la Basilique du Sacré-Cœur de Marie, à Koekelberg. Elle a à sa tête le R.P. De Lalouche 2 qui, en vue de ses prochaines opérations au Congo, vient de se rendre à Rome, où il s’est mis en rapport avec la Propagande » 3 . À Rome, Delouche s’entretient avec les instances de la Propagande et surtout avec le Père Augier, Supérieur Général des Oblats. Il défend une requête de Léopold II qui propose aux Oblats belges de fonder un poste de mission au Katanga. À cette époque, le Roi et son administration sont ébranlés par les suites du rapport de la commission d’enquête initiée à la suite de la « Question congolaise » 1 . Ce rapport, comme nous l’avions indiqué, est senti par l’opinion catholique comme une attaque des protestants anglais contre les intérêts belges. La riche région du Katanga, voisine de la Rhodésie, étant convoitée par les Anglais, il était impérieux pour le Roi de pouvoir y dépêcher les missionnaires catholiques pour contrecarrer toute influence protestante donc britannique. Delouche et ses Oblats pouvaient donc jouer ce rôle de bouclier, s’ils acceptaient la proposition du Roi.

En juillet 1906, Delouche est encore sollicité par les instances royales. Il se rend à nouveau à Rome, cette fois porteur d’un mémoire détaillant les arguments avancés par les oblats belges pour qu’une mission leur soit concédée au Congo. Les arguments développés dans ce mémoire peuvent être résumés en trois principaux points :

1°. C’est un devoir d’honneur pour les Oblats d’accepter la proposition du Roi parce que « tous les religieux établis en Belgique ont cru de leur devoir et de leur intérêt de fonder une mission au Congo. […] Seuls les Oblats n’y sont pas encore. Le droit de cité reconnu par tous ne nous sera accordé qu’à la condition que nous apportions notre part de sympathie et de dévouement à l’œuvre congolaise dans la colonie belge. Telle est la mentalité en Belgique. La basilique nationale, sur la volonté du Roi, a été confiée aux Oblats, de préférence à tous autres. On devine l’impression produite par cette préférence en faveur de religieux considérés comme une société française. En ces temps surtout, tout ce qui est français, à tort ou à raison, est mal vu et mal reçu. L’acceptation d’un poste de mission au Congo en nous conférant droit de cité, nous fera vraiment accepter par le clergé, les fidèles et surtout les autres religieux comme desservants de ce sanctuaire » 2 .

Puisque, affirme encore l’auteur du mémoire, les oblats ont la confiance du roi, il n’est pas possible qu’ils refusent l’offre généreuse de la création d’une mission au Congo. La déception du Roi et des autorités officielles de Bruxelles serait grande si les Oblats venaient à décliner une telle offre.

2°.Il va de l’intérêt même des Oblats d’accepter la proposition du Roi. La fondation d’un poste des missions au Congo leur permettrait non pas seulement de perdre l’étiquette d’étranger et de français en Belgique mais aussi et surtout d’accroître le nombre des vocations en provenance de la Belgique et de la Hollande et d’économiser les ressources financières, « car le Roi pourvoira aux frais pendant 2 ou 3 ans. Il se chargera du départ des missionnaires et de leurs bagages, des frais de fondation des missions, des Pères, d’églises, de maison d’œuvres, d’entretien des Pères et des œuvres. Après ces trois premières années, 20.000 francs seraient assurés par le Roi pour continuer à aider les missionnaires. Cent hectares de terrain seront donnés en propriété à chaque mission fondée, et cela en vertu d’une convention passée récemment entre le Saint-Siège et le gouvernement du Congo. Ces terres défrichées par les noirs, feraient un terrain très productif capable de faire face aux besoins de la Mission » 1 .

3°. Bien d’autres avantages attendent les Oblats. La région qui leur est proposée étant le Katanga, ils bénéficieront d’un climat sain et des conditions sanitaires favorables. Ce centre minier riche sera incessamment relié au continent par deux voies ferrées : celle venant du Cap et du Transvaal, et celle venant de l’embouchure du Congo, partie voie ferrée et partie voie navigable. Ceci facilitera les déplacements des missionnaires. Pour le moment la région du Katanga est nominalement sous la juridiction des Pères de Scheut, mais il n’y a dans ces régions aucune mission fondée. Si les Oblats acceptaient de s’y installer, ce territoire pourrait constituer ultérieurement une Préfecture ou un Vicariat 2 .

