3. 1. 1. Perception de l’espace

Ainsi défini, chaque terroir est organisé non à partir des modèles de la cartographie occidentale, mais à partir d'une logique prenant en compte des lieux particuliers. Ces lieux sont des sièges de divers pouvoirs sur les génies, sur les eaux, sur les terres, sur les arbres et aussi sur les hommes, sur les animaux et sur les minéraux. Il y a aussi prise en compte des distinctions fonctionnelles qui permettent à chaque groupe d’exercer, selon son ordre d’arrivée et son activité, des attributs particuliers. Chaque fonction implique une maîtrise particulière de l’espace. Ainsi par exemple, le guérisseur possède une maîtrise particulière des herbes et des arbres médicamenteux tandis que le chasseur a un pouvoir sur les gibiers de chasse. La représentation de l’espace est donc « topocentrique » 1 et liée aux fonctions sociales de chaque groupe.

Ces fonctions, et les activités productives sont complémentaires les unes des autres 2 . Par exemple, l’agriculteur a besoin de la houe, de la machette ou de la hache du forgeron ; et le forgeron a, lui aussi, besoin du manioc ou des ignames de l’agriculteur ; mais tous deux recourent à la protection des chefs politiques, ils sollicitent les sacrifices des prêtres de la terre et les interventions de mages, de voyants ou de guérisseurs. L’agriculteur, le pêcheur, le chasseur ou le forgeron ne peuvent pas travailler en vase clos. Leurs activités dépendent de celles des autres membres de la communauté.

Aussi, à la complémentarité des fonctions correspond celle des usages de l’espace et de sa répartition : fonctions et espace sont ainsi multiples, spécialisés et interdépendants.

Les espaces terrestres et aquatiques sont eux-mêmes repartis suivant leurs usages spécifiques. Ainsi, par exemple, les terres agricoles se distinguent des terrains de cueillette, de chasse, de réserves animalières, de prélèvements des espèces de la pharmacopée, des lieux d'exploitation de l’argile pour la poterie ou des zones de refuge, etc. Les eaux sont, elles aussi, divisées en sources d’eau potable, en étangs pour rouir le manioc, en rivières ou étangs de pêche, en sources destinées aux ablutions rituelles, etc. Chacune de ces portions de l’espace porte un nom propre et ses limites sont connues des tous. Chaque partie du terroir est souvent placée sous la protection d’un génie tutélaire. Le propriétaire y joue le rôle de prêtre et de sacrificateur. Aussi l'exploitation d'un domaine quelconque, requiert-elle obligatoirement la permission du maître des lieux, sinon les malheurs peuvent s'en suivre. Ainsi pour couper un gros arbre pour la fabrication d'un grume-cercueil, le maître du domaine égorge un poulet sous l'arbre choisi en prononçant une incantation (Laswan). Il en est de même pour le feu de brousse, la chasse, la pèche, etc. Ainsi, chaque portion de terre, chaque partie d’un cours d'eau, appartiennent-elles à un groupe social donné. Il n'existe pas de terrains vagues ou des « terres vacantes » comme le pensaient les colons et les missionnaires.

Mais comment les terres des Ding orientaux sont-elles réparties entre les différents groupes sociaux ?

Notes
1.

Lire LE BRIS, E. & alii, L’appropriation de la terre en Afrique noire. Manuel d’analyse, de décision et de gestion foncière, Karthala, Paris, 1991, p.15

2.

Idem, p. 15-16.