2. 1. SOLENNITÉS CENTRALES : NOËL, PÂQUES ET ASSOMPTION

Aux fêtes de Noël ( Lubutuku), de Pâques (Pake) et de l’Assomption ( Nzanguka) 1 , les chrétiens de toute la région desservie par les Jésuites d’Ipamu se rassemblent au poste de mission. Ils viennent de partout, hommes, femmes et enfants, apportant chacun leurs provisions pour le voyage et pour le séjour. Avant la fondation de Mwilambongo en 1926, les chrétiens qui affluaient vers Ipamu, provenaient des zones aussi éloignées que les alentours d’Idiofa (sud) et la région de Mateko-Mokala (nord-ouest). Pendant ces rassemblements festifs, pour employer une expression de Mertens, « à la mission grouillaient les noirs de toutes les races » 1 (Ding, Mbuun, Ngwii, Lwel, Nzadi, Yans, etc.). Le Père Dom décrit la fête de Noël 1924 :

‘La fête de Noël n’a rien ici du caractère qu’elle revêt en Belgique : nous n’avions ni crèche, ni messe de minuit ; mais il y avait les cœurs d’un bon millier de chrétiens venus de très loin pour recevoir l’Enfant Jésus. Ici, c’est par un beau soleil et parmi la verdure des palmiers que Jésus vient au monde. Les chrétiens seuls ont pu trouver place dans l’église ce jour-là : les païens se tenaient à genoux au dehors. Les catéchistes des villages étaient venus recevoir leur salaire ; ils avaient amené avec eux un certain nombre de leurs petits élèves, qui prirent ainsi un premier contact avec nous ; beaucoup nous sont restés 2 .’

Les Sœurs de Sainte Marie de Namur racontent leur première fête de Noël à Ipamu en décembre 1928 :

‘Le jour de Noël, le Révérend Père Supérieur est venu, à 4 h ½ , célébrer ses trois messes dans notre petite chapelle. Tout portait à la paix et au recueillement et l’on avait un peu l’illusion d’être à Bethléem. Depuis plusieurs jours, des caravanes arrivent nombreuses de tous les villages. Le jour de Noël, l’église est comble et pourtant les chrétiens seuls y ont accès tandis que la foule des catéchumènes est agenouillée dehors. Pendant toute la journée, les visiteurs se succèdent à la jolie crèche. Puisse le Divin Enfant s’attacher tous les cœurs 3  ! ’

Jusqu’à leur départ d’Ipamu en 1933, les Jésuites n’y ont célébré ni la veillée de la nativité ni celle de Pâques ; les conditions matérielles ne s’y prêtaient pas.

L’affluence des chrétiens à Ipamu est encore beaucoup plus grande à Pâques. Ils viennent à la mission dès le début de la semaine sainte pour être présent au triduum pascal.

Pendant la semaine sainte, les Pères organisent parfois des retraites ou des récollections 4 pour les catéchistes et les chrétiens, mais souvent ils écoutent les confessions de nombreux pénitents qui désirent communier à Pâques comme les y obligent les « commandements de l’Église » 5 . Ainsi, par exemple, à la fête de Pâques 1930, les confessions sont tellement nombreuses que les Pères n’ont pas assez de temps pour dormir dans la nuit du samedi au dimanche de Pâques : « Les confessions se succèdent presque sans interruption : samedi à 10 h ½ du soir les Pères étaient encore au confessionnal et le jour de Pâques, à 3 h du matin, on les réveillait déjà pour se confesser » 1 . Après les confessions, les Pères doivent célébrer des messes. À Pâques du 27 mars 1932, il y a trois messes le matin. La première à 6 heures pour les catéchumènes, la seconde entre 6 h ¾ et 7 h ½ pour les chrétiens baptisés la veille et qui doivent recevoir leur première communion, et la troisième, la Grande Messe, à partir de 7 h ½ pour tous les chrétiens qui sont « très nombreux ». Les Sœurs notent dans leur rapport :

‘Nous avons le plaisir de voir assister à la messe 9 blancs parmi lesquels 1 protestant et 1 russe schismatique. Tous occupent le chœur et suivent très attentivement les offices ce qui est un bel exemple pour nos noirs. Malheureusement, une dame seule communie. Nos prières montent ardentes vers le Divin Ressuscité afin qu’Il apporte la paix à ces âmes. Au cours de la messe, Monsieur Bruggemans (Bula matari comme disent les noirs) fait lui-même la collecte parmi nos chrétiens. Tous ces blancs auxquels vinrent encore s’ajouter un juif et plusieurs autres dans la matinée passèrent la journée chez les Pères toujours heureux de leur faire un peu de bien. Ils emportèrent le soir le meilleur souvenir de la fête religieuse et de la fête de famille qui suivit. Le Père Struyf se donna tout entier à eux réservant les jours suivants aux noirs 2 .’

