1. 2. LE CORPS REPRÉSENTE L’EXTÉRIORISATION DE L’ÂME

Les occidentaux ont aussi cherché à expliquer l’infériorité des Noirs en s’appuyant sur la biologie. Les tenants de cette école estimaient, en interprétant les théories de Lamarck, que les Noirs descendaient d’une race originairement blanche et qu’il a fallu des milliers d’années pour que l’action répétée leur rende la couleur noire héréditaire. D’après cette pensée, la couleur de la peau déterminait le niveau culturel. Les Européens étaient supérieurs aux Noirs à cause de leur peau blanche 2 .

La peau noire et les caractéristiques physiques de l’Africain posaient un vrai problème au missionnaire. Cambier, par exemple, avoue sa difficulté de reconnaître un Noir parmi les Noirs : « dans le commencement, on ne sait point… c’est drôle, mais c’est comme cela… reconnaître un Noir d’un autre Noir. Toutes ces figures noires comme l’as de pique, bariolées des mêmes tatouages, toutes ces têtes précédées d’un nez gros, large et court que le dictionnaire appelle épaté, ou suivies ou surmontées d’une tresse en cornet… » 3

Le racisme dit scientifique avait atteint son paroxysme avec la publication en France, de 1853 à 1855, par Arthur de Gobineau, de son « Essai sur l’inégalité des races humaines » 4 . L’auteur de cet ouvrage réédité en 1884, soutenait que l’humanité était peuplée de races différentes, bien hiérarchisées et possédant chacune ses propres qualités. Au sommet de la hiérarchie trônait la race blanche, porteuse d’une civilisation supérieure élaborée au cours des siècles. Comme les races ne pouvaient se maintenir indéfiniment dans un cloisonnement hermétique, elles allaient donc se mélanger les unes aux autres. Ce brassage aurait engendré une race impure. La race blanche allait se retrouver « contaminée » à tel point qu’elle serait incapable de maintenir sa propre culture. De ces axiomes de Gobineau, dérivaient toutes sortes de comportements coloniaux décrits par la littérature missionnaire, tel que la ségrégation raciale, la question du concubinage des Blancs avec les femmes noires, le problème, très médiatique en Belgique, de l’éducation des mulâtres, etc.

Le développement de l’ethnologie, à partir de la première moitié du 19e siècle, faisait créditer l’idée que les variations culturelles étaient fonction de diverses races et qu’il était important d’étudier les particularités physiques de chaque groupe humain 2 .

La venue de l’anthropologie physique et de la physiologie confortait l’opinion dans l’idée que les composantes physiques de l’homme dictaient sa conduite. La vieille conception que le corps, en extériorisant l’âme, dévoile les vices et les vertus de l’homme, retrouvait une nouvelle vigueur. D’après les savants de cette époque, les espèces humaines différaient par la structure de leur corps, leur organisation interne et par leurs facultés intellectuelles. Ces éléments conjugués déterminaient le degré de développement moral que chaque homme pourrait atteindre. Un des déterminants physiques se trouvait être la couleur de la peau. Les Européens voyaient en la pigmentation des Noirs le signe concret de la basse condition de ceux-ci dans la famille humaine. Tout au long des siècles la couleur noire n’avait cessé de refléter quelque chose de négatif dans la culture occidentale. Pour la plupart des Européens, même les plus cultivés, le teint des Noirs était un indice des forces négatives à l’œuvre chez eux. Le démon et les forces du mal étaient représentés par la couleur noire. Dans la tradition mythologique du monde occidental, la couleur noire n’était-elle pas le symbole des forces chthoniennes et du monde de nuit 3  ?

L’attention des anthropologues allait aussi se focaliser sur la forme du visage et la dimension du crâne. Les hommes de science mettaient en rapport les traits faciaux et les destins particuliers à chaque race. La forme de la tête et les proportions des traits de la face révélaient le caractère d’un individu et le déterminait aussi. C’est ainsi que, d’après Virey, chez le Blanc, le front avance et la bouche semble se rapetisser, se reculer, comme s’il était destiné à penser plutôt qu’à manger ; chez le Noir le front se recule et la bouche s’avance, comme s’il était plutôt fait pour manger que pour réfléchir 1 .

La boîte crânienne était censée renfermer la clé du comportement humain. On supposait que la taille du crâne reflétait celle de l’encéphale et, par conséquent, l’intellect du sujet. Des anthropologues, comme Broca et son disciple Gustave Le Bon 2 par exemple, se mettaient à mesurer le crâne de membres des races blanche et noire ; ils déclaraient avoir trouvé des différences significatives entre la capacité crânienne des Blancs et celle des Noirs. Or un crâne volumineux cachait un large cerveau et un large cerveau était la caractéristique des sujets les plus intelligents. Le volume du cerveau des Noirs étant inférieur à celui des Blancs, ces savants européens concluaient que les Noirs avaient une capacité intellectuelle faible, qu’ils étaient dénués de volonté et d’esprit d’initiative.

La littérature ethnographique et missionnaire du Congo belge s’était aussi livrée à cette idéologie de mensuration. Nous reproduisons à la page ci-contre quelques portraits des individus du « Type congolais » tels que présentés par De Deken 3 .

Portraits de congolais dessinés par De Deken
Portraits de congolais dessinés par De Deken

(source : Deux ans au Congo…,p. 169)

Adolphe Quételet, statisticien belge, avait essayé, à l’aide de chiffres, de cerner la nature de l’homme moyen qui représenterait la beauté et la moralité absolues. La perfection humaine serait atteinte lorsque tous les hommes se rapprocheraient dans leurs dimensions physiques de « l’homme moyen ». Dans le domaine racial, les Blancs constituaient l’idéal et tout ce qui s’en écartait était interprété comme la preuve de l’imperfection 1 . On s’est alors mis à comparer un à un les organes des Noirs à ceux des Blancs et à conclure que l’anatomie du Noir s’écartait de la norme. On attribuait au Noir, par exemple, des organes sexuels démesurés et une sexualité débridée 2 .

Trois Ding photograpiés par J. B. Adam
Trois Ding photograpiés par J. B. Adam

(source : RMI)

Notes
2.

Lire PORTAL, F., Des couleurs symboliques dans l’antiquité, le moyen âge, et les temps modernes, Paris, 1957, p. 21 et 103.

3.

VELLUT, Émeri Cambier…, op.cit., p. 42.

4.

GOBINEAU, A., Essai sur l’inégalité des races humaines, réimp. de l’éd de 1854, Paris, 1967, t.1., p. 29.

2.

COHEN, Français et Africains…, op.cit., p. 303.

3.

Cf. NKAY, Terre de Dieu, Terre des hommes…, op.cit., p. 11-12.

1.

VIREY, J. J., Histoire naturelle du genre humain, Paris, 1801, t. 1., p. 434-435.

2.

Lire COHEN, Français et Africains…, op.cit., p. 318.

3.

DE DEKEN, Deux ans au Congo…, op.cit., p. 169.

1.

QUETELET, A., Sur l’homme, Paris, 1835, t. 2, p. 274, 326-327.

2.

Cf. infra.