1. 3. LES AUTRES « TRAVAILLEURS »

Dans l’épopée missionnaire, on oublie souvent ces autres protagonistes, presque anonymes, que sont les «travailleurs» de Pères.

Chrétiens à Pangu, 1910.
Chrétiens à Pangu, 1910.

(source, René Baerts 1910)

Dans le Kasaï cette catégorie de personnages inclut plusieurs corps de métiers dont le plus envié reste celui des « boys ». Le personnage de boy ou domestique mérite qu’on s’y arrête un peu. Il est le chef cuisinier des Pères. À ce titre, il est le seul à savoir le genre de nourriture que consomme le « Blanc de Dieu », la façon dont ces aliments sont préparés, le cérémonial qui précède et suit le repas des missionnaires. Il lui arrive parfois de capter l’une ou l’autre confidence que les Pères se disent à table. Lors des sorties en « brousse », il joue au majordome et à l’interprète du Père. C’est auprès de lui que le catéchiste du village va s’enquérir sur ce que le Père mange ou ne mange pas. Il fait le lit du Père, lui prépare sa douche et, comme une bonne ménagère, il pourvoit à quelques petits soucis matériels du missionnaire. Son rôle est encore plus important lorsqu’il se mêle au ministère du missionnaire. Il l’aide à entrer en contact avec les indigènes. Baerts raconte comment son boy lui a été d’un précieux apport dans sa recherche des malades du sommeil à baptiser : « Ici à Ekumene, je baptise 11 moribonds, tous atteints de la maladie du sommeil. Mon boy parle leur langue et il est bien instruit. Il est bien accueilli, dans sa recherche des malades : on les lui présente spontanément, et il n’essuie qu’un seul refus » 1 .

À lire la documentation aujourd’hui disponible, on peut penser que chaque missionnaire qui « faisait la brousse » avait son boy.

À la mission, il y avait un quartier réservé aux boys 2 . Ces auxiliaires indispensables à la vie et à l’action du missionnaire étaient eux-mêmes des « bons chrétiens ». Parce qu’ils devaient suivre les Pères dans leurs périples, les boys étaient surtout des jeunes célibataires choisis parmi les néophytes dévoués. Si Baerts ne nous livre pas le nom de son boy, nous connaissons les noms de Georges Kayembe, boy du Père Van Oost et de Jean, boy du Père Sterpin, mort à Luebo le 26 janvier 1912 des suites de coups de poing reçus d’un nommé Lisashi 3 .

Par rapport à la société indigène, le boy est un privilégié. Il est censé connaître les « secrets » de missionnaires blancs, il possède même la « science de leur art culinaire » 4 . À regarder de près, ces boys sont à l’origine de toute sorte de ragots qui circule encore aujourd’hui, parmi les natifs, au sujet des missionnaires. Ils sont cru à cause de leurs affinités avec les Pères.

À l’époque de missionnaires de Pangu, comme il n’y avait pas encore de routes carrossables, le porteur jouait un rôle capital dans le transport des personnes et des biens. Dans son rapport de 1912, Janssens donne quelques indications sur ce personnage : « La pirogue sur les rivières et fort rarement le hamac en cas de fatigue de la marche dans l’intérieur du pays, sont les moyens de voyager. Les porteurs du Père sont des travailleurs de la mission. Le paiement des porteurs est le même que celui qu’ils ont à la mission. Parmi ces porteurs, il y a des catéchumènes, des chrétiens et autres, toujours aux même conditions et en tant que travailleurs engagés sans terme déterminé à la mission » 1 . Même si la pirogue demeurait le principal moyen de transport sur la Loange, la Lubwe et le Kasaï, il a fallu des porteurs pour emmener les charges jusqu’à ces cours d’eau ou pour atteindre les plateaux herbeux du sud où les cours d’eaux n’étaient plus navigables.

D’après Baerts, c’est parmi les Mbuun et les Pende que les Compagnies commerciales, les agents européens et aussi les missionnaires recrutaient leurs contingents de porteurs. Il donne quelques estimations de distances que ces hommes parcouraient :

« De Dumba à Kikwit, mission des Pères Jésuites, il y a quatre jours de marche pour une caravane de porteurs, de Dumba à Ibunda, deux jours, de Pangu aux Apende – par les Bakongo, - quatre à cinq jours » 2 .

