3. 1. LE BAPTÊME

Le terme « baptême » a été traduit en kikongo « mbotika » ; « baptiser » se dit « kupesa mbotika » (donner le baptême), tandis que « recevoir le baptême » est rendu par l’expression « kubaka mbotika » (prendre le baptême) 4 .

Comme du temps des Scheutistes, baptiser demeure la principale activité du missionnaire Jésuite, non pas simplement parce que le baptême est le sacrement d’initiation qui fait entrer dans la vie chrétienne, mais parce que les chrétiens, à l’époque, sont convaincus que quiconque meurt sans ce sacrement est automatiquement voué à la « géhenne », au feu de l’enfer. C’est, du moins ce qu’enseignaient la théologie et la tradition de l’Église. Il fallait donc baptiser autant que possible tous ceux qui en expriment le désir et tous ceux qui sont à l’article de la mort.

Pour le baptême des mourants, les missionnaires d’Ipamu, comme autrefois leurs collègues scheutistes de Pangu, ne sont pas très regardants. Il suffisait qu’un Père soit informé par un catéchiste ou un tout autre chrétien, pour qu’il se rende auprès du malade et le baptise dès lors qu’il présume que l’agonisant est encore en état de recevoir le sacrement suivant les normes définies par le droit de l’Église et les instructions des Supérieurs du Congo.

Le baptême normal, par contre, ne pouvait être administré sans une longue préparation préalable nécessitant un apprentissage des dogmes, des prières et des manières de vivre en chrétien. Cette période de préparation dure environ quatre ans chez les Jésuites . Les deux premières années se passent au village, à l’école rurale. C’est l’étape pendant laquelle, pour reprendre l’expression de Pauly, le catéchiste opère le « dégrossissement » des catéchumènes, enfants, adultes ou mariés, avant de les livrer aux Pères qui les maintiendront au poste de mission pendant deux ans encore. À l’école rurale, au village, le catéchiste dispense les premiers enseignements : la prière, la lecture (surtout pour les enfants) et le début du catéchisme. À la fin de ce cycle, qualifié de pré-catéchuménat, le catéchiste fait le tri et envoie ses meilleurs candidats à Ipamu. Les Jésuites mettent en place ce système qui a bien marché ailleurs, dès leur arrivée à Ipamu en 1921. Ils utilisent, comme nous l’avons déjà indiqué, d’abord les catéchistes formés par les Scheutistes de Pangu, ensuite leurs propres catéchistes venus du Kwango ou formés à l’école des catéchistes à Ipamu.

À la mission, pendant un an et demi ou deux ans, le missionnaire s’assure lui-même, comme le recommande le Recueil d'Instructions, de l’éducation chrétienne et de l’orthodoxie de la doctrine. Le contenu de l’enseignement prodigué par le Père, se constitue de « Vérités de notre Sainte Foi et des principaux faits de l’Histoire Sainte – Nouveau Testament ». L’histoire Sainte, une sorte d’abrégé du Nouveau Testament, est enseignée d’après un petit ouvrage traduit en kikongo sous le titre de « Luzingu lu Mfumu eto Yezu-Kristu » (La vie de notre Seigneur Jésus-Christ).

Les journées du catéchumène à la mission ne sont pas de tout repos. Il est soumis à un horaire et à une discipline stricte. L’emploi du temps est réglé à la minute près. Voici ce qu’il était en 1932 :

Le lever est fixé à 4 h chaque matin ; la messe à 5 h 30 ; le déjeuner à 6 h ; à 6 h 30, par groupe et sous la direction d’un capita, les catéchumènes apprennent le texte du catéchisme ; à 7 h, le Père distribue le travail : défrichement de la forêt, plantations. Les plus doués des jeunes catéchumènes se rendent en classe pour y recevoir quelques leçons de l’enseignement primaire dispensées par quelques instituteurs de fortune mais sous la direction et la surveillance du Père. Après un repos à 10 h, l’explication du catéchisme pour tous reprend à 10 h 30. Une demi-heure de classe de lecture interrompt cette explication du catéchisme ; à 11 h 30, une visite est organisée pour les soins aux malades. Après la pause-déjeuner de midi, à 14 h , une demie-heure de lecture réunit à nouveau les catéchumènes avant de reprendre le catéchisme à 14 h 30. Le travail manuel recommence à 15 h jusqu’à 17 h 20 ; une prière du soir en commun à 18 h15 clôture les exercices de la journée 1 .

