4. 1. 3. Misères d'un « broussard » !

Le travail du missionnaire « excurrens » n’est pas de tout repos. Ses conditions matérielles de vie sont souvent précaires. Il loge « chez l’habitant », d’habitude le chef du village ou le catéchiste, dans des maisons de matériaux végétaux, parfois perméables au vent et à la pluie, en compagnie de grillons, stridents surtout la nuit. Le plus dur à supporter ce sont ces distances à effectuer à pied, en hamac ou en pirogue. Beaucoup d’anecdotes foisonnent à ce sujet. Une, parmi tant d'autres, est celle du Père Struyf qui a failli perdre la vie alors qu'il descendait la Lubwe en pirogue. La malheureuse aventure du missionnaire nous est contée par deux sources : le journal des Sœurs de Saint François de Sales, de Leuze et le récit de la victime elle-même publiée dans la Revue Missionnaire des Jésuites Belges sous le titre de « La descente de la Lubwe » 1 .

C’est pour faire l’éloge du vaillant missionnaire qui « se dévoue héroïquement au Congo depuis de nombreuses années » que la Sœur Josèphe-Marie rapporte ce qui est arrivé au brave Père : « C’était un héros ! Un digne fils de Saint Ignace ! Au temps où la route-auto n’était qu’un projet, après une visite à la mission (il s’agit de Mwilambongo), il retournait en baleinière, sur la Lubwe ; un vent violent s’élève… naufrage de la baleinière… Hardi nageur, il échappe à la mort, pour être attaqué après, des « bula-matari » sorte de guêpes qui encerclent la victime et auxquelles il est difficile de se soustraire… Le Père sort vainqueur de ce nouveau danger. On raconte de lui des choses étonnantes dans la région et chacun connaît son dévouement » 2 .

Le Père Struyf lui-même raconte son aventure :

‘Par un beau matin, après avoir dit adieu aux Pères de Mwilambongo, nous nous dirigeons vers la rivière. Tous nos pagayeurs sont là, nos bagages déposés et nos chaises installées dans la baleinière. Nous faisons un signe de croix et... en avant!...Les pagaies battent l'eau en cadence tandis qu'un nègre, ayant une barre de fer dans chaque main, frappe les flancs de l'embarcation. Toujours le même rythme, toujours le même bruit strident et énervant! Nous voilà descendant la Lubwe, par d'incroyables méandres. […] La rivière profonde, n'a que 30 ou 40 mètres de large. L'une de ses rives est à pic, l'autre, plate, inondée, se prolonge en forêt... Ce n'est que dans la région de Kilembe que la Lubwe coule à travers des plaines marécageuses. [...] A un moment donné voici devant nous un formidable tournant et un grand shnack. Afin de l'éviter les pagayeurs foncent sur l'autre rive où des bouquets d'arbres plongent dans la rivière. Tout d'un coup les voilà qui hurlent à tue-tête: « Bula Matari! Bula Matari! » et tous se jettent à l'eau, abandonnant baleinière et pagaies. C'est un « sauve-qui-peut » général!Nous voilà seuls dans l'embarcation, mon compagnon et moi ainsi que mes deux chiens qui nous avaient suivis dans notre expédition. Je me lève, ne comprenant rien à cette escapade ni aux cris de « Bula Matari ! » que pouvaient-ils signifier?... Le « Bula Matari » c'est l'État...Ah! je saisi enfin! Les « Bula Matari » dont il s'agit, tous les pagayeurs, tous les habitants des rives de la Lubwe les connaissent. Ce sont les « mamowchis », les terribles guêpes, qui s'attachent en grappes compactes à maints troncs d'arbres le long de l'eau... À peine étions-nous debout dans la baleinière, que par centaines, ces insectes dérangés et excités par notre folle arrivée, se jettent sur nous. Tête, barbe, mains, notre corps entier ne tarda pas à être envahi et piqué. Que faire?... Rester dans la baleinière? Il n'y fallait pas songer! Se jeter à l'eau? C'est ce que nous avions de mieux à faire 3 !Le premier, mon compagnon sauta dans la rivière, profonde à cet endroit de trois ou quatre mètres. Son casque, tombé de sa tête, resta dans la baleinière. Ne sachant pas nager, il s'enfonce dans l'eau. Le voilà qui reparaît. Pour lui c'est le « struggle of live ». Il plonge, gigote, fait des efforts surhumains pour se sauver. Comment a-t-il pu se tirer d'affaire? C'est le secret de la Providence et des Saints Anges!Resté seul dans la baleinière, je vois près de moi mes deux chiens qui hurlent de douleur. Je dépose alors mon casque et mes lunettes et tout habillé, je saute par-dessus bord. Il était temps car l'embarcation s'en allait tout doucement à la dérive et sans pagayeurs, sans gouvernail, je pouvais foncer sur un shnack! [...] Je pus enfin atteindre la rive et, m'accrochant aux branches d'arbres qui plongeaient dans la rivière, je parvins à gagner la berge. 1

Ce récit est l’exemple concret des dangers qui guettent le missionnaire « excurrens » lors de ses pérégrinations. Les obstacles sont nombreux pour ces Européens qui se trouvent souvent dans un environnement géographique et culturel inédit. Il leur faut, en tout cas, plus que du courage pour résister !

Notes
1.

STRUYF, « La descente de la Lubwe » in MBCJ, 1931, p. 300-303.

2.

DSSFS, Août 1930, Mwilambongo.

3.

STRUYF, « La descente de la Lubwe » ..., p. 300-301.

1.

Idem, p.301.