5. 4. DIFFICULTÉS DE LA SCOLARISATION

Le nombre de plus en plus élevé des filles et des garçons fréquentant l’école à l’époque des Jésuites ne peut masquer les difficultés éprouvées par les missionnaires pour recruter les enfants et les maintenir sur les bancs de l’école. Comme du temps des Scheutistes, les Pères et les Sœurs d’Ipamu continuent à distribuer sel et étoffes pour attirer les plus retors. La difficulté de trouver facilement à manger à la mission, la discipline imposée par les missionnaires et leur capita, ne favorisent guère, du moins au début, une venue massive et sans contrainte des élèves. À propos de la situation alimentaire à Ipamu, le Père Dom écrit : « Il est pénible parfois de les entendre dire Lumona nzala, nous avons faim, littéralement « nous voyons la faim ».[…] Heureusement ils parviennent à se contenter de peu : des fruits de la forêt, des champignons, des chenilles, des grillons, des feuilles de manioc, tout cela se mange chez eux ; les œufs pourris, on les cuit, la viande avancée de même ; « on ne mange pas l’odeur » disent-ils. » 1

Tous les témoins sont unanimes pour affirmer que les Jésuites ont souvent recours à l’État pour contraindre les enfants à fréquenter leurs écoles. Pour d’aucun, ce refus de l’éducation sur le modèle occidental peut apparaître curieux. Replaçons-nous dans le contexte de l’époque. À quoi l’école sert-elle dans la vie pratique ? Dans ces sociétés où les gens vivent de l’agriculture, de la chasse et de la pêche, est-il utile de passer plusieurs mois entre les murs à répéter les balivernes d’un maître, même missionnaire, au lieu d’apprendre à couper son champ, à chasser ou à pêcher. Plusieurs enfants Banzadi désertent la mission à l’approche de la saison sèche. À Ipamu même, les enfants ne manquent en aucune façon leur mercredi et leur dimanche pour aller à la chasse. Lisons encore un témoignage du Père Dom : « L’après midi de mercredi et la journée du dimanche sont des jours de grande chasse. Lorsqu’une bête a été abattue, nous recevons une épaule, c’est-à-dire la part du chef ; tout le reste est mangé, même la peau et les entrailles, le tout, partagé entre les chasseurs suivant des règles invariables » 2 .

En réalité la chasse et la recherche de la nourriture ne sont pas seulement pour le mercredi et le dimanche, elles sont quotidiennes :

‘Pour passer le temps, pendant qu’ils surveillent le riz, ils confectionnent des arcs et des flèches en bois ; ils parviennent parfois ainsi à tuer quelques-uns des oiseaux qui ravagent le champ de riz. Ils tressent des cordes eux-mêmes avec une écorce d’arbre ou les fibres des feuilles d’une espèce de palmier. Les Scouts auraient beaucoup à apprendre de l’ingéniosité de ces petits sauvages. Ici construire une maison, pas n’est besoin de clou ou d’instruments compliqués ; la kitansi, sorte de grand couteau, sert à tout les usages : abattre des arbres, creuser la terre, etc 1 . ’

L’école des missionnaires ne donne pas immédiatement à manger. Elle n’apprend ni à chasser ni à pêcher. Bien sûr elle conduit au baptême et au mariage, mais après ? Pour les filles la fréquentation de l’école pose encore beaucoup de problèmes. Une femme qui sait lire et écrire et qui a été baptisée ne peut-elle épouser qu’un homme ayant plus d’aptitudes ou les mêmes qu’elles ? Est-il facile de trouver un tel individu ? Beaucoup de filles n’ont jamais pris le risque de « voler plus haut » pour ne pas manquer de mari.

Les vertus de l’école occidentale ne sont découvertes que progressivement grâce à la modernisation économique de la société et à un besoin de plus en plus croissant d’une main d’œuvre plus ou moins qualifiée.

Notes
1.

DOM, « Lettres aux élèves de Saint Michel… », op.cit., p. 218

2.

DOM, op.cit., p. 218

1.

Idem, p. 219.