2. 2. COMMÉMORATION DES MORTS

Il convient d’abord de remarquer que les missionnaires n’ont pas réussi à implanter l’habitude de demande de messes pour les défunts. Nous nous demandons s'ils ont cherché à implanter cette habitude chez les autochtones. En tout cas, nous n’avons trouvé aucun document concernant cette pratique. Par contre, les célébrations du 2 novembre semblent avoir eu beaucoup de succès.

En effet à la fin du mois d’octobre de chaque année une foule nombreuse afflue encore à la mission. Elle se presse officiellement pour fêter la Toussaint, mais en réalité, c’est la commémoration des défunts et des âmes du purgatoire, le 2 novembre, qui constitue l’attraction principale. C’est le moment où apparaissent au grand jour les liens tissés quotidiennement par les missionnaires avec les défunts lorsqu’ils vont réciter leur bréviaire au cimetière, souvent dans les heures tardives de la nuit.

Pour les autochtones, le clou de la manifestation du 2 novembre n’est pas les messes, comme peuvent le croire les missionnaires. Leur attention se focalise sur la procession et la prière au cimetière. C’est le moment le plus important de toute cette journée dédiée aux morts. Voici, à titre d’exemple, comment se déroulent les cérémonies en ce jour de la prière aux morts :

- Le 2 novembre 1930, les Sœurs notent dans leur rapport : « Le Père Supérieur vient dire chez nous ses trois messes tandis que le Père Struyf dit à l’église deux messes suivies de la grand-messe. À la soirée on se rend en procession au cimetière en récitant le chapelet. Les 1300 à 1400 noirs se rangent en cercle. Chant du Miserere en kikongo. Allocution par le Père Struyf » 1 .

- Les mêmes Sœurs de Sainte Marie de Namur racontent ce qui s’est passé le 2 novembre 1933 et précise que la procession a fait halte devant la tombe du Père Puters  : « Après les Messes dites pour les défunts, a lieu la procession au cimetière. Pendant la marche, la récitation du chapelet alterne avec les chants. Arrêt à la tombe du Père Puters, s.j., le vaillant missionnaire tombé, tout jeune encore au champ d’honneur. Au cimetière, bénédiction des tombes, allocution de circonstance et chants pour les morts » 2 .

D’après les informations d’un témoin de l’époque, le retour du cimetière se faisait en rang, mais le prêtre qui, à l’aller, ouvrait la marche, sera le dernier à quitter le lieu. Il fermait la marche 3 . Ce détail et le fait que la procession se fasse le soir, ont de l’importance pour les Noirs. Notre informateur rapporte qu’il était interdit à la foule et même aux enfants de chœur de regarder en arrière pendant tout le temps du retour à la mission. Et qui plus est, il était dit que celui qui osait transgresser cette règle tombait et mourrait immédiatement ! Le Père restait derrière pour continuer, la nuit tombante, à converser avec les morts.

Cette procession au cimetière rappelle étrangement plusieurs cérémonies locales qui culminaient par une parade au cimetière. L’enterrement d’un mort occasionnait une procession derrière le « grume- cercueil ». Une fois au cimetière, les participants faisaient un cercle autour du tombeau, le maître de cérémonie prononçait une allocution (laswan) ainsi que certains membres de la famille du défunt. Se rendre au cimetière, c'était aussi pour sacrifier un bouc à l’ouverture de la cérémonie du retrait de deuil (matang). L’invocation des morts, pour la guérison de certaines maladies, pour demander une bonne chasse, pour solliciter la purification d’un village hanté par les sorciers, etc., donnait aussi lieu à des processions et des prières au cimetière. Dans leur imaginaire, les autochtones faisaient, sans doute, un rapprochement entre le culte des morts tel qu’il était rendu par les missionnaires et leurs propres cérémonies. Ils s’imaginaient probablement aussi que, de la même manière que le mage ou le devin traditionnel avait le pouvoir d’entendre les morts et de leur parler, le missionnaire en faisait autant. Ces soupçons étaient nourris par certaines pratiques des Pères, comme par exemple, le fait, pour eux, de se rendre au cimetière, souvent le soir, pour réciter leurs vêpres ou chercher la quiétude pour une saine méditation. Tous les natifs, chrétiens ou païens, étaient convaincus que les missionnaires entretenaient un commerce régulier avec les morts et pouvaient, le cas échéant, délivrer des personnes ou des villages malmenés par les mauvais esprits et les méchants défunts.

Notes
1.

RSSMN, novembre 1930, Ipamu.

2.

RSSMN, novembre 1933, Ipamu.

3.

Information de monsieur Kwampuku, Idiofa, septembre 2003