À l'origine des missions au Congo se trouve le Roi Léopold II. On l'a vu, bien avant la Conférence de Berlin, il aborde les Scheutistes et les Jésuites, sans grand succès à l'époque, pour leur demander de le seconder dans la constitution de ses stations scientifiques et hospitalières, embryons de son futur État Indépendant.
Pendant la Conférence de Berlin, il n'hésite pas à s'opposer aux ambitions du Portugal qui voulait ressusciter le droit d'intervenir dans les affaires religieuses des contrées sur lesquelles, autrefois, la papauté lui avait reconnu le privilège du patronat.
Lorsqu'il s'agira de délimiter les circonscriptions ecclésiastiques en Afrique centrale, le monarque fera pression sur le Saint-Siège pour écarter du Congo les Spiritains français et exiger des supérieurs de Pères Blancs de n'envoyer dans leurs missions du Congo que des missionnaires belges.
C'est aussi sur insistance du Roi que les Scheutistes et les Jésuites belges acceptent de s'implanter au Congo.
Le Roi avait donc exigé et obtenu que «son Congo» soit réservé aux seuls missionnaires belges, du moins en ce qui concerne les missions catholiques. Cette préférence pour les catholiques belges devait bientôt apparaître en contradiction avec l'Acte de Berlin qui recommandait la protection des institutions religieuses sans distinction ni de culte ni de nationalité.
La question s'est posée d'une manière aiguë vers 1906, lorsque des campagnes d'opinion accumulent des griefs contre l'administration coloniale du Roi et contre certaines réalisations missionnaires. Il fallait que les experts précisent le sens exact des mots «protéger» et «favoriser» contenus dans le texte de l'Acte de Berlin. Après d'âpres débats, on en vient à conclure que «si un gouvernement colonial estime opportun d'apporter à certaines œuvres une aide et une assistance matérielle quelconque, il peut le faire sans crainte d'une intervention des Puissances cosignataires» 1 . Cette conclusion va permettre à l'autorité belge de poursuivre une politique de «préférence patriotique» visant à favoriser et à protéger ce qu'on a appelé plus tard les Missions nationales.
C'est ainsi, par exemple, que la personnalité juridique sera accordée, jusqu'en 1940, à environ 155 Sociétés missionnaires, essentiellement belges, en vertu d'un décret royal du 28 décembre 1888 conférant ce privilège aux associations religieuses, scientifiques et philanthropiques, avec des modalités fort précises permettant le libre développement des œuvres missionnaires, tout en préservant le Congo des «ingérences étrangères intéressées» 2 .
Le 26 mai 1906 est conclue entre le Saint-Siège et l'État Indépendant du Congo, une Convention qui équivaut presque à un concordat.
Les Missions catholiques s'engageaient à créer des écoles indigènes sous le contrôle du Gouvernement; elles assureraient dans la mesure de leur personnel disponible et moyennant traitement équitable, le ministère sacerdotal dans les centres; elles notifieraient au Gouverneur Général la nomination de chaque supérieur de Mission; enfin les missionnaires entreprendraient pour le compte de l'État et moyennant indemnité, certains travaux spéciaux d'ordre scientifique rentrant dans leur compétence, tels que les reconnaissances géographiques, ethnographiques, linguistiques, etc.
De son côté, l'État promettait d'allouer à chaque poste ou station de Mission, dont l'établissement serait décidé de plein accord, 100 à 200 hectares de terres cultivables. Ces terres seraient concédées à titre gratuit et en propriété perpétuelle, mais elles ne pourraient être aliénées et devraient rester affectées aux œuvres de Mission.
Enfin les deux parties contractantes recommanderaient toujours à leurs subordonnés la plus parfaite harmonie. Si néanmoins des difficultés venaient à surgir entre missionnaires et agents de l'État, elles seraient réglées à l'amiable par les autorités locales respectives. Si l'entente ne pouvait s'obtenir, les autorités locales en référeraient aux autorités supérieures 1 .
Lorsqu'en 1908, la Belgique succède à l'État Indépendant, elle reprend à son compte les divers engagements assumés par Léopold II vis-à-vis des missions et les complète par des nouvelles dispositions.
La charte coloniale du 18 octobre 1908, dans son article 2, entend appliquer au Congo les grandes libertés constitutionnelles contenues dans la constitution belge, notamment la liberté religieuse, et accorde une protection spéciale aux missionnaires. La convention de Saint-Germain-en-Laye précise que la liberté religieuse comprend le droit pour les missionnaires d'entrer, de circuler et de résider au Congo, avec faculté de s'y établir pour poursuivre leur œuvre religieuse.