En résumé, le catéchumène consacre, au cours d’une journée, 5 h 20 de travail manuel ( moins 3 h de classe s’il est parmi les doués) ; 1 h 30 de catéchisme et 1 h de lecture. À cela, il faut ajouter une heure de prière ( 30 minutes de messe matinale et 30 pour la prière du soir). Le catéchumène est donc occupé pendant plus 9 h par jour. L’essentiel de son occupation est le travail manuel.

Cet horaire vaut aussi pour les femmes et les filles encadrées par les Sœurs. Jusqu’en 1928, seules les femmes mariées sont reçues à Ipamu car les Pères avaient interdiction de s'occuper des jeunes filles. parce qu’il était interdit aux Pères de s’en occuper. L’arrivée des Sœurs de Marie de Namur en 1928 a donc ouvert la voie du baptême et de l’instruction aux filles.

La concentration des catéchumènes à la mission ( en 1932, Ipamu compte 5.000 catéchumènes) soulève de nombreux problèmes.

D’abord, la question de discipline et de moralité. Il faut un grand nombre de capita pour surveiller et faire travailler chacun. Mais tout ne va pas de soi. Les témoins parlent des cas de révolte et d’insoumission, de renvois à cause des liaisons illicites entre jeunes filles et jeunes garçons, de la cohabitation difficile entre différents groupes ethniques, des accusations de sorcellerie, des risques d’épidémie, etc. À propos des rivalités entre ethnies par exemple, les Sœurs signalent ce fait insolite qui s’est produit en 1928 :

‘L’installation de nos filles dans leurs nouveaux dortoirs a été marquée par des paniques nocturnes qui durèrent quatre jours et se répétèrent jusqu’à trois la même nuit. Toutes les filles sortaient des dortoirs et arrivaient chez nous en criant parce que, disaient-elle, des hommes venaient crier aux portes et jeter de la terre et des bois par-dessus les murs. Comme nous, le Père Supérieur finit par croire que le loup était dans la bergerie ; aussi, un beau soir, Sr. Emmanuel et moi, nous nous mîmes aux aguets pour découvrir les coupables. Voici ce qui se passait : une fille sortait et faisait entendre du dehors des sifflements et des ronflements sinistres tandis que d’autres, grâce à l’obscurité, lançaient du dedans des projectiles par-dessus les murs inachevés. Alors, toutes criaient et les coupables se mêlaient aux autres pour chercher ces prétendus visiteurs nocturnes… Et la cause et le but de ce tapage ? – direz-vous. Rivalités de races. Les Bangolis voyant de mauvais œil l’arrivée de beaucoup de nouvelles Badingas qui les surpasseront en nombre voulurent les effrayer. Une enquête en règle fut faite. J’interrogeai successivement une quinzaine de filles pendant que les autres étaient tenues en silence et je découvris que presque toutes les Bangolis étaient complices. Les deux plus coupables, c’est-à-dire celle qui sortait et celle qui fut trouvée cachant des projectiles furent congédiées et tout rentra dans le calme 1 .’

Ensuite, il faut trouver de la nourriture, des vêtements et un logement pour tout ce monde ; ce qui implique une charge financière assez lourde et une logistique conséquente. L’emploi du temps est tel que les missionnaires ne laissent aucun moment de répit au catéchumène pour qu’il puisse se livrer à un autre travail rémunérateur pour sa propre subsistance ou celle de sa propre famille. Pendant deux ans, le catéchumène, quel que soit son âge, devient une personne dépendante des Pères. Si le problème du logement est rapidement solutionné par la construction des cases avec les matériaux trouvés localement, les vêtements et la nourriture restent une préoccupation permanente pour les Jésuites.

Jeu d'enfants Ding d'Ipamu
Jeu d'enfants Ding d'Ipamu

(source : MBCJ, 1925)

Enfin, cet accroissement démographique pose aussi la question de la qualité même de l’enseignement dispensé. Est-il possible, pour un nombre si réduit de missionnaires, de suivre pas à pas chaque catéchumène et de lui servir de véritable guide spirituel ? Le pasteur peut-il vraiment connaître ses brebis ?

