2. 2. « HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT »

La tradition missionnaire de l’Église catholique prend racine dans la prédication des apôtres. Comme Pierre, ceux-ci font de la mort et de la résurrection de Jésus, l’objectif principal de leur témoignage (Act 2, 22 ss). Bien plus, suivant en cela les recommandations de Jésus (Mt 28, 19-20), les apôtres se convainquent qu’ils ont pour principale tâche d’apporter la « Bonne Nouvelle » à toutes les nations de la terre. « Malheur à moi, dit l’apôtre Paul, si je n’annonce l’Évangile ». Ceux à qui cette « Bonne Nouvelle » est annoncée, s’ils l’acceptent, ils sont baptisés. Le baptême permet au converti d’intégrer l’Église à qui, pour reprendre les mots de Benoît XV, Dieu « a confié le dépôt, le salut éternel que le Christ est venu apporter aux hommes ». C’est donc en intégrant l’Église par le baptême que les hommes et les femmes du monde entier peuvent accéder au « salut éternel ». Cette doctrine qui conditionne le salut à l’appartenance à l’Église catholique a été élaborée à partir du Concile de Florence. Celui-ci, en effet, promulgue, le 4 février 1442, la bulle Cantate Domino qui affirme :

‘[La très sainte église catholique] croit fermement, professe et prêche qu’aucun de ceux qui se trouvent en dehors de l’église catholique, non seulement païens, mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques ne peuvent devenir participants de la vie éternelle, mais iront « dans le feu éternel qui est préparé pour le diable et ses anges » (Mt 25,41), à moins qu’avant la fin de leur vie ils ne lui aient été agrégés ; elle professe aussi que l’unité du corps de l’église a un tel pouvoir que les sacrements de l’église n’ont d’utilité en vue du salut que pour ceux qui demeurent en elle, que pour eux seuls jeûne, aumônes et tous les autres devoirs de la piété et exercices de la milice chrétienne enfantent les récompenses éternelles, et que personne ne peut être sauvé, si grandes soient ses aumônes, même s’il verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré dans le sein et dans l’unité de l’église catholique 1 . ’

Telle était l’origine de la formule, devenue proverbiale, « Hors de l’église pas de salut » ; telle était aussi, à notre sens, le ressort théologique de la mission depuis les Temps Modernes. Depuis cette époque, les buts ultimes de la mission sont restés inchangés pour l’Église catholique : s’implanter partout, répandre la vraie foi catholique et intégrer, par le baptême, le plus grand nombre des personnes dans l’Église catholique, unique lieu où le Salut soit possible. Ces objectifs se retrouvent identiques dans des instructions ou encycliques missionnaires, malgré les intervalles de temps qui les séparent les unes des autres et l’adaptation du langage aux nouvelles circonstances historiques et aux précisions des théologiens 2 .

Depuis le 27 juin 1622, la papauté a créé la Congrégation romaine pour la propagation de la foi (de Propaganda fide), chargée, depuis Rome, de diriger les entreprises qui répandent la vraie foi parmi les schismatiques, les hérétiques et les païens. Cette instance sera très active tout au long de la période des missions belges au Congo. Elle sera constamment sollicitée pour délimiter les territoires, les confier à des sociétés missionnaires et nommer les chefs de mission.

Le 19e siècle connaît un réveil missionnaire spectaculaire. Nombre d’historiens attribue cet éveil à la montée du laïcisme en Europe et à l’idée de faire triompher les « droits de Dieu » et de faire construire outre-mer la société chrétienne combattue par les laïcs occidentaux. Cette poussée du catholicisme hors de ses frontières européennes était sous-tendue par une théologie de l’urgence du salut et de la responsabilité de chaque croyant. Dans leur catéchèse et leurs écrits, les missionnaires répétaient inlassablement qu’il fallait assurer « le salut des infidèles », « arracher aux ténèbres les multitudes des païens ». Ce salut et cet arrachement s’obtenaient par le baptême et l’intégration à l’Église catholique. L’axiome « hors de l’église, pas de salut », était l’objet d’une interprétation plus rigide, peut-être par les théologiens, sûrement par la majorité des missionnaires. Il en résultait, comme nous l’avons observé aussi bien chez les Scheutistes de Pangu que chez les Jésuites d’Ipamu, un véritable acharnement à baptiser. Les récits des missionnaires mettent en scène les mille moyens utilisés pour administrer le sacrement à l’article de la mort (in articulo mortis). La parole du Christ « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Mc 16, 16) servait de fondement scripturaire à une pastorale pour laquelle le rite baptismal, qui agit « ex opera operato », était un moyen indispensable au salut des âmes.

Au Congo, dès 1907, une année après la signature d’une convention entre le Saint-Siège et l’État, les Supérieurs des Missions publiaient à l’intention de leurs missionnaires, un recueil d’instructions, une sorte de vade-mecum à l’intention des prêtres confrontés aux diverses situations pastorales sur le terrain. La première édition de ce recueil ( il sera, plusieurs fois, revu et corrigé) affirmait la doctrine séculaire de l’Église : « hors de l’église pas de salut ». Imbu de tous les préjugés que nous avons évoqués plus haut, aucun missionnaire ne voyait dans les « us et coutumes » des Africains quelque chose de positif. Il faudra attendre la fin de la première guerre mondiale pour observer quelques signes de fléchissement dans la pensée théologique missionnaire.

Notes
1.

SESBOÜÉ, B., Hors de l’Église pas de salut. Histoire d’une formule et problèmes d’interprétation, Desclée de Brouwer, Paris, 2004, p. 8.

2.

Cf. L’Instruction de 1659 à l’usage des vicaires apostoliques en partance pour les royaumes de Tonkin et de Cochinchine ; l’Instruction Neminem Profecto du 23 novembre 1845 ; L’Encyclique Maximum Illud du 30 novembre 1919 de Benoît XV ; L’Encyclique Rerum Ecclesiae du 26 février 1926 de Pie XI ; L’Encyclique Evangelii Praecones du 2 juin 1951 et l’Encyclique Fidei donum de 1957 de Pie XII ; L’Encyclique Princeps Pastorum du 28 novembre 1959 de Jean XXIII.