Les différentes statistiques indiquent que les Missionnaires de Pangu ont béni un certain nombre de mariages. Il y en aurait eu 22 dans l’année 1912-1913 et 19 en 1913-1914. Nous ne sommes pas encore en mesure de distinguer les Ding orientaux de l'ensemble des mariés de Pangu.
Le mariage est tellement important pour l’Église que le Recueil d'Instructions lui réserve une large place. La première question qui se pose à tous les missionnaires est celle « de la validité des mariages indigènes » 2 . Comment s’assurer que deux catéchumènes qui se présentent pour le mariage n’ont pas d’empêchements par rapport aux normes qui régissent leur communauté d’origine et par rapport au droit de l’Église ?
Le Recueil d’Instructions conseille aux Supérieurs des stations de mission d’annoter « très exactement toutes les habitudes et pratiques en usages chez les indigènes, au milieu desquels ils se trouvent, pour les fiançailles, les contrats de mariage, les fêtes et les solennités qui les accompagnent, ainsi que le divorce » 3 . Ces notes sont éventuellement transmises aux chefs ecclésiastiques qui, après les avoir étudiées, peuvent se former une idée précise de la validité des mariages indigènes.
À l’état actuel de nos connaissances, il ne semble pas que les Scheutistes de Pangu aient entrepris minutieusement de telles enquêtes. La seule annotation que nous avons du mariage chez les Ding orientaux est celle, laconique, de Janssens : « Ils (les Badinga) pratiquent la polygamie et achètent la femme. 160 à 200 mitakos est le prix de la femme ce qui est environ vingt francs. La prostitution se pratique chez eux sur une grande échelle. Quelques hommes libres ont une femme libre et ont des esclaves dont les enfants leur appartiennent. Pour les femmes libres ils donnent la dot au père et pour les femmes esclaves on donne la dot au chef de village » 1 . Il est difficile, faute de sources, de dire comment les missionnaires arrivaient à déterminer la validité du mariage indigène.
Le Recueil d’Instructions suggère quelques précautions à prendre pour assurer cette validité : « Quand deux catéchumènes se présentent pour le mariage, le missionnaire doit s’assurer qu’il n’y a aucun empêchement de droit naturel 2 .
Si l’un des deux fiancés au moins est chrétien, l’examen portera de plus sur les empêchements de droit divin et ecclésiastique. Il doit surtout s’assurer que les deux fiancés sont libres de tout lien matrimonial antérieur ».
Le Recueil indique toute la procédure à suivre pour ceux qui veulent se marier afin de prouver qu’ils ne s’étaient pas mariés auparavant. La recherche de ces preuves peut emmener le missionnaire à recourir au témoignage d’un Blanc ou au « serment supplétoire ». Le Recueil précise la manière et les termes du serment :
‘[…] l’assemblée prescrit une prestation de serment solennelle. Le missionnaire commencera par inculquer au Noir la gravité de l’acte qu’il va accomplir, l’impossibilité de tromper Dieu, l’inefficacité pratique de son mensonge pour se marier sans être libre, la vengeance divine qu’il appelle sur lui ; il annoncera ensuite que le serment se fera solennellement et le lendemain, pour lui laisser le temps de réfléchir. Au temps voulu l’intéressé sera, si faire se peut, introduit devant une table sur laquelle se trouvera un crucifix, un ou deux cierges allumés et le livre des évangiles ou un missel. Assis et revêtu de l’étole, le missionnaire fera mettre l’intéressé à genoux, il lui fera toucher de la main un évangile et récitera avant lui la formule de serment qu’il terminera par ces mots : « si je mens, j’accepte que Dieu me frappe, ainsi que les Saints » 3 ’En réalité, les missionnaires, confrontés à la difficulté de comprendre toutes les subtilités des usages matrimoniaux des africains, n’ont jamais cherché à appliquer toutes ces arguties du droit romain. Ils ont béni tous les mariages qui se présentaient à eux tant qu’il n’y avait personne pour faire une quelconque réclamation.
En ce qui concerne les liens matrimoniaux antérieurs, les missionnaires acceptent qu’une femme déliée d’une union polygamique puisse se marier religieusement avec un homme de son choix. Il en était de même d’un polygame qui abandonnait toutes ses femmes et n’en gardait qu’une seule. Il avait droit au baptême et au mariage.
Un autre problème qui devait se poser à cette époque est celui du mariage entre deux personnes d’ethnies différentes. Les missionnaires de Pangu sont fréquemment confrontés à pareille situation d’autant plus qu’avec le développement des factoreries (Pangu, Lubwe, Mangaï, Eolo, Dima, etc.) et des transports fluviaux, le brassage des populations commence à s’opérer. Le Recueil d’Instructions donne une solution à ce problème : « Les supérieurs sont d’avis qu’il faut s’opposer autant que possible aux mariages entre personnes de races différentes, surtout quand ces races sont ennemies ou habitent des contrées éloignées l’une de l’autre. On ne peut y procéder que dans le cas où tous les moyens employés pour en dissuader les intéressés ont échoué. Même dans ce cas, il sera préférable de tolérer une union illégitime, surtout quand on prévoit qu’elle ne sera que passagère, plutôt que de procéder à un mariage qui ne tiendra pas » 1 .
