2. CONTEXTE THÉOLOGIQUE

Pour comprendre le comportement des missionnaires, il ne faut pas seulement appréhender le contexte anthropologique dans lequel ils ont évolué mais aussi les ressorts théologiques de leurs actions.

2. 1. NÈGRES MAUDITS !

Comme tous leurs contemporains, les missionnaires belges qui débarquaient au Congo, étaient impressionnés par la couleur des Africains, la différence de coutumes et de mode de vie. Il leur fallait trouver une explication théologique à ces phénomènes. Ils allaient rapidement recourir à une recette qui était à la mode depuis bien longtemps en occident : le mythe chamitique qui reléguait les Noirs au rang le plus bas de l’humanité. D’après une lecture de Gen. 9, 18-27, généralement acceptée au 19e siècle, le fils de Noé, Japhet (l’Europe), est reçu dans les tentes de son premier fils Sem (Israël) et ces deux réduiront Cham (l’Afrique) à l’esclavage. Cham est maudit de Dieu parce qu’il s’est raillé de la nudité de son père. Et la couleur noire est le signe de cette malédiction 1 .

Précisons que cette lecture a, pendant plusieurs siècles, dans le milieu chrétien et juif, justifié la traite des esclaves noirs et elle a pourvu l’institution de l’esclavage d’un fondement religieux.

Pour expliquer les « mœurs et les coutumes » des Congolais qu’ils n’arrivaient pas à comprendre et qu’ils considéraient comme « barbares, fétichistes et aux antipodes de l’ordre social chrétien », certains missionnaires avaient simplement admis que la race noire descendait de Cham, le fils maudit de Noé. Le célèbre Cambier n’échappe pas à ce mythe ; il se montre tout prêt à relayer la complainte du Noir déchu… « Vous ne sauriez vous figurer de quelles erreurs sont frappées les intelligences de ces malheureux indigènes, de quels vices, de quelle corruption sont souillés leurs cœurs[…] il est vrai que ce même Dieu les a maudits, mais sa puissance est infinie ; pauvres gens, pauvre peuple ! On reconnaît bien là la malédiction portée contre Cham pour s’être raillé de la nudité de son père ! » 2 Ce thème revient régulièrement dans les lettres de Cambier ; il note encore : « Est-ce donc pour ces hommes sur lesquels pèse tout le poids de votre malédiction que vous avez créé cette belle nature ? Ce chant me fait penser involontairement à l’enfant de Cham qui chante son malheur et pleure sa malédiction » 3 .

À en croire Jean Pirotte, ce thème de la malédiction des Noirs, descendants de Cham, était beaucoup plus répandu dans les publications des Scheutistes que dans celles d’autres ordres et congrégations missionnaires du Congo 4 . Nous n’avons pas trouvé une référence à la malédiction de Cham dans les textes des Jésuites d’Ipamu que nous avons consultés. La question n’apparaît pas non plus chez les Sœurs de Sainte Marie de Namur et chez les Sœurs de Saint François de Sales, de Leuze.

Notes
1.

Lire COHEN, Français et Africains…, op.cit., p. 32-35 ; VAN SLAGEREN, J., « Judaïsme et mission chrétienne. Féconder le désert et abreuver les nations » in JACQUIN, F. et ZORN, J-F. (Sous dir. de), L’altérité religieuse. Un défi pour la mission chrétienne 18 e –20 e siècles, Karthala, Paris, 2001, p. 53.

2.

VELLUT, op.cit., p. 43.

3.

VELLUT, op.cit., p. 43

4.

PIROTTE, J., Périodiques missionnaires belges d’expression française. Reflets de cinquante années d’évolution d’une mentalité. 1889-1940, Louvain, 1973 (Université de Louvain, Recueil de travaux d’histoire et de philologie, 6e série, fasc.2)