1. 4. 3. Les esclaves et les gages.

La condition servile demeure constitutive de l’ordre social ancien. Mais il convient d’examiner les formes de cette servitude pour comprendre qu’elle a dû connaître des évolutions au cours de son histoire. Il s’agit d’abord de faire une distinction entre le gage et l’esclave proprement dit.

- Le gage est celui que les Ding appelle « mwa ntwa ». Ce terme signifie aussi dette. Et « s’endetter » se traduit encore aujourd’hui par l’expression « ukya ntwa », c’est-à-dire « aller comme gage ». Le gage est une personne que son lignage ou son clan livre à un autre en guise de paiement d’une dette ou d’une réparation judiciaire, un homicide ou un vol par exemple. Il semble bien, dans le cas de poursuite judiciaire, c’est le criminel lui-même qui est livré en gage. Le Père Struyf décrit le sort d’une jeune fille qu’il qualifie d’esclave. Il s’agirait plutôt, de mon point de vue, d’une fille livrée comme gage :

 Il y a quelques mois, à 11 heures du soir, on vient m’éveiller. C’était le chef du village indigène d’Ipamu ; il venait demander de l’aide à la mission, pour aller délivrer à 2 heures d’ici, une petite fille qu’on devait enterrer vive le lendemain matin. Vers 4 heures, ils sont revenus portant une petite fille, qui ne soupçonnait pas ce qu’on allait faire d’elle. […] Voici ce qui était arrivé. Cette histoire est, du reste, celle d’un grand nombre de nègres. Originaire d’un village situé sur la rive droite de la Lié, la petite, âgée de 5 ans, était orpheline de père et de mère ; dans le village, elle n’avait plus qu’un frère pour la surveiller. Comme tout nègre, elle avait la manie du vol, et un jour, elle prit, dans un champ d’une vieille femme, quelques touffes d’arachides. La mégère la surprit en flagrant délit, s’en empara et en fit une esclave, puisqu’elle ne voulait pas restituer les quelques touffes d’arachides volées. C’est ainsi la coutume, chez les Bantu, d’exiger 100 pour un ! 1

Le récit du Père Struyf appelle à discussion, surtout la partie concernant la raison de la réduction de la jeune fille en esclavage. Il me semble que le vol de quelques arachides n'est pas le principal motif de sa condamnation. Aurait-elle, peut-être, été récidiviste en matière de vol ? Mais ce qui est intéressant, c’est de savoir que la réduction en gage était retenue contre un crime de droit commun comme le vol et plus encore le meurtre.

Le gage vit presque comme un esclave, mais il garde l’espoir de s’affranchir si son lignage vient à payer sa dette auprès du créancier ou si sa faute est réparée. Le gage est différent de l’esclave dans ce sens qu’il reconnaît ses origines claniques et les membres de sa famille parce qu’il est du village ou de l’ethnie. Il ne pouvait pas être enterré avec le maître qui l’a acquis. Il est en sursis attendant un probable affranchissement.

- L’esclave est, en théorie, l’homme qui n’a droit à rien et dont la vie dépend du bon plaisir du maître. Il est sans clan propre ; sans son maître, il serait seul contre les adversaires. En général, et contrairement aux gages, les esclaves viennent d’autres ethnies et au départ ne parlent pas la langue locale. On raconte qu’une fois acquis, l’esclave devait être envoûté par son maître de sorte qu’il ne puisse plus retrouver le chemin de son village d’origine et en conséquence oublier ses racines claniques.

Dans l’entendement de plusieurs peuples du Bas-Kasaï, il n’existe pas de différence entre étranger et esclave. Chez les Kuba par exemple le même mot « ngesh » désigne aussi bien l’esclave que l’étranger.

Chez les Ding orientaux, l’esclave est acquis soit par achat, soit par rapt, soit par naissance. L’achat d’esclave suppose non seulement le développement d’échanges commerciaux entre groupes ethniques différents, mais aussi la présence de moyens de paiements et d’une élite marchande spécialisée dans les transactions. Ceux qui possèdent des esclaves, sont supposés bénéficier d’une certaine richesse et d’un certain prestige social.

Jusque vers les 1930, les témoignages missionnaires parlent encore d’esclavage. L’État n’avait pas vaincu le système. Voici ce qu’écrit Struyf en 1923 : « Chez toutes les peuplades de notre nouvelle mission, Bangoli, Badinga, Balori, Banzari, etc., on rencontre des mœurs vraiment barbares. Enterrement des personnes vivantes. C’est l’habitude d’enterrer, encore vivants, plusieurs esclaves, à la mort d’un chef ou d’un notable de village, homme ou femme. Ces esclaves doivent descendre dans la fosse pour recevoir le cadavre, et il se passe alors des scènes lugubres » 1 .

Notes
1.

STRUYF, « Mœurs et coutumes... », op.cit., p. 253.

1.

STRUYF, « Mœurs et coutumes », op.cit., p 252.