3. 2. PROGRAMME ET OBJECTIFS DE LA FORMATION

Jusque vers 1915, les Scheutistes du Kasaï n’avaient pas un programme d’enseignement commun. D’ailleurs, ils hésitaient sur les objectifs que devait poursuivre l’école. Les missionnaires eux-mêmes étaient très peu préparés pour cette forme d’apostolat. Ils reconnaissaient volontiers qu’ils n’avaient pas la compétence des Jésuites. En 1908, le Supérieur général, le Père Botty, proposait un profil de Noir à former :

‘A mon avis, il nous faut au Kasaï, ce que les protestants ont à Bolobo, ce que les Jésuites ont à Kisantu, c’est-à-dire à employer plusieurs missionnaires à la formation d’une élite indigène de gens instruits que les administrations et les sociétés doivent employer : si nous récusons, si nous tardons, cette élite sera formée par d’autres et nous sera une vilaine engeance… et pour longtemps. ’ ‘Il faut que les gueux soient obligés de nous rendre cet hommage, que nous ne sommes pas des incapables et des retardataires ; c’est le seul titre qu’il nous reconnaîtrons, celui de civilisateurs ( Je parle du temps – peut-être hélas pas bien lointain qu’ils seraient au pouvoir).’ ‘A présent, ils louent notre dévouement, mais critiquent d’autant plus aigrement notre enseignement et nos méthodes.’ ‘En somme, ne nous contentons pas d’un dévouement sans bornes, mais obscur, mais comprenons les devoirs du temps présent, et montrons au public, par des faits et des chiffres, que si nos adeptes savent prier, ils savent aussi se bien conduire, exercer tente-six métiers, gagner honnêtement leur vie, qu’ils sont même pour quelques-uns instruits et capables et que tous sont chrétiens et civilisés.’ ‘Il faut que les gueux soient forcés de le reconnaître, et qu’ils ne se bornent pas à louer notre dévouement pour critiquer ensuite amèrement notre « pauvre enseignement et méthodes ». 3

Botty milite pour un enseignement professionnel et pratique qui ferait des Noirs du Kasaï des hommes capables non pas seulement de prier mais aussi de travailler dans les sociétés commerciales et industrielles et dans les administrations. Cette recommandation n’est pas suivie d'effet. En 1910, au démarrage de l'école de Pangu, les missionnaires proposent une ébauche de programme :

‘L’enseignement se donnera dans un laps de temps minimum de deux heures l’avant midi et une heure l’après midi. ’ ‘Il comprendra : l’avant-midi une leçon de catéchisme (texte et explication), l’après-midi, l’histoire sainte. Outre cela : la lecture, l’écriture, le calcul, quelques notions de géographie, etc. Pour autant qu’il est possible vu le nombre insuffisant de personnel enseignant.’ ‘Il est à souhaiter qu’on apprenne aux enfants la manière pratique d’entendre la sainte messe.’ ‘Les enfants se chargeront eux-mêmes de l’entretien de leurs maisons, de la cour, de l’entretien des classes. On insistera sur l’ordre et la propreté. On les initiera à l’entretien des objets de culte.’ ‘La mission pourra leur fournir le nécessaire en fait d’habillement et de nourriture 1 . ’

Cette proposition insiste, comme nous le voyons, sur la formation religieuse : le catéchisme et l’histoire sainte constituant les matières principales.

En 1912, dans son rapport, Janssens ne parle que très brièvement de matières enseignées : « On apprend à lire et écrire premièrement en langue indigène. Après les plus intelligents sont admis à la classe de français et d’arithmétique » 2 .

Disons que jusqu’au début de la première guerre mondiale, les écoles du Kasaï (et donc celle de Pangu) fonctionnent chacune avec un programme élaboré localement par les missionnaires de chaque poste. Ceux-ci se contentent de donner un enseignement rudimentaire ayant pour objectif ultime l’acquisition des connaissances religieuses (catéchisme et histoire sainte). L’apprentissage de la lecture et de l’écriture venait s’ajouter comme outil nécessaire à l'obtention et la diffusion du savoir religieux. Le calcul était indispensable pour les auxiliaires utilisés par les Compagnies européennes ou l’État (capita-acheteurs ou percepteurs d’impôt).

En 1915, Égide de Boeck, Pro-préfet Apostolique du Kasaï, envoie, à ses confrères, une instruction relative à l’enseignement. Il commence sa lettre par une espèce d’état des lieux. Le constat est mi-figue mi-raisin :

‘Nos résultats en matière d’enseignement ne correspondent pas toujours aux dépenses, ni quelquefois aux efforts faits dans ce but. Je pense que la raison en est, pour les dépenses qu’on en fait, une bonne partie sans en discerner assez leur réelle utilité ; pour les efforts, qu’ils ne sont pas assez méthodiques.’ ‘Certes nous ne sommes pas armés pour l’enseignement, et le fussions-nous, le nombre beaucoup trop considérable d’élèves, - la besogne souvent plus que suffisante qu’on trouve en dehors de l’école, seront toujours des obstacles sérieux à la bonne marche de l’instruction. Heureusement nous ne sommes pas sans avoir aussi quelques avantages. Nous n’avons pas à enseigner de langue maternelle : dès que nos enfants savent lire et écrire, ils connaissent parfaitement le congolais ; -les premières opérations d’arithmétique, conduites méthodiquement, ne sont généralement qu’un jeu pour eux ; - notre programme ne doit pas être chargé comme en Europe 1 .’

