Le catéchiste est la véritable cheville ouvrière de l’action missionnaire. Grâce à lui, comme l’indique aussi le Père Pauly, « le missionnaire étend son action ; son influence est décuplée, est centuplée… Armé d’une connaissance plus complète et plus intime de ses compatriotes, de leurs mœurs, de leurs coutumes, de leur mentalité et de leur cœur, le catéchiste noir est un excellent conseiller pour le missionnaire perplexe devant les mesures à prendre et de moyen à employer ; quel excellent intermédiaire à utiliser pour trancher une palabre délicate et nécessitant une solution immédiate alors que le Père est mobilisé ailleurs. Le Missionnaire désire-t-il connaître les dispositions intimes des indigènes de tel village, à qui s’adressera-t-il sinon au catéchiste » 2 !
Au fur et à mesure que grandit la Mission, le nombre des catéchistes s'accroît. Dans l’ensemble du Kwango, on compte 2.000 catéchistes en 1926, 2.168 en 1927, 2964 en 1929 et 3.114 en 1930.
Dès leur arrivée dans la région d’Ipamu, les Jésuites activent le réseau des catéchistes légué par les Scheutistes de Pangu. Ils commencent à mettre en place les premières écoles rurales et les premiers villages chrétiens autour de ces catéchistes formés par les Scheutistes. Telles sont les indications que nous fournit l’abondante correspondance consécutive à la querelle entre les agents de l’État et les missionnaires d’Ipamu. Dans les villages où il n’y avait pas de catéchistes locaux, les missionnaires installent des jeunes gens qui viennent du Bas-Congo ou de la région de Kikwit et de Wombali. Les sources nous indiquent qu’en 1922 et 1923, les Jésuites avaient déjà des catéchistes un peu partout dans la région qu’ils commençaient à évangéliser. Dans une lettre adressée au Père Struyf, en octobre 1922, le Commissaire de District Adjoint, Charles Delhaise, note :
‘J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que, dans la tournée d’inspection que je viens de faire dans le territoire de la Kamtsha-Lubue, j’ai constaté que tous les catéchistes installés dans les villages indigènes de même que les noirs de la mission en général, ne sont pas munis de passeport de mutation prévu par l’art. 6 du décret du 3 mai 1910. Je vous prie de remarquer que les intéressés doivent venir eux-mêmes chez l’Adm. Terr. Avant de quitter leur chefferie pour solliciter l’obtention du passeport de mutation. L’autorisation en question doit être inscrite dans leur livret d’identité 1 .’Répondant à cette lettre de Delhaise, le Père Struyf nous indique, approximativement, où sont installés les catéchistes en 1922 :
‘1° À ma connaissance, tous les catéchistes établis chez les Bambundas ont été envoyés à Idiofa et se sont mis en règle pour leur passeport de mutation ;’ ‘2° Tous nos catéchistes établis chez les Bangoli, appartiennent à cette race et n’ayant donc pas quitté leur chefferie n’ont pas besoin de ce passeport.’ ‘3° Les catéchistes établis chez les Badingas à Bandzam, à Ebwadu et à Ntshimu sont en règle 2 .’En recoupant les données contenues dans la correspondance échangée entre les missionnaires d’Ipamu et les agents de l’État entre 1922 et 1923, nous avons pu reconstituer une petite liste de quelques noms de catéchistes dépendant d’Ipamu.
Prénoms et Noms | Village d’affectation | Ethnie |
André Mafuta | Mbansam | Ding orientaux |
Augustin Lombili | Kibwadu | Ding orientaux(origine Kwango) |
Adrien Moke | Mpeshi | Nzadi |
Marcus Ekole | Papagni | Ngwi |
Emery Mpungululu | Ivang | Ngwi |
Bernard Mudimula | Masela | Mbuun |
Paul ? | Mpangu (Bangoli) | Ngwi |
(Sources : Archives des Jésuites de la PBS, boîte XIII/6 et celles Ministère belge des Affaires étrangères
(AMBAE), M. 628.)
Il convient de noter que les catéchistes répertoriés ci-dessus sont ceux qui ont eu des problèmes avec les agents de l’État. Les autres, sûrement plus nombreux, n’ont pas été cités 1 .
Ces catéchistes légués par les Scheutistes sont, en général, peu appréciés de certains Jésuites. Le Père Libbrecht n’a que peu d’estime pour eux : « Nos chrétiens sont peu fervents et d’une ignorance crasse ; les catéchistes que j’ai vu à l’œuvre sont en général pitoyables et devront être remplacés au plus tôt dès qu’on en aura formés, car ceux-ci n’ont aucune espèce de formation de catéchiste » 2 .