En octobre 1906, la réunion du Conseil général agrée le projet de la fondation d’une mission au Congo Belge 3 . Augier charge Delouche d’informer le Roi que « la fondation de cette mission était acceptée en principe, et qu’on allait se mettre en mesure d’en assurer l’exécution » 4 . Cette mise en exécution n’aura jamais lieu. Le projet meurt au stade de la gestation. Pourquoi les Oblats belges n’ont-ils pas pu aller au Congo à cette époque, malgré les multiples avantages qu’ils pouvaient en tirer ? Peut-être l’opinion belge de ces années 1905 et 1906, échaudée par la « campagne anti-léopoldienne », n’était-elle pas encore préparée à se départir de l’idée que les Oblats constituaient une congrégation « étrangère », malgré les accointances de Delouche avec le pouvoir belge ? L’immixtion de Delouche dans les intrigues politiciennes, surtout dans la fameuse affaire de la divulgation, à Londres, du rapport de la Commission d’enquête, n’a-t-elle pas discrédité Delouche et les Oblats auprès des autres Congrégations belges et de l’opinion catholique 1 ?

Toujours est-il qu’en 1906 et dans les années suivantes, les Oblats n’ont pas su réaliser leur projet de s’installer au Katanga. Le Père Praet prétend que cette défection des Oblats serait liée au manque de personnel. Il note : « rappelons que dès 1905 et les années suivantes, on nous offrit un établissement au Katanga, honneur qui dut être décliné, faute d’hommes » 2 . Aucun document de cette époque n’évoque cette raison.

Notes
1.

Cyprien DELOUCHE est né le 4 mai 1865 à Fontaine-Guérin en France. Il est ordonné prêtre à Liège le 11 juin 1892. Le Père Général, Cassien Augier lui demande « d’implanter la Congrégation en Belgique ». En 1905, il établit la Province oblate de Belgique et devient son premier Provincial de 1905 à 1914. À la demande de Léopold II, du nonce et des évêques, il entreprend la construction de la Basilique du Sacré-Cœur à Koekelberg. Expulsé de la Congrégation en 1935, à cause de ses démêlés avec ses supérieurs, Delouche meurt à Paris, le 13 octobre 1950.

2.

Il s'agit bien de Cyprien Delouche. L'auteur a mal orthographié l'anthroponyme.

3.

M.G. (1905), col. 620.

1.

Cfr. supra.

2.

Mémoire sur la fondation d’une Mission au Congo, s.d., s.l., (manuscrit), AGOR.

1.

Mémoire sur la fondation d’une Mission au Congo

2.

Idem

3.

LEPAGE, F., Les Oblats en Belgique, les débuts de la Province, Velaines, s.d., p. 6.

4.

Mémoire sur la fondation d’une Mission au Congo, s.d., s.l., (manuscrit), AGOR.

1.

Si dans l’opinion publique les Oblats de Delouche étaient considérés comme une Congrégation étrangère, en réalité ils étaient proches de la monarchie et de la bourgeoisie belge. D’après les notes manuscrites gardées dans les Archives romaines des Oblats, le Père Delouche aurait été secrètement envoyé à Londres par le roi, en 1905, pour divulguer par anticipation une version falsifiée et édulcorée du rapport de la fameuse commission d’enquête envoyée au Congo pour vérifier les allégations de crimes commis par les agents de l’E.I.C. Dénoncé par la presse anglaise, Delouche et les Oblats se sont mis en mauvaise posture devant l’épiscopat belge. « En Belgique, indique la note, on fut plus furieux encore de cette publication, surtout parce qu’on y avait laissé subsister les accusations et les imputations calomnieuses dirigées contre les religieux, et de fait, le P. Delouche, Provincial des Oblats, vit se lever contre lui les journaux catholiques, les religieux incriminés, les prêtres et les catholiques condamnant cette manière d’agir, et aussi l’immixtion si active d’un religieux Supérieur dans des questions politiques qui ne le regardaient pas ». Voir A.G.O.R., Dossier Fondation des Oblats au Congo Belge.

2.

Note sur une fondation des Oblats au Congo, s.l., s.d., AGOR.