7. 3. LES RITES FUNÉRAIRES

Pour les Jésuites d’Ipamu, les Ding sont aussi « sauvages » par leur façon d’enterrer les morts, qui n’est pas chrétienne. Pour démontrer cette affirmation, Struyf prend comme prétexte l’histoire d’une femme esclave qui est arrivée à la Mission avec son bébé, « une charmante petite fille » 2 . Cette femme était atteinte de grippe et d’une forte pneumonie. Elle succombe quelques jours après, ayant reçu, ainsi que son enfant, « la grâce du baptême » 3 . Pour montrer à ses catéchumènes que « les chrétiens ont aussi le respect de leurs morts et que leurs cérémonies sont plus belles que les danses sauvages, les cris et les pleurs » 1 , le Père décide de donner à cette pauvre femme « un enterrement magnifique, mais dans l’esprit de l’Église » 2 . Après les cérémonies à l’église, tout le personnel de la Mission se rend en procession au cimetière qui se trouve dans la grande forêt vierge : « On pria, puis on chanta le « Miserere » ; ce fut très impressionnant, surtout pour ces natures hier encore sauvages. Après la bénédiction de la fosse et les dernières prières, tout le monde se chargea de combler la force. Puis, de nouveau, en rangs, tout en priant, nous retournâmes à l’église.

Une petite croix, le signe de notre rédemption, a été placée sur les tombes » 3

Les païens ne font donc pas leurs enterrements comme les chrétiens. Struyf décrit ces cérémonies « païennes » d’enterrement dans leurs moindres détails comme pour montrer leur inanité. Mais avant de commencer cette description, il observe que« tout nègre bantu, pour qui la mort n’offre rien de terrible ni d’effrayant, tient à un bel enterrement ; c’est tout son espoir d’avoir, le jour de sa mort, des pleurs, du bruit, des danses se prolongeant jour et nuit, et des coups de fusil quand on a de la poudre » 4 . Ces scènes sauvages pour honorer leurs morts, les indigènes les commencent par la préparation du cadavre :

‘Les femmes ont pleuré et chanté leurs chants funèbres […]. On lave le cadavre, des hommes, si c’est un homme qui est mort, des femmes, si c’est une femme ; des chefs, si c’est un chef. Les cheveux sont coupés en dessous des oreilles, le reste est tressé et lié. [...] On lie le cadavre dans des pagnes indigènes et des nattes. Pendant toute cette opération, on pleure et on chante des cantilènes funèbres 5 .’

Ceux qui ont arrangé le cadavre sont récompensés. Ils reçoivent « neuf nzimba ». La deuxième étape du rite funéraire c’est la fabrication du cercueil en forêt et son transport au village :

‘Pendant qu’on lave le corps, des hommes du village et des villages voisins sont allés dans la forêt pour couper le grand arbre dont une partie sera ouverte, en forme de tambour, pour recevoir le cadavre. Quand ils ont creusé l’arbre, ils le transportent au village. C’est un poids fort lourd, aussi une vingtaine d’hommes y sont-ils attelés. En criant, en hurlant et chantant des chants funèbres, ils arrivent devant la hutte mortuaire, dont trois murs en paille ou en lattes ont été enlevés. Les porteurs du tronc d’arbre, après avoir tourné plusieurs fois sur eux-mêmes, le déposent auprès du cadavre. Chez les Bangoli, on leur donne en cadeau un ou deux de ces chiens indigènes roux, dont ils se font un plat de fête ; chez les Badinga, c’est une chèvre 6 .’

La troisième étape consiste à la mise en bière et à l’assèchement du cadavre :

‘Le tronc d’arbre est enduit de terre rouge et de terre blanche, avec des dessins très originaux. Le corps est déposé dans le cercueil qu’on referme et qui est alors placé sur des supports ; tout autour, les femmes entretiennent du feu durant neuf jours, afin que le corps se dessèche ; si le cadavre suinte, on recueille le liquide qui sera jeté dans un trou creusé dans la maison mortuaire 1 .’

