1. 4. UNE FOURMILIÈRE EN ACTIVITÉ… 2

Les nombreux « travaux d’Hercule » entrepris à Ipamu nécessitent une main-d’œuvre abondante, c'est une fourmilière en activité ! Si les catéchumènes adultes et les enfants s’occupent des travaux les plus ordinaires (construction des maisons, les travaux des champs, transport des briques, entretien du poste, entretien des routes, etc.), les Pères ont besoin d’une main-d’œuvre un peu plus spécialisée pour des tâches spécifiques comme la fabrication des briques cuites, l’élevage, la coupe des noix de palme et la fabrication de l’huile, la scierie et la menuiserie. Ne pouvant pas eux-mêmes préparer leur nourriture, blanchir leur linge et entretenir leur maison, les missionnaires d’Ipamu, comme jadis ceux de Pangu, ont aussi recours au système de « boys ». Avant que ne soient frayées les routes, les porteurs et leurs hamacs demeuraient la seule alternative pour le missionnaire désireux de voyager à travers les difficiles sentiers de la forêt tropicale. Le Père Dom décrit la situation de ceux qui travaillent à la mission en 1925 : « Nous avons ici 830 catéchumènes, plus un certain nombre de baptisés qui travaillent pour nous. Environ 80 ménages encore païens habitent chacun sa petite hutte et sont répartis en deux villages bien distincts, pour éviter les conflits de races. J’ai distribué le travail à 170 gamins, pour qui, comme à Bruxelles, la crainte est le commencement de la sagesse » 3 .

Tout ce monde de travailleurs exige, pour être efficace, d'être organisé et surveillé. Afin de contrôler les catéchumènes adultes et enfants, d'encadrer les filles et de surveiller le « makwela » (camp des mariés), les Pères et les Sœurs recourent aux « capita ». Les « capita » sont aussi utiles pour le pilotage des équipes de travail. Cette fonction n’est guère enviée. Les Sœurs le reconnaissent volontiers :«  le poste de capita est très ingrat et n’est guère envié » 4 . En février 1929, pour rendre la tâche moins difficile, elles ont dû remplacer leur premier « capita » et engagé un second à qui elles ont donné le pouvoir de surveiller « les femmes avec petits enfants et les fillettes incapables d’exécuter les gros travaux de culture » 1 .

La situation du « capita » était inconfortable parce qu’il était perçu comme un délateur par les autochtones lorsqu’il devait dénoncer les fautifs auprès des missionnaires et à l’inverse, il était traité de complice par les missionnaires lorsqu’il ne dénonçait personne. Certains « capita » n’hésitaient pas à abuser de leur pouvoir. Les Sœurs de Mwilambongo se plaignent de la brutalité de l’un de leurs « capita » : « Joseph, notre meilleur capita parce que fidèle et dévoué, sachant lire et écrire, a encore frappé les filles aux champs. Le R. Père nous prévient qu’il faut le congédier. Ce sera une perte pour nous. Joseph a du chagrin mais il accepte la pénitence » 2 . On raconte aussi beaucoup d’autres anecdotes à propos des capita. Par exemple, celui qui, à Ipamu, à l’insu des Pères et des Sœurs, aidait les fiancées à rencontrer leurs fiancés à l’heure des travaux manuels ou lorsque les filles descendaient à la rivière ; ou encore ces capita de Mwilambongo qui se livrent à la concussion : « Il paraît que nos capitas masculins prélèvent des impôts de nos filles sous leurs ordres. Ah ! mais cela ne durera pas ! Ainsi Jean a battu une jeune chrétienne retournée en permission parce qu’elle ne lui avait pas rapporté une poule ; un autre voulait du manioc etc. Ah ! messieurs les capitas ! Le R.P.B. réunit ces messieurs, leur fait petit sermon bien collé avec menace de renvoi s’il y a récidive » 3 . Certains capita habiles tiraient donc profit de leur position, de l’ignorance et de la naïveté des missionnaires pour se livrer à toute sorte de combines. À côté de ces exceptions, il existait tout de même des capita dont l’intégrité et la rectitude morale étaient éprouvées.

À l’époque des Jésuites tous les capita n’étaient pas des natifs. Comme pour les catéchistes, les missionnaires en ont emmené de la région de Kikwit ou du Bas-Congo. Ces gens, souvent jeunes, étaient exposés à toutes sortes de tentations.

Notes
2.

DOM, « Lettre à ses anciens élèves de St Michel », op.cit., p. 216

3.

DOM, « Lettre à ses anciens élèves de St Michel », op.cit., p. 217.

4.

RSSMN, février, 1929. La question du « capita » est aussi abordée dans le DSSFS, Mwilambongo, 1929. Ce personnage doit avoir joué un rôle important dans la vie à la mission. Pour les religieuses qui maîtrisaient à peine la langue et les coutumes locales, cet homme servait à la fois de porte-parole, d’interprète, de mouchard et de surveillant. Cette position lui donnait un pouvoir certain sur les filles (ou femmes). Il arrivait parfois que ces « capita » abusent de leur autorité en exerçant, à en croire le journal de Mwilambongo, toutes sortes de chantages sur les filles et obtenir des faveurs indues.

1.

Rapport, février, 1929.

2.

DSSFS, Mwilambongo, le 23 février 1930, ASSFS à Celles, Farde Mwilambongo

3.

Idem, le 3 août 1930.