3. LES JÉSUITES : UNE ANTHROPOLOGIE PLUS ÉLABORÉE

Une fois sur le terrain, les Jésuites du Kwango se rendent vite compte qu’il n’est pas facile de porter l’évangile et la « civilisation » aux autochtones qui ne parlent pas la même langue qu’eux. S’ils veulent se faire entendre et se faire comprendre, il leur faut apprendre les idiomes locaux. Cela n’est pas facile non plus, parce que ces langues sont nombreuses et qu'à l’intérieur de chacune d’elles, il existe un nombre infini de variantes dialectales. De cette façon, l’effort pour pénétrer les arcanes de la culture des indigènes échoppe sur la question linguistique. Pour relever ce handicap, les missionnaires ont recours aux interprètes. Ceux-ci, souvent des catéchistes, abusent régulièrement les Jésuites soit involontairement parce qu’ils ne trouvent pas des mots justes pour traduire les réalités qu’ils connaissent, soit volontairement parce qu’ils ne veulent pas dévoiler aux « B lancs de Dieu » les choses qu’ils considèrent comme fondamentales et essentielles à la survie de leur société.

En ce qui concernent les Ngwi et les Ding, Ndaywel 1 décrit longuement ce que Achille Mbembe appelle « les stratégies de ruse » 2 , ces formes de résistances utilisées par l’indigène pour ne pas se dévoiler devant l’étranger blanc. En aucun moment, durant la domination coloniale, les autochtones ne se sont complètement ouverts aux missionnaires ou aux coloniaux. Ils ont défendu pied à pied les territoires de leurs cultures qui leur paraissaient vitaux.

Ainsi donc, ce que les Jésuites ont dit et écrit reste approximatif, c’est à dire que ces témoignages mélangent le « bon grain et l’ivraie ». Le tri serait à faire, et la tâche n’est pas simple ! Comment distinguer le vrai du faux ? Comment différencier ce qui relève de l’authentique tradition locale de manipulations coloniales et des interprétations missionnaires ?

En lisant les écrits des Jésuites d’Ipamu, nous nous sommes aperçu que la plupart des textes comportent deux strates.

D’une part, une description plus ou moins « objective » des phénomènes vus et observés par le missionnaire-ethnographe voit et observe. Cette description constitue une « sorte de photographie instantanée », une pièce du puzzle qui peut être utilisée dans la reconstitution d’une fresque historique.

D’autre part, les commentaires que le savant fait à propos de ce qu’il a observé ou ce que ses interlocuteurs lui disent à propos de l’événement vécu. Ces commentaires constituent un deuxième niveau du discours. Ils relèvent de l’interprétation, de « l’herméneutique ». C’est, en fait, le stade de la « fabrication », par le missionnaire-ethnographe, d’une image du « missionné ».

Le récit de la « mort d’un aigle » conté par Struyf 1 illustre bien ce « double discours » : la cérémonie accompagnant la mort du rapace est décrite telle quelle, mais l’explication du discours du chef du village par Struyf semble loin de la vérité ainsi que le sens donné au rituel lui-même.

L’ethnographie des Jésuites, emprunte de réalisme et riche de nombreux renseignements sur le passé des Ding et d’autres populations de la région, reste engluée dans les travers des conditions historiques qui l’ont vue naître.

Notes
1.

NDAYWEL, Organisation sociale…, p. 281-287.

2.

MBEMBE, A., Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Karthala, Paris, 1988, p. 75-85.

1.

STRUYF, « Ma première visite… », op.cit., p.132-133.