Devant ce résultat mitigé, De Boeck estime qu’avec de la bonne volonté un résultat plus appréciable peut être obtenu à condition de s’appliquer sur certains points. D’abord ne dépenser ses forces, son temps et son argent non pas aux élèves irréguliers ou temporaires mais plutôt aux seuls élèves réguliers destinés à rester quelques années.

Ensuite contrôler l’application des élèves. Ceux-ci « devront passer un examen dont seule la réussite donnera droit à un pagne comme récompense. Si nos moyens le permettent, les meilleurs élèves pourront encore recevoir une récompense de fin d’année ; mais qu’on s’abstienne de faire des frais en faveur de ceux dont le seul mérite consiste à grossir le chiffre des présences » 2 . Enfin, il est nécessaire d’élaborer un programme et de fixer l’objectif à atteindre : « Le maître (blanc ou noir) doit savoir le but à atteindre ; l’élève, les progrès à réaliser en vue des faveurs » 3 .

De Boeck fixe les grandes lignes de ce programme :

Religion, Catéchisme et histoire sainte.

Lecture et écriture du congolais. Calligraphie.

Arithmétique.

Géographique générale et du Congo.

Quelques notions d’histoire (congolaise), de sciences naturelles, d’hygiène, de politesse 4 .

Le Pro-préfet indique aussi que ce programme « semble bien réalisable en quatre années d’étude, comprenant le degré inférieur et le degré moyen. Il formerait de bons éléments pour le degré supérieur, qui serait constitué par l’école des catéchistes, ou, éventuellement, par une école préparant à d’autres emplois ».

Il promet de faire « circuler dans les missions quelques notions de méthodologie et un programme détaillé » 1 , utiles aux confrères-instituteurs. Il insiste sur l’urgence de la formation de moniteurs noirs.

Pour terminer sa note, le Pro-préfet apostolique attire l’attention de ses missionnaires sur deux points des plus importants :

‘1° La création d’une école de catéchistes à Luluabourg ne décharge en aucune façon les autres missions du devoir de former elles-mêmes des catéchistes. On ne peut nier que pour ceux-ci, deux degrés d’instruction serait un minimum de connaissances requises.’ ‘2° Si la seconde génération doit réaliser les espérances qu’on fonde partout sur elle, elle ne le fera évidemment que dans la mesure de l’éducation reçue. Je sais parfaitement qu’une besogne écrasante nous est imposée partout par les œuvres que j’appellerais extra muros ; mais je me demande, non sans crainte, ce que deviendront ces enfants qui naissent et grandissent sous nos yeux 2 .’

Cette lettre de De Boeck a eu une grande importance dans l’évolution du système d’enseignement dans le Kasaï. Désormais, un programme commun allait s’imposer à toutes les missions. Les élèves allaient être évalués et encadrés suivant une certaine exigence éducative et disciplinaire. Les objectifs à atteindre sont restés les mêmes, principalement la formation religieuse (surtout celle des catéchistes) et secondairement la formation des agents subalternes de l’État et du commerce.

L’instruction de De Boeck était connue des missionnaires de Pangu. La copie que nous venons d’analyser se trouve dans le dossier de cette mission. Nous pouvons donc supposer qu’à partir de 1915 l’école de Pangu était organisée suivant cette nouvelle instruction.

La situation créée par l’instruction de De Boeck prévaut jusqu’aux années 20. En 1922, bien après la suppression de Pangu, une commission constituée par le ministre des colonies, Louis Franck, élabore les principes de base du système scolaire applicables à toutes les parties du Congo. Ce système met l’accent sur la primauté donnée à l’éducation plutôt qu’à l’instruction. Les programmes sont élaborés et les méthodes proposées en fonction de l’adaptation au milieu « indigène ». L’enseignement doit se faire dans les langues locales car on estime que la connaissance du français est source d’orgueil et de prétention 3 . Ces années 20 correspondent à la période de l’évangélisation des Ding orientaux par les Jésuites.

Notes
3.

Lettre de Botty citée par CAMBIER dans une circulaire envoyée au missionnaire du Kasaï en 1908, ARCCIM, P/II/b/2 (manuscrit).

1.

Lettre de Botty..., op.cit.

2.

JANSSENS, Mpangu St Pierre Claver, le 15 mai 1912, ARCCIM, Z/III/b/3/1/21.

1.

Lettre circulaire de DE BOECK aux missionnaires du Kasaï, Saint Joseph, le 30 janvier 1915, ARCCIM, P/II/b/3.

2.

Lettre circulaire de DE BOECK aux missionnaires du Kasaï…

3.

Idem.

4.

Lettre circulaire de DE BOECK aux missionnaires du Kasaï…

1.

Idem.

2.

Ibidem

3.

NDAYWEL, Histoire générale du Congo…, p. 402.