Malgré les efforts déployés par les Jésuites, la vie à Ipamu reste difficile et le souhait de chaque catéchumène est d’en finir et de partir. C’est ce qui explique non seulement les réclamations des indigènes qui exigent que les Pères diminuent la durée du catéchuménat à la mission, mais aussi l’explosion de joie qui suit les cérémonies de baptême.

Donc, après ces deux années passées à travailler, à apprendre et à prier, le catéchumène passe un examen à l’issue duquel, s’il réussit, il est baptisé. Celui qui ne réussit pas reprend les enseignements pour être interrogé à une prochaine occasion.

En mars 1924, le Père Libbrecht interroge des catéchumènes aspirants au baptême. Il signale qu’une bonne moitié échoue, ce qui fait réfléchir les catéchumènes peu enclins à apprendre.

Les récits des missionnaires fourmillent de beaucoup d’anecdotes sur ces examens qui précèdent le baptême. L’interrogateur s’attend à toute sorte de réponses.

Le Journal des Sœurs de Mwilambongo rapporte : « Le Révérend Père fait passer des examens, or, il y en a de très bouchés. Jugez : Qu’est-ce Pâques ? C’est la Pentecôte. Qu’est-ce que l’Assomption ? C’est la Toussaint. De qui la Sainte Vierge est-elle mère ? De Sancta Maria » 1 . La Sœur Josèphe-Marie, rédactrice du journal explique, à sa façon, le pourquoi de cette ignorance : « Ces pauvres enfants ne savent pas s’appliquer, subjugués qu’ils sont par l’indolence millénaire de leur race, ils ont de plus à lutter contre leur ignorance, à lutter aussi contre le climat, les difficultés de la langue dans laquelle est écrit le catéchisme et se trouvent dans la même impuissance où seraient nos bambins blancs qui devraient étudier leur catéchisme en latin. Cependant, parmi ceux qui savent le Kikongo, il en est qui répondent comme des petits théologiens et ceux-là nous consolent des autres. Il faut beaucoup de patience dans cet enseignement avant qu’une petite flamme d’intelligence passe dans les yeux dolents de nos négresses et amène sur leurs lèvres ce mot qui nous paie de nos labeurs : ‘compris’ » 1 .

L’échec (kuvila malongi 2 ) à l’examen qui conduit au baptême a été, pour plus d’un, source de frustration et de déshonneur. Les Pères et les Sœurs décrivent ces scènes où, d’un côté, les heureux lauréats jubilent, chantent et crient et de l’autre côté, les malheureux perdants faisant grise mine et pleurant parfois à chaudes larmes. Rester encore des mois à la mission à travailler et à subir le diktat des capita est un calvaire en plus.

Aussitôt les résultats proclamés, les candidats au baptême commencent une retraite silencieuse de trois jours. Le rapport de 1929 commente ce moment de retraite :

‘Samedi 19 (janvier) – Baptême d’une centaine de catéchumènes parmi lesquels 48 femmes ou filles. La retraite leur avait été prêchée pendant trois jours par le Père Supérieur qui, comme le Père Struyf d’ailleurs, ne compte ni son temps ni ses peines quand il s’agit du bien des âmes. – Si nos enfants sont sauvages et difficiles, il faut reconnaître que, pendant la retraite, elles édifieraient nos plus ferventes retraitantes de Belgique. Elles passent dans un silence absolu ces trois jours de recueillement et prient comme des anges. Aussi nous avons la certitude que la réception de des premiers sacrements fait époque dans leur vie et que si – souvent hélas- la nature prend trop vite le dessus, à l’heure de la mort au moins, le souvenir de leur baptême et de leur première communion ramènera à de bons sentiments les pauvres brebis égarées 3 .’

