1. ÉTUDIER LES MŒURS INDIGÈNES POUR FACILITER L’APOSTOLAT ET ENRICHIR LA SCIENCE CATHOLIQUE

S’intéresser aux études ethnographiques, est une importante recommandation des Supérieurs du Congo à leurs missionnaires, conforme aux instructions de la Propagande. Ils leur demandent d’étudier les mœurs des indigènes pour trois raisons principales :

‘L’étude des mœurs indigènes est extrêmement utile aux missionnaires. Ceux-ci s’appliqueront donc à connaître : le caractère des populations qu’ils ont à évangéliser, afin de mieux les atteindre et les diriger ; leurs préjugés et leurs usages qu’il ne faut heurter sans nécessité, ni approuver quand ils sont contraires à la saine raison et à la foi ;leurs habitudes morales pour les corriger à propos. Ces observations ethnographiques soigneusement faites et annotées ne faciliteront pas seulement l’apostolat, elles seront très utiles aussi à la science catholique 1 .’

Sur le terrain, ces études sont d'une grande utilité pratique. Dès 1891, par exemple, les fondateurs de la mission du Kwango sont, d’après leurs propres témoignages, confrontés à une double difficulté : la langue pour communiquer avec les autochtones et la connaissance de la culture locale pour faire passer le message dont ils sont porteurs. Un des pionniers, visitant la région de Kimwenza, près de l’actuelle ville de Kinshasa, écrit :

‘Les nègres font grand mystère de leurs rites religieux, de leurs usages sociaux, de leurs principes de morale, de leur organisation familiale, de leurs institutions politiques et même des moindres particularités de leur vie privée et de leurs relations domestiques. Il faut un long séjour parmi eux, il faut une parfaite connaissance de leurs langues si difficiles et de leurs bizarres idiomes, si différents des nôtres, pour arriver peu à peu à se rendre un compte approximatif de leurs mœurs et de leurs coutumes 2 . ’

Afin de réaliser l’action évangélisatrice pour laquelle les supérieurs généraux et les instances romaines ont investi tant de ressources matérielles et spirituelles, il faut donc que les missionnaires apprennent les bizarres idiomes des nègres. Ils doivent aussi, souvent malgré eux, dans ce même but d’évangélisation et d’enrichissement de la science catholique, s’efforcer de pénétrer les mystères de la culture des indigènes en étudiant leurs rites religieux, leurs usages sociaux, leurs principes de morale, leur organisation familiale, leurs institutions politiques, leur vie privée et leurs relations domestiques.

Au fur à mesure qu’ils étendent leur champs d'action, les missionnaires découvrent de nouveaux peuples et des nouvelles cultures qui, souvent, les surprennent par leur spécificité et l’originalité de leurs institutions. Toujours dans ce souci premier de « connaître les nègres pour bien les évangéliser », les missionnaires, les plus doués, essaient tant bien que mal de décrire ces cultures et de donner une explication à ce qui leur paraît insolite.

Ainsi ont-ils produit une abondante littérature qui, aujourd’hui, constitue, pour certaines régions du Congo, les seuls documents écrits sur la période antérieure à la colonisation. Cette littérature ressemble à des photographies prises sur un seul angle et cachant du même coup les autres postures. Saisies par les « missionnaires occidentaux » à travers un prisme des préjugés, elles sont une image déformée de la société. Ces photos, tout en indiquant certains aspects de la culture autochtone, en dissimulent d’autres et en méconnaissent souvent la signification profonde. Les raisons de ces occultations et de ces altérations sont à chercher, d’abord dans l’impossibilité pour un étranger de pénétrer dans ce que Cheik Anta Diop appelle le « noyau dur » 1 d’une culture, de son âme et également dans l’ignorance des langues locales, brèche indispensable pour entrevoir les entrailles d’une culture. Tous les missionnaires avisés sont conscients de cette double difficulté. Ils insistent sur la gêne qu’ils éprouvent à rendre compte, avec exactitude, de toutes les subtilités de ces cultures qui, pour eux, restent « exotiques ».

Leurs propos traduisent, par ailleurs, les préjugés et le complexe de supériorité qu’ils ont vis-à-vis des indigènes. Ils sont fils d’une époque où l’Europe, forte de ses progrès techniques et de son confort matériel, croit qu’elle a atteint le sommet de la « Civilisation » et qu’elle a mission de porter cette « Civilisation » jusqu’aux extrémités de la terre. Les missionnaires belges considérent aussi leur apostolat au Congo comme « une œuvre civilisatrice ».

Les études ethnographiques sont aussi encouragées par l’administration coloniale qui y voit un moyen de connaître les indigènes pour mieux les contrôler et les exploiter. Déjà la convention de 1906, en son point 6, engage les missionnaires à remplir, pour l’État et moyennant indemnité, ce genre de recherches 2 . En Belgique, un environnement matériel propice assure la diffusion et la publicité de toutes ces connaissances acquises par les missionnaires 1 .

Notes
1.

Recueil d’Instructions aux Missionnaires…, op.cit., p. 8

2.

Anonyme, « La colonie scolaire de Kimuenza d’après les lettres des missionnaires », Précis historiques, 1894, pp.567-568.

1.

CHEIK ANTA DIOP, Civilisation ou barbarie :anthropologie sans complaisance, Présence africaine, Paris, p. 234.

2.

La Convention du 26 mai 1906, signée entre l’E.I.C. et le Saint siège : « Art. 6. Les missionnaires s’engagent à remplir pour l’état et moyennant indemnité, les travaux spéciaux d’ordre scientifique rentrant dans la compétence personnelle, tels que la reconnaissance ou études géographiques, linguistiques, etc. » in B.O., 1906, col.

1.

Lire, pour approfondir la question, NKAY M., « Missionnaires belges et recherche ethnographique au Congo », op. cit., p. 341-370.