1. 2. 2. La forêt dense humide subéquatoriale

Suivant la typologie esquissée par Vansina, la forêt du pays des Ding orientaux entre dans la catégorie des forêts « denses humides subéquatoriales » 2 . Cette forêt subéquatoriale humide que les Ding orientaux appellent « mpeng'n », quand elle est encore vierge, et « mpang » quand elle a été dégradée par l'action humaine, reste leur milieu naturel. C'est ici que s'est forgée leur culture, telle qu'elle sera décrite par l'ethnographie du 19e et du 20ème siècle. Qu'elle soit le long du Kasaï, de la Loange, de la Lubwe ou de la Pio-Pio, la forêt qui couvre le territoire des Ding orientaux se caractérise par son aspect toujours verdoyant, avec des arbres géants enroulés de lianes et une faune abondante et variée. Il s'agit, en fait, d’une tête de pont de la forêt subéquatoriale de la rive droite du Kasaï 1 . Cette forêt, du moins sa partie la plus dense située entre Mangaï et Dibaya-Lubwe, sur la rive gauche, n'a pas manqué de laisser d'inoubliables souvenirs aux témoins européens qui ont abordé la région : Andreae, F. Van der Linden, Delaere, etc 2 .

Sous ces frondaisons décrites par les observateurs, le botaniste ne trouvait aucune monotonie, mais au contraire une variation infinie. Les forêts du pays des Ding orientaux avant qu'elles ne soient dégradées par l'exploitation coloniale et postcoloniale, comme d'ailleurs la plupart des forêts tropicales, abritaient une flore si diverse qu'il était souvent difficile de trouver plusieurs arbres d'une même espèce par hectare. Des centaines d'espèces partageaient le même habitat local et chaque habitat restait influencé par la température, la pluviosité, le vent, l'exposition au soleil, le type et la déclivité du sol particuliers à l'endroit. Il n'y a pas deux emplacements identiques, d'où l'existence d'une foule de micro-biotopes, tous s'efforçant d’atteindre différents climax biologiques. Un simple bois varie de la crête de la colline à son pied. Il diffère sur la ligne de crête, sur la pente, près du ruisselet à la base, et forme une catène ou chaîne de transitions, entre son aspect sur le faîte et son aspect près de l'eau 3 .

On peut encore aujourd'hui observer toutes ses variétés en comparant, par exemple, l'aspect de la forêt dans la région de Nkienkung où on trouve des vallées profondes et des collines élevées, avec la forêt de la région plane d'Ipamu ou celle de la région marécageuse le long de la Lubwe.

Ce qu’il importe de retenir ici, c'est la façon dont les Ding ont su s'approprier toutes les nuances proposées par cette foule de micro-biotopes. Ils ont trouvé dans leur langue des mots pour désigner toutes ces espèces arboricoles, de la plus petite à la plus grande. Ils ont aussi su tirer profit de certaines d'entre elles pour se nourrir, se soigner, se loger et fabriquer leurs outils de travail. Ils ont ainsi dompté l'espace forestier.

Dans ces forêts, la distribution de la faune dépend aussi de biotopes. Ainsi, par exemple, sur une seule catène on trouve des cochons sauvages (P hacochoerus) et des antilopes chevrotains (T ragulus pygmaeus) en bas, des petites antilopes céphalophes (Cephalophinae) sur les pentes, de plus grandes antilopes comme le bongo (B oocercus) près des crêtes. Les singes se distribuent par étage de frondaison et par fréquence des espèces d'arbres dont ils mangent les fruits, donc aussi suivant la catène. Il en va de même pour toutes les espèces animales, depuis sa majesté l'éléphant et le roi léopard jusqu'à la petite musaraigne et la fourmi naine spécialisée 1 .

Les Ding orientaux ont été parfaitement conscients de cette diversité, aussi ont-ils adapté leurs techniques et leurs approches de la chasse à ces différentes situations. Ils ont aussi nommé ces différentes espèces, ils ont imaginé comment socialement les partager et même les consommer, une fois qu'elles ont été capturées.

Cette faune et cette flore ont, non seulement influencé les habitudes alimentaires, les pratiques médicinales et le rythme de la vie quotidienne mais aussi, comme nous le verrons plus loin, elles ont façonné l'ordre politique, social et culturel de Ding orientaux.

Notes
2.

VANSINA, Sur les sentiers…, op. cit., voir carte, p. 52-53.

1.

Nicolaï, Le Kwilu…, op.cit., p.33

2.

Ces auteurs ont déjà été cités dans les deux premières parties.

3.

Cf. VANSINA, Sur les sentiers du passé..., p.47.

1.

VANSINA, Sur les sentiers..., op.cit., p. 49.