Cette formation des catéchistes débute dès 1923, lorsque le scolastique Delaere arrive à Ipamu. Les Pères lui confient la responsabilité de former les catéchistes-instituteurs. Libbrecht écrit encore : « Au point de vue des catéchistes, tout est encore à refaire. Tous les catéchistes en fonction ne répondent pas aux devoirs de leur charge ; ils n’ont pas reçu de formation de catéchiste et ont en général un minimum d’instruction. Le P. Delaere travaille activement à former de jeunes éléments destinés à remplacer peu à peu les catéchistes actuels » 3 . Delaere lui-même précise la tâche qui lui est confié : « Mon occupation principale est la classe, c’est-à-dire la formation d’une élite, et donc des futures catéchistes. Quand je dis « classe » il faut bien remarquer que l’enseignement qui se donne ici est on ne peut plus primaire. Il faut bien commencer par le commencement : quand mes élèves sauront bien lire et écrire, on pourra songer à voler plus haut » 4 . Cette école des catéchistes d’Ipamu formera donc une nouvelle armée des catéchistes suivant l’esprit des disciples d’Ignace de Loyola. Combien en a-t-on formé entre 1923 et 1933, nous l’ignorons. Toujours est-il qu’à partir de 1925, le territoire de la mission d’Ipamu est quadrillé par les catéchistes et les écoles rurales foisonnent un peu partout. En 1928, on compte 76 catéchistes à la tête de 76 écoles rurales dans la région d’Ipamu ; ils sont 128 à Mwilambongo et 56 à Kilembe 1 . À l’arrivée des Oblats de Marie Immaculée en 1931, on dénombre 150 catéchistes dans la région d’Ipamu.
Les catéchistes formés par les Jésuites ne sont pas, eux aussi, exempts de toute critique. Les agents de l’État les vilipendent sans ménagement. Ils leur reprochent leur jeune âge, leur manque de maturité, leur excès de pouvoir auprès des indigènes et leur posture dictatoriale. Dans son rapport politique, un administrateur territorial de Kikwit écrit :
‘Le « Longe » 2 vit comme un pacha : dix minutes de cantiques le matin, dix minutes le soir ( quand il ne se fait pas remplacer par un candidat assez instruit) sa mission d’évangéliste est remplie. Il a toute la journée 30 (ou plus) travailleurs qui lui font des plantations de riz, de haricots, etc. et qui à leurs moments de loisirs, cassent des coconottes que le « Longe » vend à son profit personnel. Le « Longe » est craint, sinon respecté par les indigènes (j’ai vu un de ces petits autocrates qui avait 8 ans). Des procès verbaux d’officiers de police judiciaire ont établi : 1°) que les enfants sont la propriété de catéchiste ; l’autorité du père ou de la mère ou du tuteur n’existe plus, 2°) que le catéchiste impose le travail et ce pour s’emparer du paiement 3 . ’Le Père Van Hee comprend les difficultés de ces jeunes catéchistes qui évoluent, souvent, dans un milieu peu propice à l’éclosion de toutes les vertus chrétiennes :
‘Pauvres jeunes gens, dénués de toutes les qualités raffinées de l’esprit et du cœur, qui distinguent notre jeunesse chrétienne civilisée, et qui s’imposent à notre sympathie. Portant en eux les germes des défauts de leur race, enclins à la suffisance et à la vanité, tout aussi prompts au découragement, par ailleurs vivant au milieu de mille dangers pour le corps et pour l’âme, en butte souvent à l’hostilité des vieux de l’endroit, ayant à lutter contre leurs propres défauts et ceux de leur prochain, il leur faut une volonté bien supérieure à la moyenne, pour tenir bon, pour marcher droit et poursuivre leur œuvre obscure, mais combien précieuse aux yeux de Dieu 4 .’Une fois encore, Mgr Van Hee, Vicaire apostolique, reste bien conscient des limites aussi bien intellectuelles que morales de ses catéchistes. Il soutient la création des écoles normales pour la formation intellectuelle des catéchistes et bien plus, il propose l’érection de sortes de noviciats pour les parfaire moralement :
‘Nous avons dû courir au plus pressé et nous contenter le plus souvent d’éléments très imparfaitement formés. Les écoles normales combleront ce déficit, mais nous n’oublions pas que les qualités morales sont encore plus nécessaires aux catéchistes que le savoir et l’habileté professionnelle. Aussi faudrait-il, à coté des écoles normales, des espèces de noviciats pour catéchistes, où les jeunes gens les mieux doués et les mieux formés moralement et intellectuellement passeraient une année entière de préparation immédiate à la grande œuvre à laquelle ils sont appelés à se consacrer 1 .’Pauly insiste, lui aussi, sur la formation des catéchistes :
