6. 1. NAVIGATION ET VENTE DES BOIS DE CHAUFFAGE

La fin du 19e siècle et le début du 20e correspondent à l’ère du charbon et de la vapeur. Si en Belgique, c’est le charbon qui fait tourner les machines à vapeur, au Congo c’est le bois de chauffage, la source d'énergie. Les steamers qui remontent et descendent le Kasaï ont donc besoin de bois comme combustible.

Il convient de retenir qu’à cette époque le bateau est le seul moyen moderne de transport dans le Haut-Congo, c’est-à-dire dans toute la région située en amont du Stanley-Pool.

C’est ainsi que depuis sa reconnaissance par l’Allemand Von Wissmann et l’extension de la mise en valeur de son bassin par le décret de 1892, le Kasaï a vu accroître très rapidement sa flottille et sur ses rives, le nombre de postes à bois.

Steamer Antoinette
Steamer Antoinette

(source : anonyme, Question congolaise. Compagnie du Kasaï …)

Nous ne savons pas si chacune des sociétés qui ont œuvré au Kasaï avant 1901 avait son bateau. Nous avons la certitude que la N.A.H.V et la S.A.B. avaient leurs propres steamers. Il circulait aussi à cette époque des bateaux appartenant à l’État et aux missionnaires protestants.

Une liste dressée en 1912 par les missionnaires de Pangu donne le chiffre de 26 bateaux qui accostaient au port de la mission pour s'approvisionner en bois. Parmi ces steamers, 2 appartiennent aux Scheutistes ( Sacré-Cœur et Notre Dame), 1 aux Jésuites (Saint Pierre Claver), 1 aux protestants du PCM (Samuel Lapsley ), 7 à l'État belge, 3 à la société nommée CITAS et le reste, soit 12 pour la CK 1 .

Il est utile, à ce niveau, de dire un mot sur le « Sacré-Cœur » qui avait Pangu comme principal port d’attache. Le Père Boghemans en est le capitaine attitré, mais parfois relayé, quand il est empêché, par un autre missionnaire. Par exemple, en septembre 1914, Egide De Boeck, alors Pro-Préfet apostolique, conduisait le bateau, Boghemans ayant été désigné pour la nouvelle mission de Mokadi 2 .

Le Frère Christian Van den Tillart est, quant à lui, mécanicien de bord. Les grosses réparations se font soit à Léopoldville soit à Dima. Ces réparations coûtent parfois assez cher à la congrégation. Par exemple, les réparations faites à Dima, en décembre 1914, ont coûté 1.036,84 F 1 et le recouvrement de cette somme s’est effectué en Europe. Si le coût de l’entretien du « Sacré-Cœur » peut apparaître énorme, il est, en réalité, infiniment insignifiant par rapport aux multiples services que le bateau a rendu aux missionnaires pour relier le « bas » (Léopoldville) et le « haut » (Lusambo, Luluabourg, etc.). Ce bateau a été utile non seulement aux Scheutistes mais aussi aux autres congrégations masculines et féminines qui sont allées à l’assaut du Kasaï et plus tard du Katanga. Les agents de l’État, européens comme africains en ont aussi profité. De temps en temps, ce bateau aide la C.K en transportant ses paniers de caoutchouc et d’autres colis. Cambier témoigne : « Notre steamer, au lieu de descendre bêtement à vide, prend, chaque fois, à la descente, du C.T.C. pour la Compagnie. Moi-même, fin avril, descendant de Dima, j’avait demandé à Monsieur Chaltin de nous donner du Cargo pour Kinshasa » 2 .

Pour s’approvisionner en bois, chaque propriétaire de navire s’organisait autant qu’il le pouvait avec ses propres travailleurs. Le poste à bois de la CITAS est supprimé fin décembre 1914.

Si au début de la Mission de Pangu, le Sacré-Cœur, vapeur des Scheutistes, s’approvisionnait en bois auprès de la C.K 3 , rapidement les pères organisent eux-mêmes leur poste de bois et vendent ce combustible à d’autres vapeurs qui passent par leur port. Parmi les acheteurs, on compte entre autres les vapeurs de la C. K 4 et de l’État 5 .

Les steamers de l’État étaient gérés par une régie, la Marine du Haut Congo, qui avait comme mission de faciliter leur navigation dans l’ensemble du bassin intérieur du Congo. À Pangu, la régie avait son propre poste de bois qui, officiellement supprimé en 1915, continuait à exister en privé, alimenté par des volontaires, le personnel n’étant plus salarié par l’État 1 .

Le coupeur de bois obtenait, pour un stère de bois de 1 m 50 de haut sur 1 m 50 de long et 0 m 50 de large, un prix de 10 mitako ; la mise en stère lui prenait une journée de travail, de l’aube au début de l’après midi 2 . Ce travail contraignant devait inéluctablement perturber le calendrier traditionnel et l’emploi du temps des hommes.

En 1916, les Pères se plaignent des préjudices que leur causent les anciens travailleurs de la CITAS et du poste de bois de l’État, irrégulièrement installés aux environs de la mission. Ces gens « font de fréquentes incursions à l’intérieur, disant aux indigènes qu’ils sont envoyés par nous pour acheter des vivres qu’ils revendent ensuite aux S/S de passage. Ils abusent de la crédulité des indigènes ; […] » 3 .

Pour couper l’herbe sous le pied de ces « indésirables », les Pères demandent à l’administrateur du territoire d’intervenir pour « débarrasser Pangu de ces mauvais sujets » et ils entrent en contact avec la Marine du Haut Congo afin d'obtenir la concession de l’ancien poste de bois de l’État.

