3. 2. 3. L’invention de deux ethnies

L’introduction du nouvel ethnonyme « Ba Dzing » devait automatiquement entraîner la naissance d’une nouvelle ethnie, car celle-ci se définit, d’après les ethnologues 1 , d’abord par le nom qu’elle se donne. Déclarer que les «  Ba Dinga de la Kamtsha » se nomment « Ba Dzing », qu’ils refusent cette appellation aux « Ba Dinga-Mukene Mbel » et désignent ces derniers par le terme péjoratif de « Ba Mbensie », équivaut à affirmer que les « Ba Dinga de la Kamtsha » se considèrent comme différents de « Ba Dinga de l’Est ». Or, précisément, c’est la conscience de la différence qui distingue les ethnies les unes des autres. En affirmant cette dissemblance, Mertens montre, même s’il ne le dit pas explicitement, que les « Ba Dzing ba maaj ma Kãntsha » forme un groupe ethnique à part. D’ailleurs, il ne tardera pas à attribuer une langue spécifique à ce groupe ; d’abord en insinuant dans sa lettre à Maes que, malgré les ressemblances au niveau des radicaux, la langue de Badinga de l’Est n’est pas similaire à celle de Badinga de l’Ouest. Il note que les préfixes de la langue des « Ba Dinga-Mukene  se rapprochent des préfixes de la langue des Ba Ngoli. Les radicaux par contre se rapprochent de ceux des « Ba Dzing du Sud » 2 . La langue des Badinga de l’Est se présente donc comme un mélange de la langue de Bangoli et de celle Ba Dzing. Elle est tout autre.

La langue est un des critères de la définition d’une ethnie. Si les « Ba Dzing » ont un langage différent de celui des « Ba Dinga Mukene », cela peut être un critère pour dire qu’ils forment une ethnie. Pour confirmer la thèse de la différence linguistique entre les « Ba Dzing » et les « Ba Dinga Mukene », deux dictionnaires distincts seront élaborés : le premier d'« l’Idzing », langue des « Ba Dzing », est l'œuvre de Mertens, le second de « Kiding », langue des « Ba Dinga Mukene » 3 , dû à Struyf.

Le premier volume de la monographie de Mertens - qui ambitionne de faire une étude ethnographique complète des « Ba Dzing des la Kamtsha » - scelle définitivement la distinction entre les Badinga de l’Est et ceux de l’Ouest en donnant aux seconds une culture particulière. C’est alors que Van Bulck dira, dans sa préface de ce premier volume, que « Les Ba-Dzing de la Kantsha ne pourront désormais plus être confondus avec les Ba-Dzing de Mukene-Mbel. Les Ba-Dzing se distinguent et des Ba-Ngoli et des Ba-Nzadi et de Ba-Lori. Les contrastes avec les Ba-Mbunda sont frappants et mettent fort en doute la question de leur parenté tribale antérieure » 1 . Les « Ba Dzing de la Kamtsha » deviennent donc, au même titre que les « Ba Dinga Mukene », les « Ba Ngoli » ou les « Ba Mbunda », une de ces races ( tribus, peuplades, ethnies) sauvages que les missionnaires peuvent observer et évangéliser et que la « science occidentale » peut décrire.

Notes
1.

Il y a autant de définitions de l’ethnie qu’il y a des dictionnaires d’ethnologie. Les spécialistes sont plus ou moins d’accord pour proposer les critères suivants comme déterminants : le nom (ethnonyme), la langue, la communauté culturelle incarnée par les institutions identiques sinon similaires, la possession d'un territoire bien déterminé qui instaure un sentiment de souveraineté et la conscience qu'ont les membres du groupe d'appartenir à une telle entité et pas à une autre. Les travaux récents que nous avons évoqués plus haut illustrent bien la difficulté qu’ on peut avoir à cerner la notion d’ethnie ( tribu, peuple, nation, peuplade, race, etc.)

2.

Notes adressées par MERTENS à MAES…, p. 3.

3.

Lire NDAYWEL, « Les langues africaines en question… », p. 165-166.

1.

C’est probablement en 1933 que Mertens soumet ses manuscrits à l’appréciation de Gaston Van Bulck, éminent jésuite, docteur en ethnologie et langues africaines. Le savant rédige une préface qu’il titre : « Les Ba. Dzing dans nos sources de littérature ethnographique. Introduction à la monographie des Badzing par le R. P. Mertens (S. J.) ». Cette préface dont la rédaction s’est terminée le 19 février 1934, sera publiée dans la revue Congo en octobre 1934, avant la sortie, en 1935, du premier volume de la monographie elle-même.