3. 2. 2. La pêche

La pêche est pour les « gens du fleuve » (Banzadi) ce qu'est la chasse pour les « terriens ». Elle mobilise aussi bien les hommes que les femmes et parfois les enfants. Les témoins du 19e siècle attestent de l’existence d’une pêche commerciale dans le territoire des Ding orientaux 2 .

Les prises y auraient été abondantes et variées 1 . probablement à cause de l'étendue du domaine de pêche contrôlé par les Nzadi. Ce domaine allait de la région de Bundu (entre Mangaï et Lubwe) jusqu’à une frontière inconnue en amont. Jusqu’où les Nzadi ont–ils été en amont de la Sankuru, du Kasaï et de la Lulwa ?

Nos connaissances actuelles nous permettent de dire qu'il y avait des villages à proximité d'Ilebo ; Wissmann affirme avoir eu des pécheurs Nzadi au sein de son équipage de 150 membres lors de la première descente de son expédition en 1885 2 .

Quels sont les méthodes et les moyens utilisés par les pêcheurs Nzadi pour réussir dans leur entreprise ?

La pirogue (war) était l'outil principal du pêcheur du Kasaï et de ses grands affluents. Nous ne savons que très peu de choses sur l'origine de la pirogue; mais il est cependant certain que les Ding et les Nzadi fabriquent eux-mêmes leurs pirogues. Nous pensons que certains villages, le long du Kasaï, de la Pio-Pio, de la Lubwe ou de la Loange se sont spécialisés dans cette fabrication et qu'ils vendaient le produit de leur industrie aux pêcheurs et aux marchands 3 . Les pirogues sont de plusieurs dimensions selon leur usage ; ces dimensions semblent avoir évolué avec le développement du « grand commerce du fleuve » qui impliquait une plus grande spécialisation des produits comme l'ivoire, les chèvres, les calebasses de vin de palme, les poissons, la cikwangue, etc. Les premiers visiteurs européens reconnaissent que les Ding orientaux ( ou les Nzadi) sont des bons piroguiers. Chez les Nzadi de cette région, le maniement de la pirogue est l'apanage de tous : hommes, femmes et enfants. Aujourd'hui encore, ces gamins de dix ans et moins sont impressionnants à regarder manœuvrer, avec habilité, des pirogues parfois chargées.

Pour capturer les poissons, les Nzadi ont une panoplie d'instruments ; les uns sont exclusivement utilisés par les hommes ; d’autres le sont par les femmes ; d’autres encore par tous à la fois.

Les hommes opèrent avec les « ndiang » (nasses), « elang », « mungete », « empe », « kal-kal », « miswi »(sorte de harpon muni d'une pointe métallique), « nsar » (harpon muni de plusieurs pointes métalliques), « ekob » (lance), « m'bla », « koreman », « ela » ou « lukala ».

Les femmes se servent essentiellement de « nsa » (panier), de « munding », de « kindung » (petite nasse). Elles peuvent aussi, comme les hommes, traquer les poissons ou les autres bestioles d'eau au moyen de « ela » ou « lukala » ; il s'agit d'une longue natte déroulée pour encercler les poissons dans un périmètre donné. Les hommes et les femmes utilisent la machette ou parfois des bâtonnets pour tuer les poissons. La colonisation européenne a introduit des techniques modernes de pêche : les hameçons, diverses formes de filets faits avec les matières synthétiques, les poisons (usage des produits chimiques comme le D.D.T.), etc.

Les activités halieutiques des Nzadi dans le Kasaï ne concernent pas seulement la capture des poissons, mais aussi la chasse des animaux aquatiques comme l'hippopotame, le crocodile, le caïman, le varan d'eau, l'antilope de marais et divers oiseaux. Les femmes font aussi la cueillette de certains légumes ; elles assurent également la fabrication du sel à base de certaines plantes aquatiques. Ce sel est encore connu aujourd'hui sous le nom de « mukpa mu banzel »( le sel de Nzadi).

La chasse de l'hippopotame et du crocodile est une activité exclusivement masculine, car elle comporte beaucoup de risques. Seuls quelques initiés peuvent s'y hasarder avec leurs lances et leurs harpons.

Pour conserver les énormes quantités de poisson ou de viande qui doivent être livrées à la vente, les pêcheurs Nzadi ont amélioré leurs techniques de boucanage et de séchage. Ils savent, par exemple, doser le feu et la fumée en fonction de la qualité du poisson à conserver. Ils ont aussi développé une vannerie appropriée au transport des poissons sans les abîmer.

La grande pêche du Kasaï et de ses grands affluents, n’est pas la seule au pays des Ding orientaux. Les femmes se livrent régulièrement à la capture des poissons dans les ruisseaux et les rivières à proximité de leurs villages. Elles emploient plusieurs techniques : avec des paniers (nsaa), elles traquent les petits poissons et les crevettes sur les bordures du ruisseaux (oso nkoa) ou elles utilisent le poison (mbaa) dans une eau dormante. Les poissons morts empoisonnés, remontent à la surface où les femmes les ramassent. Une autre technique consiste à écoper l'eau d'une mare, du cours d'un ruisseau barré ou d'un étang, au moyen de paniers ; l'opération se dit « ugié ». Une fois l'eau disparue, les femmes tuent les poissons avec des bâtonnets et des machettes ou encore elles les capturent à main nue. Cette dernière technique exige une nombreuse main-d’œuvre ; c'est alors une pêche collective. Les fruits de cette pêche se répartit suivant des règles précises intégrant le droit de propriété, l'âge, le statut social et l'effort de chaque partenaire.

La pêche dans le Kasaï a joué un rôle semblable à celui de la chasse dans le domaine des innovations technologiques. Le défi du commerce et la multiplication des voyageurs ont incité le pêcheur à produire toujours plus de poissons et par conséquent à chercher à améliorer sans cesse son outil de production.

La pêche a eu aussi des incidences démographiques, politiques et sociales sur l'ensemble de la zone que nous étudions et dans le bassin du Congo comme l’indique De Deken : « On peut affirmer que le poisson est au Congo l'aliment qui fait vivre le plus grand nombre d'hommes. Les espèces les plus délicates y sont nombreuses, et toutes les rivières en fourmillent. Il n'est donc pas étonnant que les populations les plus denses se rencontrent sur les bords des fleuves, et que l'agriculture ne soit pour elle qu'un accessoire. D'autre part, les tribus de l'intérieur ne vivent pas uniquement du produit de leurs champs; elles en échangent une bonne partie contre le poisson boucané par les nègres pêcheurs » 1 .

Notes
2.

De DEKEN écrit :« À Nzonzadi, je dresse ma tente de voyage sous un hangar, tandis que la seule maisonnette existante est habitée par deux agents, MM. Cadenas et Piron : deux gentlemen avec qui l'on voudrait passé sa vie, si l'on avait affaire ailleurs.

Leur installation marche lentement, faute d'ouvriers au fait de constructions européennes. En revanche, les vivres sont d'un bon marché fabuleux. Une poule se paye deux perles; une chèvre, dix. De même pour le poisson. En conséquence, j'en achète une grande quantité, que je fait boucaner, en prévision du prix énorme que j'aurai, dans d'autre parages, à payer pour la nourriture de mes six gens ».

1.

DE DEKEN, Deux ans au Congo...p.165-166.

2.

Cf. supra, p. L'explorateur allemand les appelle « Badinga ».

3.

Nous avons repéré au confluent de la Lubwe et de la Lwandji un de ces villages dont le nom « Nkur War-War » évoque cette industrie de la taille des pirogues.

1.

DE DEKEN, Deux ans au Congo...p.162.