2. LES DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES

2. 1. PEUPLEMENT

L’histoire du peuplement du Bas-Kwilu et de la région habitée par les Ding orientaux a été longtemps mentionnée selon les données fournies par les missionnaires Jésuites, notamment Struyf et Mertens pour les Ding, De Decker pour les Mbuun, Van Naemen et Swartenbroeckx pour les Yans. Ces études, fondées sur les traditions orales collectées dans les années 1920 par ces missionnaires lors de leurs pérégrinations apostoliques dans ces contrées ; depuis quelques décennies, elles sont contestées en raison de l’utilisation de nouvelles sources apportées par les recherches linguistiques, archéologiques et linguistiques. L’article de J. Vansina intitulé « Probing the past of the Lower Kwilu peoples (Zaïre) » 1 et publié, il y a une trentaine d’années, reste, pour le moment, la synthèse la plus actuelle de l’histoire de cette région pauvre en matière de recherche historique. L’étude de Vansina s’appuie fortement sur les données linguistiques qu’il confronte aux descriptions ethnographiques dans l'attente de l'apport de nouveaux éléments par l’archéologie. J. Vansina critique aussi l’utilisation simpliste de la tradition orale comme l'ont fait les Jésuites.

Il démonte, les uns après les autres, les lieux communs jusque-là admis par les historiens. Ils postulent l’idée qu’avant l’arrivée des actuels Bantu, la région du Bas-Kwilu n’avait pas connu, à part peut-être les pygmées, d’autres habitants. L’archéologie, bien qu’encore balbutiante, dément cette affirmation. Les éléments de l’âge de la pierre trouvés dans la région du Kasaï-Mfini et dans le lointain sud de l’Angola constituent des preuves de l’existence des populations antérieures.

Au sud du Moyen-Kwilu d’autres sites ont été trouvés, ce qui permet de supposer qu’il y a eu une occupation humaine de cette région depuis l’âge de la pierre ancienne jusqu’à l’âge du fer. La conception selon laquelle toutes ces populations du Bas-Kwilu proviendraient du Gabon ou du Congo Brazzaville, après être passées sur le plateau de Bateke ne se justifie pas au vu des arguments apportés par l’archéologie et évoqués plus haut.

Enfin, l’idée d’une influence soudanaise sur les langues de la région, qualifiées autrefois de « semi-bantu », est fausse également car elle suppose qu’il n’y aurait eu qu’une seule migration massive des populations parlant les langues bantu. Il y aurait certainement eu plusieurs vagues successives de migrants, locuteurs de plusieurs variantes bantu 1 .

Vansina s’oppose à l’étude de De Decker qui prétend reconstituer l’itinéraire migratoire détaillé des Mbuun. Les affirmations du jésuite sont sujet à caution car elles se fondent sur une toponymie hasardeuse et qu'elles établissent une sorte de « concordance » invérifiable entre les étymologies locales et les noms d’un lointain espace géographique ; leur homonymie en est la seule cause.

Les arguments de Swartenbroeckx faisant état d’une origine soudanaise de Yans sont aussi fallacieux que ceux de De Decker parce qu'ils sont fondés sur un parallélisme trop recherché entre des données ethnographiques issues de deux aires culturelles géographiquement éloignées.

Vansina esquisse enfin un schéma de peuplement du Bas-Kwilu. Il précise d’abord que les peuples qui l’intéressent dans son étude sont les Yans (Yansi, Yey), les Nsuo ou Mput, les Ding, les Mbuun, les Lwer, les Nzadi, les Tsong et les Mpiin. Ces populations vivent globalement dans un territoire borné au Nord par le Bas-Kasaï, à l’Ouest par le Kwango et la Wamba, à l’Est par la Loange et au Sud par une séparation irrégulière entre les groupe de Pende, Kwese, Mbala, Ngongo, Hungana et même Suku et Yaka. Ces populations présentent des similitudes linguistiques ainsi qu’une unité culturelle 2 . Le peuplement de l’espace qu’elles occupent actuellement se serait fait de la manière suivante :

1° Des populations, dont l’origine et l’identité restent encore à déterminer occupaient cette région depuis l’âge de la pierre. Devons-nous les assimiler aux Pygmées désignés « Batwa » par les traditions actuelles ou y avait-il d’autres peuples qui vivaient au même moment que ces « Batwa » 3  ?

