2. 2. SOINS AMBULATOIRES ET BAPTÊME DES MOURANTS

La médecine ne s’arrêtait pas à l’hôpital de Pangu. Les missionnaires profitaient de leurs tournées pastorales dans les villages pour procurer les médicaments à ceux qui souffraient 4 . Ils repéraient les malades du sommeil ou d’autres mourants et leur administraient le baptême. Les catéchistes et les boys aidaient les missionnaires dans leur tâche. Le père Baerts nous raconte comment il avait réussi à débusquer, lors d’un de ses voyages, quelques moribonds qu’il a baptisés : «  Ici, à Ekumene, je baptise 11 moribonds, tous atteints de la maladie du sommeil. Mon boy parle leur langue et il est bien instruit. Il est bien accueilli, dans sa recherche des malades : on les lui présente spontanément, et il n’essuie qu’un refus » 1 . Trouver des malades à baptiser n’était pas chose facile. Dans plusieurs passages de leurs écrits, les missionnaires de Pangu indiquent que les gens se méfiaient d’eux. Ils avaient peur de l’eau du baptême parce que celle-ci, croyaient-ils, donnaient la mort aux mourants. La venue du Père semait la panique parmi les malades et les proches s’empressaient de les cacher.

En 1910, René Baerts décrivait une scène qui s’était déroulée dans un village des Banzadi :

‘[…] La superstition de nos indigènes leur est plus chère que la prunelle de leurs yeux. Ils craignent de se convertir et redoutent le baptême, par esprit d’atavisme : le changement de religion les empêcherait d’aller rejoindre leurs parents et leurs proches. Tout récemment encore, je fus mandé, pour une fillette moribonde, chez les Badjari, à quelque dix kilomètres de la mission. Je m’y rendis en pirogue […]. Arrivé à destination, j’avais à peine fait amarrer la barque qu’un noir vint me dire : « L’enfant est morte, Père, inutile de vous déranger, vous pouvez retourner à Mpangu ! ». Oh ça, l’ami, ton accueil n’est pas charmant, et me dit assez qu’il y a anguille sous roche. Je vais voir la fillette : elle vivait encore. Heureuse bambine ! elle n’était pas ondoyée d’un quart d’heure qu’elle se réveillait en paradis. Mais à côté de cette privilégiée, qui doit son bonheur éternel à la prière de quelque âme fervente de ma lointaine patrie, combien navrant est le sort de tant de malheureux, que leurs parents superstitieux cachent dans la brousse pour les dérober au missionnaire ou au catéchiste qui leur ouvrirait le ciel ! 2

Les baptêmes à l’article de la mort (in articulo mortis) avaient une telle importance que les missionnaires les conféraient presque à tour de bras. Dans les registres, ils étaient clairement séparés des autres. Ces baptêmes répondaient à une exigence de la théologie sacramentaire de l’époque qui voulait que le baptême soit l’unique voie du salut. Mourir sans baptême signifiait la damnation.

Ainsi Baerts écrira-t-il : « Pauvres noirs, vous êtes logés à bien mauvaise enseigne pour vous soustraire à l’envoyé du ciel, tandis que vous vous jetez à corps perdu dans les filets du démon, éternel ennemi de Dieu et de vos âmes ! » 3

Nous verrons dans la deuxième partie de ce travail que les Ding orientaux ne percevaient pas la question de la même manière.

Notes
4.

La preuve que les missionnaires soignaient les malades lors de leurs périples apostoliques nous est donnée par ce récit du Père BAERTS. Il revient de chez les Pende et arrive au village Ibunda : « Le soir, écrit-il, j’étais assis devant ma tente. Un petit indigène restait obstinément à mes côtés, un peu pensif. Il savait bien ses prières, mais il avait des sarnes aux chevilles. Tout-à-coup il se lève. « Père, me dit-il, donnez-moi encore un peu du remède de ce matin. Un pied est guéri ; l’autre le sera demain. Je vous accompagnerai à Pangu, n’est-ce pas ? » Lire BAERTS, « Autour de Pangu St Pierre Claver », in MCC, 1914, p. 172.

1.

BAERTS, « Autour de Pangu… », op.cit., p. 170.

2.

BAERTS, « Lettre à un confrère… », op.cit., p. 215-216.

3.

BAERTS, « Lettre à un confrère… », op.cit., p. 216