Le 19 janvier 1918, le Directeur de la Marine du Haut Congo répond aux Révérends Pères de la Mission de Pangu :  

‘J’ai l’honneur de vous faire savoir qu’en suite de l’entretien que vous avez eu avec Monsieur le Commandant Görasson, le poste à bois de Pangu vous sera concédé aux conditions stipulées dans le contrat ci-joint. Je vous prierais de me renvoyer deux exemplaires de ce contrat dûment signé 4 . ’

Ce contrat qui avait été signé par les Pères comporte 17 articles définissant les droits et les obligations de deux parties.

Les Pères s’engagent principalement à maintenir continuellement à la disposition de la Marine de la Colonie un stock de 80 m3 de bois. La Marine de la Colonie devait acheter la mesure de bois au prix de 1,10 F.

Les Pères ont un autre avantage : l’outillage, tel que scies, haches, machettes, pouvait leur être cédé par l’État au prix de revient pour le matériel neuf, et à 50% de réduction sur ce prix pour le matériel d'occasion.

Les missionnaires de Pangu se sont donc mis à vendre les bois de chauffage qui étaient coupés par leurs  travailleurs. Combien de « travailleurs » étaient affectés à cette tâche en 1918 ? Les sources ne nous l’indiquent pas. Nous savons seulement qu’en 1913, la mission compte un total de 93 travailleurs payés en sel et en mitakos.

Le commerce s’est tellement développé que le bois commençait à manquer autour de la mission. Les pères de Scheut s’en plaignent dans leur correspondance et dans le journal de la mission.

Le poste à bois acquis par les Scheutistes de Pangu en 1918 cessera ses activités avec la suppression de la mission en 1919.

Mais à côté des bateaux à vapeur, les missionnaires n’ont pas oublié le moyen local de transport fluvial : la pirogue.

En effet, Pangu se trouve au bord du Kasaï et les autochtones « Nzadi » ont la réputation d’être d'habiles piroguiers. Dès le début de leur installation ici, les Pères ont fait appel à la pirogue pour leurs visites pastorales le long du Kasaï. René Baerts indique que son premier voyage chez les « Badjari » pour baptiser une jeune fille mourante s’est effectué en pirogue 1 .

Vers 1910, les Pères disposent déjà de deux ou trois pirogues. L’une d’elles, la grande, se perd dans la nuit du mardi 19 septembre 1911 après que sa chaîne aura été brisé par une tornade. Une autre grande pirogue sera rapidement acquise 2 .

Le Journal nous informe que parmi les missionnaires de Pangu, c’est le Père Sterpin qui a effectué le plus grand nombre de voyages en pirogue. Il se rendait souvent à Basongo, Lubwe et à Mangaï à bord de la grande pirogue de la mission.

Notes
1.

Listes des bateaux avec leurs noms européens et africains, ARCCIM, II. 2. 7., boîte Z.III.b.3.1.21

2.

Journal de la mission…, mercredi 30 septembre 1914.

1.

Facture adressée au Père supérieur de Pangu, Dima, le 9 décembre 1914, ARCCIM, II.2.5. boîte P.II.b.4.

2.

CAMBIER, Lettre au Directeur Général de la C.K., Mission St. Joseph, le 25 octobre 1911, ARCCIM, P. II. b. 2.2.5.

3.

Il est à noter qu’en dehors de Pangu, le Sacré-Cœur prélevait souvent son bois dans les postes de la C.K qui semblaient être bien organisés. Le steamer des Pères avait une autorisation spéciale de la Compagnie. D’après la correspondance échangée entre le Directeur en Afrique de la C.K et les Supérieurs de la Mission de Pangu, le Père capitaine du Sacré-Cœur abusait parfois de cette autorisation comme l’indique de cette lettre du 19 janvier 1914 : « J’ai l’honneur de vous faire savoir que plusieurs de nos capitaines sont venus se plaindre auprès de moi de ce que le R.P. capitaine du S.S. « SACRE CŒUR » abusait de l’autorisation que je lui ai donnée de prélever du bois dans nos postes, situés le long du Kasaï et du Sankuru. Non seulement il enlèverait tout le combustible, sans se soucier de ce qu’un bateau de la C.K. le suit souvent de près, mais de plus, contrairement à nos conventions, il ne délivrerait pas, en échange du bois pris, les bons souscrits par nos capitaines à Pangu. Devant ces agissements regrettables, je me vois dans la triste nécessité, afin d’assurer la bonne marche de nos transports, de défendre d’une manière formelle à nos gérants et chefs de poste de fournir encore du bois de chauffage au S.S. « SACRE CŒUR ».

4.

Une lettre, du 31 décembre 1915 de la Direction de la C.K. à Dima, destinée au Supérieur de Pangu, lui fait parvenir une valeur de 382,80 F pour achat de 348 stères de bois de chauffage.

5.

Le samedi 9 septembre 1911, par exemple, le S.S. « LA BELGIQUE » prend 10 brasses de bois chez les Pères à Pangu et paie 20 F. Voir Journal de la Mission

1.

Lettre du Père supérieur de Pangu à l’administrateur du territoire de Basongo (minute), le 13 mai 1916.

2.

Anonyme, La question congolaise. La Compagnie…, p.

3.

Idem

4.

Lettre n° 111 du Directeur de la Marine du Haut-Congo, Léopoldville, le 19 janvier 1918, A.R.CCIM, II.2.7. boîte Z.III ;b.3.1.21.

1.

BAERTS, R., « Lettre à un confrère », Mpangu Saint Pierre Claver, 17 avril 1910, in MCC P, septembre 1910, p. 215-216.

2.

Journal de la Mission… 19/09/1911