4. 1. UNE PRÉFACE AMBIGUË DE GASTON VAN BULCK

Les manuscrits de la monographie de Mertens ont été donnés à Gaston Van Bulck 1 , éminent jésuite, probablement vers la fin de 1933 ou au début de 1934. Van Bulck rédige alors une préface qu’il termine à Louvain, le 19 février 1934. Cette préface est publiée, avant l’ouvrage lui-même, dans la revue Congo d’octobre 1934, sous le titre de « Les Ba Dzing dans nos sources de littérature ethnographique. Introduction à la monographie des Badzing par le R. P. Mertens (S. J.) » 2 La préface de Van Bulck illustre la difficulté pour Mertens et son préfacier d’opérer une nette distinction entre les « Ba Dzing de la Kamtsha » et les « Ba Dzing Mukene ».

L’article est le genre même de ces approximations dont seule l’ethnographie connaît le secret. Il y a, au départ, un malentendu entre l’auteur de la monographie et son préfacier au sujet de la définition des « Ba Dzing ». Pour Mertens l’ethnonyme « Ba Dzing » (Ba Dinga) s’applique à deux groupes de populations : les « Ba. Dzing de la Kamtsha » et les « Ba Dzing qui obéissent à Mukene ». Selon cette appréciation, le territoire des Ba Dzing s'étend approximativement de la Kamtsha à la Loange, et parmi les populations voisines des « Ba Dzing », il faudrait comptabiliser les Nkutu, les Lele, les Wongo et les Pende. La définition de Van Bulck est, par contre, plus restrictive : pour lui, les Ba Dzing (Ba Dinga) constituent « une tribu voisine de celle des Ba Nzadi, des Ba Lori, des Ba Ngoli et des Ba Mbunda » ; il se limite – selon l'expression de Mertens – aux « Ba Dzing qui obéissent à Kandol, chef d’Ibjaal ». C’est dans ce groupe que Mertens prétend avoir mené ses enquêtes. Et c’est ce groupe que Van Bulck appelle « Les Ba. Dzing de la Kantsha » ou simplement la « tribu de Ba Dzing ». Il les oppose résolument aux « Ba Dzing de Mukene-Mbel » : « Les Ba Dzing de la Kantsha ne pourront désormais plus être confondus avec les Ba-Dzing de Mukene-Mbel ».

À première vue, l’objet de la préface de Van Bulck est bien défini et les populations bien circonscrites. Mais les difficultés surgissent lorsque Van Bulck aborde l’histoire de la rencontre de ses « Ba Dzing de la Kanstsha » avec les Européens. Ici, il élargit le champ de son investigation au-delà de sa définition initiale. Lorsqu’il commence cette histoire par l’expédition de Von Wissmann et qu’il évoque tous les voyageurs du Kasaï, alors il ne parle pas des « Ba Dzing de la Kantsha », mais plutôt des « Ba Dzing de Mukene-Mbel » (Ding orientaux).

En effet, nous l’avons précisé dès le premier chapitre de ce travail, Wissmann et ses compagnons ne sont pas allés à l’intérieur du pays Ding. Ils ont visité, dans la région de Pangu et de la Lubwe, les Ding orientaux ( Ba Dzing de Mukene Mbele suivant la terminologie de Mertens et Van Bulck). Les « Ba. Dzing  de la Kantsha » n’auraient fait l'objet que de deux expéditions, celle de Kund-Tappenbeck (1886), qui a traversé l’entre Kwilu-Kamtsha ( il n’est pas sûr que celle-ci aurait rencontré des Ba. Dzing) et celle de Léo Frobenius (1904-1906), qui a longé la crête, frontière des Ba. Mbunda et des Ba. Dzing. Toutes les autres expéditions, y compris celle de Wissmann, ont « contourné » les Ba Dzing de Van Bulck.

L'ambiguïté de la préface de Van Bulck réside dans le fait qu'elle n'annonce pas l'étude des Ding orientaux qui est pourtant largement développée dans le dossier.

Notes
1.

Van Bulck Vaast (ou Gaston) est né à Berchem en 1903, entre chez les Jésuites en 1922 et est mort à Louvain en 1966. Docteur en philologie classique, diplômé de la Sorbonne en linguistique, ethnologie et phonétique, docteur en ethnologie et langues africaines de l’Université de Vienne, membre de l’Académie royale des Sciences d’Outre-Mer et de nombreuses sociétés savantes, il partageait son temps entre les cours à l’Université grégorienne de Rome ainsi que l’Université catholique de Louvain (où il dirigea son éphémère Institut africaniste) et les études qu’il menait sur le terrain dans toute l’Afrique noire. Surpris par la guerre pendant une mission au Congo, il prit du service pendant sept ans chez les Bayaka et les Bakongo. L’International African Institute de Londres le sollicita pour établir le partage des langues soudanaises et bantoues et leur codification. Ce travail lui prit deux années pleines. Ces travaux sur la linguistique africaine furent entre autres publiés par l’Institut royal colonial Belge et la revue Zaïre. On lui doit notamment : Les Recherches linguistiques au Congo belge, IRCB, Bruxelles, 1948 et un Manuel de linguistique bantoue, Bruxelles, 1950. Lire De la Mission du Kwango à la Province d’Afrique centrale… op. cit., p. 352.

2.

VAN BULCK, « Les Ba Dzing dans nos sources de littérature… », op.cit., p. 297.