Cette solution ne répondait pas à la réalité du terrain. Les races telles que les définissaient les Supérieurs de Missions étaient une fiction qui ne s’occupait guère de la vie privée des gens. Avant même l’installation des missionnaires, les Ding orientaux contactaient des mariages avec les Lele, les Wongo, les Pende, les Mbuun, les Ding occidentaux, les Ngwii, les Nkutu, les Nzadi, etc 2 . L’implantation des missionnaires n’a en rien altéré ces alliances séculaires.
Si dans les factoreries la majorité de travailleurs vont chercher leurs épouses dans leurs ethnies d’origine, un certain nombre, minoritaire certes, trouvent leurs compagnes soit parmi les femmes de l’ethnie locale soit parmi celles venues d’autres ethnies et attirées par la liberté des mœurs qu’offraient les comptoirs européens 1 .
L’intransigeance des missionnaires en matière de mœurs et leur désir de conformer le mariage et la famille aux exigences du droit canonique devait conduire à une sorte d’impasse. Finalement, seule une petite minorité, comme le montrent les statistiques, pouvait bénéficier du mariage chrétien. Comme souvent le baptême des adultes était conditionné par les exigences matrimoniales 2 , beaucoup de gens ont refusé de se convertir au christianisme.
Recueil d’Instructions …, op.cit., p. 69.
Idem
JANSSENS, Notes sur la Mission de Pangu… 1èrepartie, op.cit.
La grande question qui se pose ici est celle du contenu à donner à l’expression « droit naturel ». Ce que le missionnaire entend par « empêchement de droit naturel », l’est-il nécessairement pour l’Africain ? Par exemple, épouser la nièce de son père est, dans l’entendement occidental, un empêchement relevant du droit naturel ; pour les Ding orientaux un tel mariage est autorisé.
Recueil d’Instruction…, op.cit., p. 70-71.
Recueil d’Instruction…, op.cit., p. 73.
Dans les zones frontalières entre ethnies ces genres d’union étaient fréquents. Ainsi, par exemple, dans les villages comme Nkil, Lukumu, Nzembe, etc., les mariages entre Ding et Ngwi, n’étaient pas rares. Avec les Mbuun et les Wongo, on trouve une situation semblable le long de la Lubwe. Les Ding de la région de Kasangunda, Mukoko, Mbansam, etc., se mariaient plus facilement les Mbuun de la région de Laba, Lwele, etc.
C’est dans les factoreries et les postes d’État que la prostitution, dans le sens moderne du terme, est née. Elle est le fait des anciennes esclaves libérées qui ne connaissaient plus leurs villages et qui trouvaient refuge et protection dans ces factoreries et ces postes. Elle est aussi liée à la solidarité familiale. Par exemple une femme fait venir sa sœur, sa nièce ou sa cousine pour l’aider dans ses tâches ménagères ou pour être nourrice. Une fois adulte, si la jeune fille ne trouve pas un mari dans son groupe ethnique, elle offrira ses charmes aux nombreux jeunes gens du camp de travailleurs. La promiscuité dans ces camps de travailleurs a favorisé la tendance à la débauche et à l’infidélité. On raconte beaucoup d’anecdotes autour des cas d’adultère et de la dépravation des mœurs dans ces camps. À Pangu, à Lubwe et à Mangaï, les premières prostituées sont des Baluba. Ainsi l’expression « aller avec une femme Muluba » a longtemps signifié « courtiser une prostituée ». Plus tard la prostituée sera désignée par l’expression « nkento ya ndumba ». Le terme « ndumba » qui est fortement péjoratif dans le Kwilu, a une assertion positive dans le Bas-Congo où il signifie « jeune fille ou vierge ». D’après les confidences de certains de nos informateurs, dans leur jeunesse, ils allaient à Pangu, à Dibaya-Lubwe ou à Mangaï pour essayer de boire l’alcool (lutuku), fumer du chanvre (diamba) et racoler les prostituées. Les missionnaires, surtout les Jésuites, connaissaient le danger qu’encouraient leurs ouailles qui s’aventuraient dans cette vie « urbaine ». Ils répétaient sans cesse aux jeunes gens de ne pas aller se fourvoyer dans ces espaces où tout était permis.
Il était, par exemple, interdit au polygame de se faire baptiser s’il n’avait pas abandonné toutes ses femmes pour n’en garder qu’une.