‘Un outil ou un moteur, rend service en proportion de sa perfection par rapport à sa fin. Périodiquement, il doit être vérifié afin que l’on puisse procéder à temps aux réparations ; faute de quoi les avaries s’aggraveraient et aboutiraient bientôt à une brisure ou à une panne. Il en est de même du catéchiste. S’il est mauvais, il produira un effet néfaste bien difficile à neutraliser ; d’où la nécessité de le surveiller toujours afin de prévenir ses chutes et de le redresser à temps. S’il est bon, Dieu sait le bien qu’il peut faire autour de lui ; d’où, la nécessité de veiller afin d’encourager et d’éviter défaillances et faiblesses. S’il est nul, résultat nul aussi ou plutôt négatif ; d’où la nécessité d’une formation sérieuse et relativement longue (3 ans minimum) qui amènera avantageusement le candidat à l’âge de se marier. L’expérience en effet prouve que les catéchistes mariés, ne fût-ce que par leur âge, ont plus d’influence et d’autorité sur les indigènes et les catéchumènes ; ils sont en outre plus stables et moins exposés aux faiblesses 2 .’Malgré les défauts qui leur sont reprochés, les catéchistes demeurent des personnages emblématiques de la période missionnaire. Ils ont été utiles, non pas seulement comme propagandistes de la religion chrétienne, mais aussi, comme principaux agents de la mutation culturelle qui a poussé les sociétés indigènes à imiter les modes de vie du colonisateur. Kisweso indique même que, dans plusieurs endroits dans le Kwango, les catéchistes ont collaboré étroitement avec l’administration coloniale 3 . Quant aux missionnaires, les bénéfices qu’ils tirent de l’action des catéchistes sont énormes. Pauly récapitule ces avantages en quatre points :
‘1° Par sa présence continuelle au village, le catéchiste empêche bien des actes de cruauté (meurtres, vente d’hommes, rixes, poison d’épreuve, etc.) qui, sans lui, ne seraient connus ni du Père, ni des agents de l’État et resteraient impunis. Que d’âmes hors de portée du missionnaire sont sauvées grâce au zèle et à la vigilance d’un humble catéchiste qui les baptise avant leur mort. ’ ‘2° Par son enseignement, il opère sur les catéchumènes un premier dégrossissement et les prépare au baptême ; car, pour obtenir, enfants, adultes ou mariés, avant de séjourner au poste une année et demie, doivent d’abord prier deux ans au village. En même temps que la prière et la lecture, il enseignera le texte du catéchisme, ce qui permet au missionnaire de s’attacher davantage à la substance de la doctrine. ’ ‘3° Par sa bonne conduite surtout, il fera tomber l’un après l’autre les préjugés des indigènes vis à vis de la religion ( du blanc… comme ils disent ) ; il montrera aux païens la supériorité de la civilisation chrétienne sur les grossières superstitions du paganisme et facilitera ainsi les premiers rapports avec le missionnaire. ’ ‘4° Par son influence, il empêchera les chrétiens rentrés au village de retomber dans leur ancienne vie de paresse et de vice : ici encore, il remplacera le missionnaire qui ne peut être partout en même temps 4 .’Il serait utile de compléter ce tableau de l’action du catéchiste par une étude approfondie de son comportement vis à vis des autochtones et au village. C’est ce que nous ferons dans la troisième partie de ce travail.
PAULY, « Une poignée de missionnaires… », op.cit., p. 259.
Lettre de Ch. DELHAISE au Père Struyf, le 1er octobre 1922, PBS, boîte XIII/6-1(copie)
Lettre du Père STRUYF à Delhaise, Ipamu, le 5 octobre 1922, PBS, boîte XIII/6-2 (copie)
Il doit avoir quelque part dans les archives des Jésuites des listes de tous ces catéchistes, mais faute de temps, nous n’avons pas fouiné partout.
Lettre du Père LIBBRECHT au Père Provincial, Ipamu, le 20 novembre 1923, PBM, boîte XII, M.47.
Idem, Ipamu, le 12 avril 1924, PBM, boîte XII, M.47.
DELAERE « Lettre » in MBCJ, 1923, p. 295.
Statistiques officielles de la Mission du Kwango (Jésuites belges), in RMJB, 1928, p. 76-77.
Le mot « Longe », mis en italique par nous, s’écrit correctement « Longi » ; il signifie « maître », celui qui enseigne… Ce terme qui, au départ, est utilisé pour désigner les catéchistes, va finalement s’imposer pour nommer les moniteurs, les maîtres d’écoles. Les élèves sont des « balongoki » (sing. « longoki »), c’est-à-dire l’enseigné, celui qui reçoit les leçon du maître. Les substantifs « Longi » et « longoki » viennent du verbe « kulonga », enseigner, instruire.
Rapport politique du 1 er trimestre 1922 de l’administrateur territorial de Kikwit, AMBAE, AF, M.628, IX.
Van HEE, « Écoles rurales… », op.cit., p. 3.
VAN HEE, « La mission du Kwango en 1929 », op.cit., p. 460-461.
PAULY, op.cit., p. 261
KISWESO, Émergence..., op.cit., p. 496
PAULY, op.cit., p. 260.