1. 1. 1. Les deux saisons sèches (Kiso et elanga moke)

Les Ding orientaux donnent le nom de « Kiso » à la grande saison sèche  qui va théoriquement du 15 mai au 15 août. Cette période semble avoir été une durée de référence pour l'organisation des activités sociales et le déroulement du temps historique. Ceci s'explique par deux raisons.

1° En premier lieu, sa courte durée rompt avec la monotonie de la longue saison de pluie. L'arrivée de la saison sèche donne le signal d'activités agricoles et sociales. Pour faire le champ, on commence par le sarclage des arbrisseaux, on abat les gros arbres et enfin, on procède au brûlage. Les plantations et les semis se font au début de la saison des pluies.

La saison sèche est aussi la période pendant laquelle les familles peuvent se constituer des réserves en viande et en poisson grâce aux grandes chasses, aux feux de brousse, aux grandes campagnes de pêche et à l'organisation des marchés. Ces réserves sont indispensables pour faire face aux aléas de longs jours pluvieux où toute activité économique en forêt devient difficile.

Contrairement aux populations de la savane qui redoutent la disette pendant la saison sèche, ici, On appréhende la saison des pluies.

D'abord pour les « gens du fleuve », avec la montée des eaux, période propice pour la reproduction des poissons, leur capture devient aléatoire. Or, comme nous le verrons plus loin, le poisson leur sert à la fois de nourriture et de marchandise pour obtenir des agriculteurs les compléments en protéines végétales (manioc, piments, vin de palme, courge, arachides, etc). C'est pendant la saison sèche que de tels échanges sont possibles parce que les poissons abondent. Les « gens du fleuve » redoutent donc particulièrement les incertitudes économiques de la saison des pluies.

Quant aux « terriens », ce n'est pas le manque de ressources alimentaires dans leur environnement naturel qu'ils redoutent, mais plutôt les difficultés d'y accéder les jours de grandes et longues pluies (mv'l mudib).

À l'inverse de l'économie domestique du fleuve, celle de la terre ferme consiste en un va et vient quasi-quotidien entre le village et la forêt. La forêt est un « supermarché » de l'approvisionnement en manioc, légumes, champignons, gibiers, poissons, insectes, etc. Si les Ding orientaux maîtrisent l'art de boucaner leurs gibiers et leurs poissons, ils ne savent pas, par contre, comment leur voisins Mbuun sèchent les champignons et surtout les légumes (feuilles de manioc ou oseille). La cikwangue telle que les Ding la préparent, demande à être renouvelée tous les trois à quatre jours. Il appartient à la femme de sortir presque tous les jours de sa case pour mener en forêt et à la rivière les opérations nécessaires à la production de la cikwangue. Alors deux ou trois jours de pluies ininterrompues peuvent constituer un désastre pour l'économie domestique et entraîner la faim. Ces inconvénients ne se produisent pas pendant la saison sèche.

2° En second lieu, les changements physiques liés à cette saison, souvent différents d'une année à l'autre, marquent les esprits et donnent aux gens la possibilité de comparer et de fixer les événements par rapport à telle ou telle autre saison sèche. Les « gens du fleuve » se souviendront, par exemple, de telle saison sèche où la décrue était tellement spectaculaire qu'on pouvait traverser le Kasaï à pied sec. Les « terriens » se rappelleront cette année où les chaleurs tropicales ont entraîné des incendies de forêts spectaculaires.

Certains signes annoncent la venue de la saison sèche : les habitants de la forêt font attention aux chants de certains oiseaux, au mûrissement des « nswir », ces fruits qui servaient d'appât pour la trappe de gros rats (rat de Gambie) de plus en plus nombreux pendant cette période, etc., et les riverains observent les timides retraits des eaux et surtout l'apparition des bancs de ces petits poissons gras que les Ding appellent « mimbagul ». Pendant la saison sèche, la nature se transforme : certains arbres perdent une partie de leurs feuilles ; les matinées sont souvent brumeuses ; le soleil pâlit et ses rayons deviennent de moins en moins accablants ; certains animaux domestiques (par exemple la chèvre) et sauvages (civette, singe, etc) sont plus gras; les pêches et les chasses deviennent plus fructueuses ; le vin de palme plus succulent, etc. Tous ces éléments obligent la collectivité à adapter son action afin de tirer profit, à moyen et long terme, de tous ces avantages.

Ainsi, par exemple, parce qu'il n' y a pas de pluie pour les troubler et qu'il est possible de disposer de suffisamment de nourriture carnée et du bon « malafu » (vin de palme), les rendez-vous, pour les fêtes en plein air (surtout les retraits de deuil) et les grandes palabres, sont souvent organisés pendant la saison sèche. Pour montrer l'importance de la saison sèche dans les régions de forêt où les pluies sont abondantes, J. Vansina écrit:

‘Les paysans redoutaient une courte saison sèche ou son absence, partout où sa durée normale était de trois mois ou moins. Dans ces régions, les pratiques magiques liées à la pluie avaient pour but de l'arrêter, alors que dans le Bas-Zaïre et Bas-Congo où la saison sèche est longue et où des sécheresses pouvaient advenir, la même magie visait à apporter la pluie 1 .’

Il nous semble, contrairement à ce que Ndaywel 1 écrit, que dans l'imaginaire des Ding orientaux, l'année commence non pas avec le début de la saison des pluies mais avec les premiers signes de la saison sèche. Ceux-ci inaugurent chaque cycle d’activités sociales. La saison sèche est tellement importante que, comme le témoignent plusieurs sources missionnaires, beaucoup de leurs néophytes désertaient la mission pendant cette période 2 . Un témoin interrogé à Ipamu affirme que lui-même s'enfuyait de la mission à l'approche de chaque saison sèche pour aller à la pèche et accompagner les adultes à la chasse 3 .

En janvier et février, se place la petite saison sèche qu'on appelle aujourd'hui « elenga moke » en lingala ou « nsugi mbagala » en Kikongo. L'absence des pluies pendant cette courte période permet de faire sécher les arachides. Les pêcheurs du Kasaï se livrent à une pêche ciblée, celle du poisson « ngolo ». Mais cette saison cède assez rapidement la place à la pluie.

Notes
1.

VANSINA, Sur les sentiers du passée..., p. 45.

1.

NDAYWEL, Organisation sociale..., op. cit., p. 33.

2.

Ces témoignages sont nombreux dans le journal des missionnaires de Pangu, dans les rapports de Sœurs de Sainte Marie de Namur et dans le diaire des Sœurs de Saint François de Sales de Leuze. Les autochtones d’Ipamu rapportent aussi les mêmes choses.

3.

Paul MUKWADUNG, Ipamu, le 04/09/ 2003.