La fête de l’Assomption, le 15 août, draine aussi son monde. L’Assomption 1930, à en croire les Sœurs, « a ramené de nombreux chrétiens à la mission. Les Pères ont entendu pour eux deux, pendant cette semaine, environ 1500 confessions. Malgré la fatigue de ces jours, le Père Struyf, profitant du retour à la mission de tous ses catéchistes, commença, le soir même de la fête, à leur prêcher une retraite de trois jours » 3 .

Les liturgies célébrées pendant ces fêtes sont somptueuses. La messe dite en latin, les chants grégoriens, incompréhensibles même par les catéchistes les plus instruits, les ornements liturgiques et les gestes rituels, tout cela donne, aux cérémonies et aux officiants, un caractère mystérieux sinon magique. Ces fêtes célébrées à la mission ont une toute autre dimension sociale méconnue. Elles sont une occasion pour différentes promotions de baptême ou de mariage de se retrouver et de raviver les amitiés qui se sont autrefois tissées. Pour de nombreux chrétiens, ces voyages à la mission sont aussi des sortes de pèlerinage.

Ils reviennent non pas seulement pour se confesser et communier mais aussi revoir les anciens maîtres et les anciens compagnons « d’infortune », revisiter les lieux où ils ont peiné à travailler pour arracher le baptême 4 .

Pour les missionnaires ces rassemblements à la mission constituent des occasions propices de rencontre avec leurs catéchistes de brousse pour régler certaines situations qui n’ont pas pu l’être lors des visites des villages, payer leurs salaires, les encourager, les tenir au courant des nouvelles de l’Église, leur soumettre le calendrier des visites, recruter les catéchumènes et les enfants pour les écoles.

Notes
1.

Les Jésuites du Kwango ont traduit les noms des fêtes liturgiques en kikongo. La Nativité de Notre Seigneur (où Noël) se traduit par « Lubutuku lu Mfumu eto Yezu », en abrégé « Lubutuku ». Le substantif « Lubutuku » (naissance) a été forgé à partir des verbes « kubutuka » (naître) et « kubuta » (donner naissance, engendrer). Le terme « Pâques » n’a pas été traduit, mais on lui a donné une graphie kikongo : « Pake ». La fête de Pâques se dit « Nkinsi Pake » et le « temps pascal » se traduit par « nsungi Pake » (la saison de Pâques). Pour rendre le mot « assomption », les Jésuites ont utilisé le substantif « Nzanguka » (élévation ) qui dérive des verbes « kuzanguka » (s’élever) et « kuzangula » (soulever). Le kikongo fait la distinction entre l’Ascension du Christ et l’Assomption de Marie. Le premier phénomène est traduit par le terme « Ntombuka » ( la montée, du verbe « kutombuka » qui signifie « monter, grimper »), tandis que le second se dit « Nzanguka ». La « Toussaint » se traduit par «  Basantu bonso » (Tous les Saints) ; la fête de la commémoration des « Fidèles défunts » est désigné par l’expression « Mioyo mi Kombelo » (les âmes du Purgatoire). Il est intéressant de remarquer que le substantif « Kombelo » dérive du verbe « kukomba » qui signifier « balayer, nettoyer avec un balai… ». Le « Kombelo » est le lieu où les âmes sont entrain d’être nettoyées. L’expression « Mbundu Yezu » traduit la fête du « Sacré-Cœur de Jésus ».

1.

MERTENS, Les Ba Dzing de la Kamtsha, t1, op.cit., p. 12.

2.

DOM, « Lettre à ses élèves de Saint Michel… », op.cit., p. 218.

3.

RSSMN, décembre 1928, Ipamu.

4.

La retraite ou la récollection se traduit en kikongo par le terme « Lugambuku ». Ce substantif dérive du verbe « kugambula » (séparer, mettre à l’écart, écarter).

5.

Le catéchisme distinguait les dix commandements de Dieu (Nsiku kumi zi Nzambi) des 7 commandements de l’Église (Nsiku nsambwadi zi Dibundu). Parmi les commandements de l’Église, il y a celui qui invite les chrétiens à communier au moins une fois par an et de préférence pendant le temps pascal. Approcher de la Sainte communion implique nécessairement, en amont, la confession.

1.

RSSMN, avril 1930, Ipamu.

2.

RSSMN, mars 1932, Ipamu.

3.

RSSMN, août 1930, Ipamu.

4.

Pour plusieurs chrétiens de cette époque, le baptême était le couronnement d’un long parcours semé de multiples embûches. Non seulement qu’il fallait apprendre les prières et le catéchisme dans une langue totalement inconnue, mais aussi se soumettre à une discipline et à des travaux qu’on n’aurait pas soi-même désiré s’imposer. Le baptême venait donc comme une victoire au terme d’une épreuve de saut d’obstacles.