3. 5. LE MARIAGE

Rappelons que le mariage chrétien en « pays infidèle » est restée longtemps une question épineuse pour les missionnaires 1 . Même si les Supérieurs des Missions du Congo Belge ont essayé, dans leurs Instructions, de rendre compatibles les exigences canoniques avec les pratiques locales, sur le terrain, ses adaptations devenaient inapplicables tellement les coutumes matrimoniales étaient complexes et diversifiées. Le missionnaire devait souvent faire du cas par cas.

Pour traduire le mot « mariage », les Jésuites du Kwango ont employé deux termes : « Longo » 2 et « Makwela » 3 .

Comme l’exigence du droit de l’Église, les Jésuites mettent beaucoup de soins à célébrer religieusement les mariages. Les couples reçoivent une formation sommaire relative à la vie d’une famille chrétienne, aux droits et devoirs des parents chrétiens, à l’indissolubilité du mariage et à son caractère monogamique. La semaine précédant la bénédiction du mariage, les fiancés font une retraite avec le Père Supérieur. La cérémonie se déroule pendant la messe : « Mardi 12 (février 1929) – La messe de mariage eut lieu à l’heure habituelle, c’est-à-dire à 5 h ¼ . Les 12 couples qui ont été préparés par une retraite à la réception du sacrement, sont rangés dans le chœur et communient à l’autel. Dans la matinée, les jeunes mariés viennent nous faire leurs adieux. Puissent-ils tous rester de bons chrétiens » 1 .

Pour plusieurs, le mariage est la dernière étape d’un long cheminement débutée à l’école rurale au village, puis prolongée par le catéchuménat à Ipamu et couronnée par le baptême et la communion. Les mariés n’ont pas les mêmes situations matrimoniales antérieures.

Sous l'éclairage des notes de Sœur Joseph-Marie 2 , nous observons trois situations différentes :

1°Les personnes venues à la mission en étant déjà mariées suivant les usages coutumiers : Celles-ci se présentent souvent en famille : père, mère et enfants (parfois, les enfants âgés sont laissés au village pour minimiser les nombreuses difficultés de la vie à la mission). Toute la maisonnée est alors inscrite au catéchuménat et logée au « makwela », camp des gens mariés. À l'issue des deux années de préparation, le missionnaire baptise les deux conjoints et il bénit leur mariage. Ici il n’y a pas nécessité d’exiger le consentement des époux, car ils sont, en fait, déjà mariés. Il s'agit du « mariage des gentils » dont parle la Sœur Joseph-Marie. Il se produit souvent, dans cette première configuration, des drames lorsqu’un des conjoints vient à échouer son examen de baptême. Écoutons encore une fois la Sœur Joseph-Marie :

‘Les examens de baptême sont clos. Une dernière fois, on examine la situation des aspirants ; pour avoir des situations nettes, le mari et la femme païens doivent avoir le baptême le même jour ; qu’ils s’arrangent et que le plus savant des deux dégrossisse l’autre… cela amène des tableaux comiques car parfois le savant fait entrer la science à coups de chicotte sur les reins de sa chère moitié … ou bien il vient se déclarer veuf… ou libre de mariage… Cela ne prend pas ! Attendez votre moitié, cher enfant 3  !’

2°Les personnes venues demander le baptême sans avoir auparavant contracter officiellement un mariage au village. Ici deux alternatives se présentent :

a) Si le jeune homme était fiancé ou vivait en concubinage avec une fille, il demandera au membre de sa famille de régulariser la situation, notamment en payant la dot, et fera venir la fiancée à la mission pour le catéchuménat et le baptême. Dans ce cas, le garçon et la fille vivent séparés, le premier dans le quartier des garçons et la seconde dans celui des filles chez les Sœurs. Si les deux fiancés réussissent au même moment leur examen de baptême, ils reçoivent le sacrement et quelques temps après se marient religieusement. °

