7. 2. ENTERREMENT DES PERSONNES VIVANTES ET ESCLAVAGE

Une autre coutume qui heurte les Jésuites d’Ipamu est « l’habitude d’enterrer, encore vivants, plusieurs esclaves, à la mort d’un chef ou d’un notable du village, homme ou femme » 5 . Struyf indique que « ces esclaves doivent descendre dans la fosse pour recevoir le cadavre, et il se passe des scènes lugubres. Les uns n’opposent aucune résistance, d’autres doivent être liés par les mains et les pieds, puis assommés à coup de bâton » 1 . Cette pratique n’est pas le propre des Ding orientaux. Les Jésuites l’ont observé chez tous les peuples de leur territoire d’Ipamu : Badinga, Bangoli, Balori, Banzari, Babunda, etc.. Struyf donne un exemple de cette pratique chez les Babunda du village Ifwanzondo :

‘Ifwa-Nzondo, grand village de Babunda, a fait la guerre à l’État ; on y conservait, depuis trois ans le cadavre du grand chef, complètement desséché. On retardait l’enterrement, parce qu’on espérait que le « Bula-Matari » aurait quitté la région, et qu’on aurait eu alors l’occasion, loin de la surveillance de l’État, d’enterrer avec le vieux cadavre desséché, tout un lot d’esclaves vivants ! Mais ces Babunda ont été battus et ils se sont résignés à enterrer enfin leur chef ; avant de le mettre dans la fosse, ils y ont fait descendre trois grandes chèvres vivantes, au lieu d’esclaves, avec un tas d’arachides pour que le chef ne souffre pas trop de la faim dans le royaume des eaux où il est allé, et pour qu’il ne revienne pas au village. De temps en temps, ils iront encore verser du vin de palme sur la tombe, y déposer de la viande ou y tuer une poule, dont le sang sera absorbé par le cadavre » 2  ! ’

Le missionnaire jésuite ne nous dit pas pourquoi les Ding et leurs voisins enterrent vivants leurs esclaves. Il nous propose par contre une explication sur la façon dont une personne pouvait devenir esclave. Il part d’un exemple concret : celui d’une petite fille de 5 ans, réduite en esclavage parce qu’elle a volé des arachides dans un champ :

‘Originaire d’un village situé sur la rive droite de la Lié, la petite, âgée de 5 ans, était orpheline de père et de mère ; dans le village, elle n’avait plus qu’un frère pour la surveiller. Comme tout nègre, elle avait la manie du vol, et un jour, elle prit, dans le champ d’une vieille femme, quelques arachides. La mégère la surprit en flagrant délit, s’en empara et en fit une esclave, puisqu’elle ne voulait pas restituer les quelques touffes d’arachides volées. C’est ainsi la coutume, chez tous les Bantu, d’exiger 100 pour un !’ ‘[…] donc la vieille mudinga (Badinga est le pluriel, mu, sing, ba plur.) avait fait de l’enfant une esclave. Comme les gens du village pleuraient la mort d’une femme notable, ils se mirent à la recherche d’une esclave à enterrer vivante avec le cadavre. Ils la trouvèrent chez la vieille mégère 3  !’

Le jésuite conclut que toutes ces « mœurs barbares et cruelles » de Bantu sont un « souvenir héréditaire des anciennes coutumes sauvages » 4 datant parfois de l’époque du passage des Bantu d’Asie en Afrique, le long du Nil. Parmi ces coutumes anciennes qui subsistent encore se trouvent « les lois terribles édictées contre ceux qui détruisent le palmier à huile » 5 . Cette explication semble simplement fantaisiste. Faire venir les Bantu de l’Asie, n’a rien de sérieux aujourd’hui.

Mertens se pose, lui aussi, la question de savoir comment une personne pouvait devenir esclave. Il indique que la cause qui a le plus favorisé l’esclavage avant l’occupation effective de la région par l’état colonial est les razzia chez les peuples voisins. La vente par le clan d’un de ses membres indésirables est une autre cause de l’esclavage. Mis à part les cas d’enterrement que nous venons de décrire, Mertens affirme que chez les Ding l’esclavage est un esclavage domestique, doux : « Pas de distinction pratiquement entre eux et les hommes libres dans la propriété, dans la façon de s’habiller, de construire leur case, de travailler. Ils peuvent être polygames. Ils peuvent travailler eux-mêmes à payer la dot de leur fiancée. La grande différence avec les hommes libres, c’est que de tout son avoir l’esclave dispose autant que son maître le permet » 1 . Les réflexions de Mertens faites dans les années 30 ne donnent qu’une idée imparfaite de ce qu’était vraiment la réalité de l’esclavage pendant la période d’avant la colonisation. Avec toutes les mesures prises par la colonie depuis 1885, en 1930, l’esclavage s’était adouci quand il n’avait pas été carrément supprimé. Par crainte d’être dénoncé devant l’État, les maîtres d’esclaves ont souvent, par divers stratagèmes, rendu la condition de l’esclave un peu plus acceptable. Certains les ont intégrés dans leurs clans mais tout en prenant soin de limiter leurs droits et de marquer dans certains domaines le Rubicon qu’ils ne pouvaient pas franchir. D’autres encore les ont éliminés par des poisons ou des sortilèges quand leurs familles grandissaient rapidement au risque de supplanter celle du maître. On connaît aussi les cas d’esclaves qui, affranchis, se sont hissés en haut de la hiérarchie sociale et même politique, et qui, en certains endroits se sont vengés contre leurs anciens maîtres. Il est certain que, depuis l’époque coloniale, on n’ose rappeler à personne son ancienne condition servile au risque d’être traîné en justice.

Notes
5.

STRUYF, « Mœurs et coutumes », op. cit., p. 252.

1.

Idem, p. 252

2.

STRUYF, « Mœurs et coutumes », op.cit., p. 253-254.

3.

STRUYF, « Mœurs et coutumes », op.cit., p. 353

4.

Ibidem

5.

Ibidem

1.

MERTENS, Les Ba Dzing de la Kamtsha…, op.cit., p. 329.