7. 6. SORCELLERIE ET ORACLE DU POISON

La croyance à la sorcellerie et la pratique de l’oracle du poison ou d’autres types d’ordalies pour démasquer les sorciers étaient, pour les Jésuites, de grands freins à leur apostolat et au changement des mœurs qu’ils voulaient opérer chez les Ding orientaux. Ils reviennent à plusieurs reprises, dans leurs écrits, sur ces pratiques qu’ils estiment dangereuses et même ancrées dans la mentalité de leurs convertis. C’est pour dénoncer ces croyances, qu’ils les décrivent et présentent les « horreurs » qu’elles entraînent. Mais leur discours est très embrouillé. D’abord parce qu’ils n’établissent pas de limites claires entre les différents concepts qu’ils utilisent (sorcellerie, divination, fétichisme, magie, médecine, etc.) ; ensuite leurs préjugés à l’endroit des personnages qui opèrent dans ce domaine sont tels qu’ils ne leurs concèdent pas le moindre rôle positif.

C’est dans son article de 1923 que Struyf s’attaque pour la première fois à la sorcellerie et à l’oracle du poison. Il écrit : « les ordalies sont plus fréquentes chez les Bantus des forêts que chez ceux des savanes, surtout le poison d’épreuve qui provient partout du même arbre, mais qui porte des noms différents. » 3

Le poison d’épreuve ou « ipumu » est l’ordalie la plus fréquente. Il est employé pour « chercher le ndoki, le malfaiteur, le jeteur de sorts, celui qui cause le mal et produit la maladie et la mort » 1 .

Le Jésuite décrit alors longuement la procédure qui conduit à la dénonciation du sorcier :

‘Rechercher le ndoki se dit en kidinga loka, en kingoli, lo. Un homme est malade dans le village ; on doit rechercher le ndoki ; on prend nzimbu 9, neuf perles ou neuf cauris, qu’on met dans une toute petite calebasse remplie d’eau, et l’on va chercher le sorcier : pour tous les Badinga, celui-ci se trouve à Mbwa-Mbing sur la rive gauche de la Lié, et s’appelle Munima ; pour les Bangoli, il se trouve à Olanga, village de la rive gauche de la Lié, et s’appelle Mbanga lele. Ce sorcier prend la petite calebasse ; avec un sifflet et se met à appeler, à crier, à rechercher le ndoki. Après bien des simagrées, il indique tel individu de tel village, qui est venu, dit-il, tomber dans la calebasse. Les gens qui sont venus le consulter doivent retourner dans leur village ; quand l’individu indiqué se présentera, on le prendra, on l’enduira de blanc sur le front, à l’extrémité des yeux, sur la poitrine et les bras ; on menacera de lui donner le poison d’épreuve si le malade ne guérit pas. Ce poison est administré dans une clairière 2 .’

Struyf démontre par la suite que l’oracle du poison n’est pas la seule ordalie que les Ding utilisent. Ils usent aussi de l’Isu et de l’ipuri. Le Jésuite décrit d’abord l’Isu :

‘On prend des feuilles dont on se sert pour recouvrir le toit des huttes ; on va les placer à un carrefour en dehors du village ; on les remplit d’eau, on y mêle du vin de palme. On va dans la forêt à la recherche d’un arbre qui s’appelle nsièm, et dont on enlève l’écorce ; le bois lui-même est gratté et la substance blanche recueillie est mêlée aux feuilles. L’homme malade par l’influence du ndoki, doit venir se laver tout le corps avec le contenu ; s’il guérit, il doit aller payer une forte somme au ndoki, afin que celui-ci le laisse tranquille ; s’il ne guérit pas, on prend le ndoki et on le garde au village ; à la mort du malade, il veillera le cadavre ; puis il devra prendre le poison d’épreuve 3 .’

Ensuite, il se parle de l’ipuri : « on prend une fibre de palmier, on l’attache à un arbre ; on chauffe à blanc un couteau qu’on pose sur la fibre ; si celle-ci se casse, c’est qu’il y a un « ndoki » qu’il faut rechercher ; sinon, il n’y en a pas. » 4 .

Les descriptions de Struyf mélangent diverses sortes de rites; divination et ordalies sont confondues Or, ces deux procédés sont différents : le premier concerne la désignation du sorcier par le devin et le second consiste à l’établissement de la preuve de culpabilité d’un sorcier qui conteste la sentence du devin.

Mertens analyse spécialement les questions de sorcellerie, divination, fétichisme et ordalie dans un chapitre de sa monographie qu’il intitule « La magie » 5 . On trouve dans le journal des Sœurs de Saint François de sales, de Leuze 1 , de nombreux exemples où l’épreuve de poison a été appliquée. Ce thème sera aussi repris par les Sœurs de Sainte Marie de Namur 2 et par les Pères oblats de Marie Immaculée, notamment les Pères Jean Baptiste Adam 3 et Nizet 4 .

La lecture de tous ces documents montre que leurs auteurs écrivent avant tout pour dénoncer les superstitions, dire au public européen que le « paganisme » est loin d’être vaincu et qu’il faut se mobiliser pour parachever l’œuvre commencée.

Notes
3.

STRUYF, « Mœurs et coutumes », op. cit., p. 373.

1.

Ibidem

2.

STRUYF, « Mœurs et coutumes », op. cit., p. 373.

3.

Ibidem.

4.

Ibidem.

5.

MERTENS, Les Ba Dzing…, op. cit., p. 249-257.

1.

DSSFS, op. cit.

2.

MMI, 1939, p. 206-208.

3.

R.A.M.I., p. 69.

4.

M.M.I., janvier 1940, p. 4-5.