b) Il arrive aussi qu’un jeune homme ou une jeune fille fiancés ou mariés suivant les prescriptions de la coutume refusent d’accompagner à la mission son partenaire qui désire le baptême. Celui ou celle qui est allé à Ipamu reçoit son baptême et rentre au village. Si lui ou elle veut se marier religieusement, il (ou elle) devra attendre la conversion de l’autre. Cette situation est plutôt rare, car dès que quelqu’un veut dissimuler sa situation d’avant le catéchuménat, il est vite dénoncé par le catéchiste ou par les chrétiens du village. Les missionnaires posent alors comme condition d’admission au baptême, la présence à la mission et au catéchuménat de la personne restée au village. Les témoins affirment que le Père Struyf n’hésite pas à employer la manière forte pour emmener les fiancées réticentes au baptême à la mission.

3°La situation des polygames qui demandent le baptême et le mariage est la plus problématique. La réponse des Jésuites est sans concession. Il faut que le polygame se débarrasse de toutes ses femmes et n’en garde qu’une seule. Ici un problème de choix se pose. Laquelle choisir ? C’est à ce niveau, comme nous le verrons plus loin, que les nouveaux convertis vont ruser avec les missionnaires. Ils garderont officiellement une épouse, mais en réalité, ils continueront à entretenir toutes les autres. La Sœur Josèphe Marie reconnaît que, pour le missionnaire, la question du mariage n’est pas facile à régler :

‘Il y a parfois des cas épineux, simples ou complexes et les Pères ont souvent chaud à travailler ces causes… brûlante !!…d’autant plus que nous devons établir la liberté du mariage en même temps que l’indissolubilité. Nos nègres comprennent facilement le 1er point, quant au 2ème, il y a encore de la besogne et je crois que plusieurs générations passeront avant qu’il ne soit établi. Oh ! nos nègres ne sont pas des saints, pas même de solides chrétiens. . Ils sont au bas du chemin, montant vers la perfection catholique… et nos blancs ? Combien sont à mi-chemin de la descente et combien ont roulé plus bas que les noirs qui, eux, ont l’excuse des traditions ancestrales. Pour être cachées, les mœurs européennes n’en sont pas moins coupables et lorsque nous enseignons les Saintes lois du mariage, nous lisons dans les yeux des noirs scandalisés : « Et ces commandements, existent-ils pour les blancs ? » ’

C’est vrai, le missionnaire ne pouvait pas établir que tous les mariages qu’il bénissait étaient conformes au droit canonique. D’abord parce qu’il était incapable de comprendre la complexité des règles très élaborées qui régissaient les rapports matrimoniaux des indigènes. Ensuite ceux qui se présentaient à lui, avaient déjà arrangé entre eux, au village et selon la coutume, leurs palabres de mariage (dot, consanguinité, etc.). Enfin parce que le contrôle en matière de vie affective et de mœurs sexuelles est difficile à effectuer. Ne pouvaient être punis que des cas flagrants.

Notes
1.

Lire PRUDHOMME, C., « Mariage chrétien et mission chez les païens. La position de la papauté autour de 1900 » in DURAND, J-D & LADOUS, R. (sous la dir. de), Histoire religieuse. Histoire globale – Histoire ouverte. Mélanges offerts à Jacques Gadille, Beauchesne, Paris, 1992, p. 161-180.

2.

Quel est l’étymologie du mot « longo » ? Il proviendrait du kintandu et signifierait « union ».

3.

« Makwela » vient du verbe « kukwela » qui signifie « se marier ».

1.

RSSMN, février 1929, Ipamu.

2.

Beaucoup de jeunes gens sont mariés à l’indigène et l’Église en reconnaît la légitimité, à condition que ce mariage soit volontaire et légal pour les deux conjoints. L’église appelle ces unions : « mariage de gentils » « ménages ex-païens ». Quant aux fiancés n’ayant jamais vécu ensemble après leur baptême, ils doivent donner leur mutuel consentement devant l’autorité (le P. Sup) pour recevoir la bénédiction nuptiale, c’est le mariage civil et chrétien.

3.

RSSMN, février 1929, Ipamu.