Les cérémonies de baptême se déroulent à l’église au jour fixé. La veille, à la fin de la retraite, les candidats se rasent mutuellement la tête, puis, en groupe, descendent à la rivière pour un grand bain. Purification ou symbole de grand acte du lendemain ? Le matin du jour « J », toute la Mission se rassemble devant l’église. Les baptisés sont disposés sur deux rangs, d’un côté, les hommes, vêtus d’une culotte (ou pantalon) et d’une chemise blanche ; en face, les femmes (filles) drapées de pagnes ou robes aux couleurs chatoyantes. Après une allocution qui rappelle aux néophytes le sens de l’acte qu’ils vont accomplir et les incite aux regrets de toutes leurs fautes, le missionnaire procède aux cérémonies. Prières avec imposition des mains, sel, onction d’huile sainte : l’âme se débarrasse de Satan pour accueillir Dieu. Entrée dans l’église en récitant le « Je crois en Dieu », admission du croyant dans l’église. Puis une question : « Veux-tu être baptisé ? » et la réponse : « Je le veux ». Alors le missionnaire verse l’eau sur le crâne nu : « un tel, je te baptise, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». L’eau coule sur le front. La cérémonie se termine avec le Saint-chrême, le linge immaculé et la lumière 1 .

Pendant le cantique final, la foule est impatiente, et lorsque les nouveaux baptisés apparaissent sur le porche de l’église, c’est une explosion de cris. Des cortèges s’organisent ; la fête se poursuit par village de provenance : chants, danses et repas avec les membres de la « tribu » et les parents venus du village. Les tambours et les tamtam roulent jusqu’à ce que la cloche rassemble tout le monde pour le Salut au Saint Sacrement. La nuit qui vient est encore une grande veille, une vigile, car demain, les néophytes feront leur première communion. Ils seront ensuite placés sous la protection de la Vierge Marie par l’imposition du scapulaire et la réception du chapelet qui remplaceront amulettes et fétiches.

Tableau N°10 Les Ding orientaux baptisés par les Jésuites d’après le registre de baptême d’Ipamu.
Années Total des baptisés Ding orientaux Pourcentage
1921 73 3 4,1
1922 151 25 16,6
1923 36 23 63,9
1924 320 88 27,5
1925 209 54 25,8
1926 210 51 24,3
1927 509 160 31,4
1928 306 150 49
1929 516 168 32,6
1930 508 216 42,5
1931 498 222 44,6
1932 994 372 37,4
1933 699 283 40,5
Total 5029 1815 36,1

(Sources : Registres de baptême, Archives de la Paroisse d’Ipamu.)

Après ces deux jours festifs, les nouveaux baptisés regagnent leurs villages et rejoignent leur communautés chrétiennes conduite par le catéchiste 1 . Certains, les plus intelligents, sont retenus soit pour devenir catéchiste, soit pour continuer les études en vue de la prêtrise ou pour devenir moniteur. Les Pères font parfois embaucher leurs meilleurs néophytes comme auxiliaires, soit dans les sociétés commerciales ou industrielles, soit dans l’administration de l’État. Combien de Ding orientaux ont été baptisés à l’époque des missionnaires Jésuites ? La compréhension du tableau de la page précédente impose quelques commentaires. Les noms des bébés baptisés dont les parents sont chrétiens n’ont pas été pris en compte parce qu’inscrits dans un cahier à part et que ce carnet n’indique pas le village d’origine des parents. Nous ne savons pas si tous les baptêmes faits par les catéchistes aux personnes en danger de mort ont été enregistrés. Nous n’avons aucune indication dans ce sens. Enfin, quand le registre indique comme domicile, les entités extra-coutumières, comme Dibaya, Lubwe et Mangaï, il ne nous permet pas d’établir les identités ethniques des personnes concernées. À vrai dire, les statistiques que nous présentons sont lacunaires, mais elles ont l’avantage d’exister comme base à partir de laquelle, nous pouvons tenter des extrapolations.

Notes
4.

L’expression « prendre le baptême » se situe dans le même champ sémantique que « prendre un fétiche protecteur » (kubaka nkisi), « s’initier à la sorcellerie » (kubaka ndoki), « s’initier à la magie de la foudre » (kubaka nzazi). Le baptême est censé donner une force supplémentaire à celui qui le reçoit.

1.

EUDORE, H., Rapport au conseil provincial, 1932, AGOR, farde Congo.

1.

RSSMN, décembre, 1928, Ipamu

1.

DSSFS, novembre 1929, Mwilambongo

1.

DSSFS, novembre 1929, Mwilambongo.

2.

« kuvila malongi » signifie échouer à un examen qui donne droit à un sacrement.

3.

RSSMN, janvier 1929, Ipamu.

1.

Cette description est conforme au rituel de baptême des années 1930.

1.

La vie du chrétien au village sera étudiée dans la troisième partie de ce travail.