2° À une date inconnue, il y a peut-être deux millénaires, les locuteurs Bantu entrent dans la région et ils imposent un « type de parler » du groupe linguistique B. Ils introduisent probablement, aussi, une culture commune qui devait, ultérieurement, être influencée par les apports du peuple ou des peuples qu’ils auraient rencontrés sur place. Ces locuteurs bantu du groupe B mettent en place un système politique qui se repose sur le village clanique installé au milieu d’un domaine foncier. Le chef du clan établit une relation avec la terre dont il devient « prêtre et sacrificateur » ; cette relation pourrait avoir été extériorisée par le port d’un bracelet de fer ou de celui d’un anneau à la cheville. Les premiers clans installés admettent d’autres immigrants. Certains, par le jeu des alliances sont acceptés dans un même village, d’autres s’établissent dans un domaine déjà habité en payant tribut au premier occupant.

3° À une autre époque, aussi difficile à déterminer, l’aristocratie des Mongo du Sud (groupe linguistique C) influence la région. Elle perfectionne le système politique en place et apporte comme innovation la création des capitales désignées par les termes bosenge, mosenge, musiang, mushie, etc.

4° Les Mbuun vivant dans un environnement différent (la savane) commencent à construire des villages plus grands et à modifier, leur politique de base. Ils se différencient petit à petit des Yans et des Ding. C’est peut-être aussi à cette même période qu’il faut situer l’arrivée des premiers Ngwi (groupe linguistique C)?

5° Avant le 17ème siècle, les chefs Teke font irruption chez les Yans ; les dernières dynasties Ngwi s’installent aussi dans la région ; en premier lieu, ils occupent le bassin inférieur de la Pio-Pio, puis ils poussent une partie des Ding vers l’Est (Ding orientaux).

6° Au cours du 17e siècle, les Pende arrivent au sud de la région et ils passent sous le contrôle des Lunda. Ils influencent les Mbuun du sud qui, eux-mêmes, font pression sur les Ding. Une partie des Ding orientaux quitte la vallée de la Lubwe (Mulasa) pour constituer l’aristocratie régnante de Kindwa chez les Ding de l’Ouest. C’est peut-être aussi durant cette période que Shyaam, venu de chez les Ding orientaux prend le pouvoir chez les Kuba 1 .

La synthèse de Vansina indique que les migrations et l’occupation des espaces sont des processus longs et échelonnés dans le temps. Les groupes ethniques actuels, tels qu'ils ont été inventoriés puis décrits par la littérature missionnaire et coloniale, résultent d’un mélange de plusieurs éléments claniques, professionnels, politiques et religieux. Ces éléments se sont structurés à une époque donnée autour d’un ethnonyme commun, d’une communauté linguistique, des institutions sociales et politiques plus ou moins partagées. Comme plusieurs auteurs l’ont souligné, les ethnies ne sont pas des entités inamovibles et figées. Elles se font et elles se défont au gré de l’histoire selon des déplacements de nouveaux groupes claniques ( ou villageois), l’émergence d’une nouvelle idéologie politique ou religieuse, l’extension d’un courant commercial ou l’imposition d’un nouvel idiome.

Notes
1.

VANSINA, « Probing the past… », op.cit., p. 332-364.

1.

VANSINA, « Probing the past… », op.cit., p. 336.

2.

Idem, p. 341

3.

Les traditions collectées dans la région et chez les Ding orientaux indiquent qu’il y a eu des populations et des cultures antérieures à celles que nous connaissons aujourd’hui. Les « vrais autochtones » de la région auraient été, d’après les traditions du clan régnant des Ding orientaux, d‘abord des « batwa », hommes de petite taille et chasseurs-cueilleurs ; ensuite il aurait eu un peuple des forgerons, les « Balel » qui aurait appris l’extraction des minerais aux nouveaux arrivants qui possédaient les techniques plus perfectionnées de la forge. Le long du Kasaï et de ses grands affluents vivaient des communautés des « gens d’eau » qui, par des échanges, vont progressivement se mêler aux nouveaux venus.

1.

VANSINA, « Probing the past… », op.cit., p. 358-364.