Le travail de ceux qui sont préposés à transporter le Père vautré sur son hamac était des plus délicats. Gare à eux si le missionnaire venait à tomber lors d’une glissade ou d’un faux pas au passage d’un pont 3 .

Mais la tâche la plus rude pour les porteurs reste le transport des charges. Janssens estime que pour les porteurs de Pangu la charge était « de 30 à 40 kgrs par deux porteurs » 4 . Le plus difficile n’était surtout pas le poids mais les sentiers que les porteurs devaient emprunter à travers la jungle tropicale.

Les porteurs contribuaient indirectement à répandre l’évangile. Ils parlaient du « Bon Dieu » dans leurs pérégrinations à travers différents villages.

À côté des boys et des porteurs, plusieurs autres travailleurs étaient au service des Scheutistes de Pangu : infirmier, constructeurs, tireur de vin, jardinier, éleveur, coupeurs de bois, factotum, etc. Janssens dévoile que tous ces travailleurs recevaient « comme paiement : au mois six francs ou quatre brasses d’étoffe indigo drill ou Tukula. On les paie aussi en nature à leur choix, surtout en objets d’utilité et de variété. Il reçoivent aussi par semaine sept morceaux de fil de cuivre soit en somme 2 m 17 de fil de cuivre rouge de 3 mm d’épaisseur » 1 . Les Pères prétendent que leurs employés travaillaient « pendant cinq heures avant midi et pendant trois heures après midi » 2  ; que la plupart des travailleurs se sont présentés spontanément et qu’ils ne comptaient ni sur les chefs ni sur les capitas pour le recrutement de leurs travailleurs 3 .

Une chose est certaine : il était difficile de rester longtemps au service des Pères sans être catéchumène ou chrétien. Les travailleurs qui résidaient à la mission avaient l’obligation de mener une vie chrétienne exemplaire : mariage, obligation de participer aux exercices spirituels (messe, prière, confession, etc.), éducation chrétienne des enfants, etc. .

Notes
1.

BAERTS, « Autour de Pangu… », op.cit., p.172.

2.

D’après le JMP, un début d’incendie s’était déclaré chez les boys, le 23 mars 1919. Il était vite éteint par le Père Laemont.

3.

JMP, 29 janvier 1912.

4.

Aujourd’hui encore lorsqu’on mène une enquête sur les missionnaires, les gens vous conseillent d’aller consulter tel ou tel autre ancien boy des Pères. Dans les villages, lorsqu’on veut servir des mets européens, c’est l’ancien boy des Pères qui est sollicité. Celui-ci ne s’offusque pas souvent de vanter son savoir-faire acquis auprès des missionnaires.

1.

JANSSENS, Mpangu St Pierre Claver, le 15 mai 1912, ARCCIM, Z/III/b/3/1/21.

2.

BAERTS « Autour de Pangu… », op.cit., p.170.

3.

Un témoin rapporte l’aventure de ces quatre porteurs qui transportaient un missionnaire. À la descente d’une pente, après un de ces orages tropicaux, les hommes ont culbuté sur la terre argileuse entraînant dans leur chute le missionnaire avec sa soutane blanche. Le Père s’en est, heureusement, sorti seulement avec sa soutane toute mouillée et peinte en rouge. Comme le trajet devait continuer, il n’a pas voulu monter le ton de peur d’être abandonné en cours de chemin. Il a, malgré lui, repris sa place sur le hamac, mais, une fois, arrivé au poste d’État, il est allé porter plainte contre ses « tombeurs » et exiger que le « Bula-Matari » leur applique la peine de la « chicote ». Comme quoi, être porteur était un métier à risque.

4.

JANSSENS, Mpangu St Pierre Claver…, op.cit.

1.

Ibidem.

2.

Ibidem.

3.

JANSSENS, Mpangu St Pierre Claver…, op.cit.