La Convention de 1906 sera appliquée pendant longtemps d'une manière assez confuse: le contrôle des écoles ne se faisait pas et l'administration coloniale octroyait ses subsides au moyen des crédits votés annuellement avec le budget colonial, mais dont la répartition se faisait sans bases objectives ni stipulation de contre-prestations. Cette situation s'est prolongée jusqu'en 1925. À ce moment, la colonie passe, avec chaque mission nationale particulière, une convention 2 fixant pour vingt ans les engagements des parties. Le Gouvernement accorde une allocation de 5.000 frs belges par an et par établissement de Mission assurant le ministère sacerdotal dans les centres importants du Congo. Sont considérés comme «centres importants» les chefs-lieux de provinces et des districts, les localités qualifiées « circonscriptions urbaines» et, en outre, toutes les stations d'évangélisation auxquelles sont attachés normalement au moins trois missionnaires. Dans les centres où résident plus de 100 européens, l'allocation était portée à 10.000 Frs.
Cette convention fixait également l'organisation de l'entente en matière scolaire et les subsides accordés aux écoles.
Plusieurs autres avantages ont été accordés aux missions belges en dehors de ce qui était prévu par les textes officiels, par exemple, des privilèges d'ordre fiscal ou budgétaire tels que la réduction ou l'exonération de l'impôt personnel, des tarifs de faveur sur certaines lignes de chemin de fer ou de navigation, l'exemption de droits d'entrée pour les objets destinés au culte, etc.
La notion exacte de Mission nationale a été précisée à l'occasion d'une discussion sur le budget colonial de 1926. Suivant les déclarations du Ministère des colonies à la commission du Budget, il fallait entendre par Missions nationales « les Sociétés de Missions sans distinction de culte qui ont leur siège en Belgique, qui sont dirigées par des Belges et qui comptent un certain nombre de Belges par leurs missionnaires au Congo» 1 .
Comme on le voit, les Missions et la colonie entretenaient d'étroits rapports de collaboration. Dans l'idéologie coloniale belge, la Mission et l'État avaient un même combat à mener, une même justification à fournir : apporter les lumières de la «civilisation» aux populations demeurées en dehors du monde occidental policé.
L'État avait besoin des missionnaires parce, malgré leur contestation en Europe par la pensée laïque, les missionnaires demeuraient des experts incontestés en matière d'éducation à la «civilisation». Ils étaient les seuls capables d'apporter non seulement «la lumière de la foi et la bonne nouvelle de la rédemption» à « ces pauvres gens dont les pensées et les préoccupations sont bien terre-à-terre», mais aussi cette «efflorescence du christianisme, qui s'appelle la civilisation» et qui interdit à l'indigène de «suivre la loi du moindre effort qui est celle de sa race, et de croupir dans sa misère ancestrale» qui risquerait de le faire «retomber sous le joug de la superstition» 2 . Dans cette optique, le missionnaire devait stimuler l'activité économique des indigènes, leur inculquer le goût du travail et le désir du progrès. En dehors de leur objet propre et direct, qui est l'apostolat religieux, les Missions devaient «collaborer aux œuvres de médecine et d'hygiène, aux œuvres sociales, aux recherches scientifiques, aux entreprises économiques et surtout aux œuvres scolaires» 3 . Telle était la place de la Mission dans la division coloniale du travail. Les missionnaires belges en étaient conscients. Leur engagement pour aller réaliser ces lourdes tâches, au Congo, apparaissait comme un devoir sacré et un signe de dévouement à l'Église, au Roi et à leur mère patrie.
Quant aux natifs, il n'est donc pas étonnant, en observant les relations entre la Mission et l'État, comme nous l'avons écrit ailleurs 1 , qu'ils aient perçu l’œuvre missionnaire comme une des modalités de l'action coloniale.
De JONGHE, E., «Les missions religieuses au Congo belge», dans Congo, I(1933) 1, p. 12-13.
B.O., 1888.
Le texte intégral de la Convention entre le Saint Siège Apostolique et l'État Indépendant du Congo, se trouve dans le B.O., 1906, p. 158-160 ou dans De JONGHE, op. cit, p. 14-15.
Cette convention est connu sous le nom de « Convention De Jonghe». Voir De JONGHE, idem, p. 13
Rapport de M. MATHIEU, doc. 43, session 1926, Chambre des représentants.
Conférence des Supérieurs des Missions catholiques du Congo belge, Recueil d'instructions aux missionnaires, 6e édition, 1930, p. 16-20.
De JONGHE, op.cit, p.16.
NKAY, «L'église catholique...», op.cit., p. 299-302.