La dernière étape, c’est le transport du cadavre au cimetière et sa mise en terre. Chez les Ding et les Ngwi, qui ont de très grandes forêts, les cimetières se trouvent parmi les arbres, non loin des sentiers.

Avant de creuser la fosse, on verse du vin de palme à l’endroit où doit reposer le cadavre, et quand elle est achevée, on court avertir le village. Alors « toute une troupe d’hommes s’emparent du cercueil, et on se rend dans la forêt » 2 . Mais avant de transporter le cercueil au cimetière, on fait un discours :

‘«  Vous voyez, nous allons vous transporter au cimetière, où sont les vieux, dans la forêt ; il faut y rester ; ne remontez pas au village, ne venez plus ici. Ne prenez pas tout le vin de palme pour vous, ne liez pas les palmiers de sorte qu’il n’en sorte plus de vin de palme pour nous. Et le gibier, dans la forêt, ne le prenez pas pour vous seul. Si Nziami (Dieu) vous a pris, il n’y a rien à faire ; il est maître de tout ; mais si quelqu’un d’autre a causé votre mort, venez le prendre et emmenez-le avec vous. Mais laissez-nous la paix » 3  !’

Au cimetière, on tue deux chèvres : l'une d'elles sera placée dans la fosse avant qu’on n’y fasse descendre les esclaves vivants.

Tous les objets qui ont appartenu au défunt, arc, flèche, couteaux, pots pour cuire sa nourriture, vieux pagne, etc., sont déposés au-dessus du cercueil, et on répète : « Vous voyez ; nous n’avons rien gardé pour nous, nous vous avons tout donné ; ne revenez plus au village ! » 4

On comble la fosse, puis on y verse du vin de palme, on prend un jeune arbre vert qu’on plante du côté de la tête.

Mertens étudie, lui aussi, la célébration de la mort chez les Ding. Il s’intéresse aux cérémonies funéraires d’un chef. Celles-ci commencent dès l’agonie lorsque le peuple vient s’installer sur la grande place autour de la case du chef. Dès que le chef meurt, « le silence d’il y a un moment fait place aux cris, à des contractions du visage et des muscles. Ces sont des rires sauvages, des danses d’un rythme farouche. Voix rauques d’hommes célébrant la gloire du défunt, ses chasses, sa générosité, sa vaillance dans la lutte contre l’éléphant dévastateur, son adresse, unique évidemment, à dresser des pièges. Chacun se laisse aller à son inspiration, chacun chante ; c’est le chant funèbre, son chant pour son chef. Mêlé à ces voix sourdes, les dominant par moments, on a les plaintes des femmes, cris stridents, sanglots où se cache une douleur qui semble sans espérance […] » 1

Le reste de la cérémonie est la même que celle décrite par Struyf : coupe d’une grume-cercueil en forêt, toilette mortuaire, séchage du cadavre, ornementation du cadavre, puis l’enterrement avec des esclaves vivants. Mertens analyse les pratiques qui se font après l’enterrement : la destruction de la maison du défunt chez les Ding de la Kamtsha (les Ding orientaux laissent la maison telle quelle), le temps de deuil, le veuvage et l’héritage.

Telle que décrite par les Jésuites, la mort apparaît comme un temps fort dans la vie sociale des Ding et de leurs voisins. Elle est célébrée avec faste. Mais ces missionnaires qui ne comprennent pas la portée de toutes ces cérémonies, les jugent dégradantes et indignes d’être pratiquées par les chrétiens.

Notes
2.

STRUYF, « Mœurs et coutumes… », op.cit., p. 254

3.

Ibidem

1.

Ibidem

2.

Ibidem

3.

STRUYF, « Mœurs et coutumes… », p. 371.

4.

STRUYF, « Mœurs et coutumes… », op.cit., p. 254.

5.

STRUYF, « Mœurs et coutumes… », op.cit., p. 254.

6.

Idem, p. 255

1.

Ibidem

2.

Ibidem.

3.

Ibidem

4.

STRUYF, « Mœurs et coutumes… », op.cit., p. 255.

1.

MERTENS, Les Ba Dzing..., op.cit., p.225.