2. 2. 2. Chefferie de terre (umen)

Nous ne sommes pas certain de pouvoir assimiler la structure de pouvoir que les Ding orientaux désignent par le terme « umen » à ce que Vansina appelle le district, c’est-à-dire un groupe de villages voisins qui comptent de plus en plus les uns sur les autres pour la défense collective, le commerce et les échanges matrimoniaux 2 . Certes de telles unités territoriales existent chez les Ding au 19e siècle ; encore aujourd’hui, nous retrouvons des traces, par exemple, dans la répartition spatiale des villages. Toutefois, elles ne représentent pas une subdivision politique, car elles n'ont ni chef ni chef-lieu. Le « umen » - dont le chef porte le titre de « mumen » - est une structure de pouvoir intimement lié à la gestion du domaine foncier de chasse. Au premier abord, le « mumen » apparaît comme un personnage chargé par le grand chef, « Munken », ou la « chef-femme », « Nkumukor », pour percevoir à leurs noms les tributs nobles « miloom » sur une portion de terre qu’il surveille. Le « mumen » se présente comme un « nsey » (surveillant) d’un domaine de chasse 1 . Le domaine de chasse qu’il surveille peut englober soit les domaines fonciers de plusieurs villages, soit celui d’un seul village, soit une portion du domaine d’un village. Il y a, comme nous l’expliciterons plus loin 2 , une hiérarchie entre les « bamen » (plur. de mumen). Le pouvoir de « mumen » est bien distinct de celui du chef du village, bien qu’exceptionnellement ces deux rôles se confondent à certains endroits. Le chef du village accompagne chez le « mumen », dépouille de tout animal noble tué par un quelconque habitant de son village. Le « mumen » est sollicité par le chef de village pour bénir la chasse dans la portion de terre qu’il contrôle. C'est à ce titre qu'il peut être considéré comme un « un chef de terre » ou plutôt comme « un prêtre de la terre » 3 . C’est comme « prêtre de la terre » qu’il possède une case nobiliaire renfermant des symboles sacrés (Bibiale) et le kaolin de bénédiction (mpiam). S’il n’existe pas de véritables relations hiérarchiques entre le chef du village et le « mumen », ce dernier entretient des rapports de pouvoir avec l’aristocratie régnante. Il organise, dans le village où il habite, « une cour qui est un format réduit de la cour de Munken » 4 .

L'organisation d'une cour par le Mumen obéit à une raison protocolaire. C’est le « mumen » qui reçoit Munken lorsque celui-ci visite son pays. La personne de Munken étant entourée de beaucoup d'interdits, le « mumen » qui doit le recevoir est au préalable initié aux secrets de la cour. Ceci explique, comme nous le verrons plus loin, que les titres prestigieux portés par les Bamen correspondant à certains titres de dignitaires de la cour de Munken.

La fonction politique la plus importante attribuée aux « bamen » est leur appartenance au conseil d'élection du successeur présumé de Munken, le Nsoamwi, et de la « Nkumukoor » ( femme-chef). Cette fonction faisait du « mumen » un grand dignitaire du royaume.

Disons, en dernière analyse, que chaque « mumen » est attaché à un domaine de chasse donné. C’est la portion du territoire sur laquelle il perçoit le tribut noble au nom de « Munken » ou de « Nkumukoor ». Nous avons aussi indiqué que les « bamen » étaient hiérarchisés en fonction de l’étendu du terroir que chacun contrôlait. Pour distinguer les différents niveaux de cette hiérarchie complexe, chaque « mumen » portait un titre prestigieux (position-name). Ces titres désignent le genre de pouvoir détenu par chacun de leur porteur et aussi leur rang politique ainsi que celui de leur clan dans l’ensemble de l’organisation politique de la société. L’étude de la distribution de ces titres dans l’espace sociétal révèle deux types de détenteurs :

- La première catégorie concerne les personnes qui portent l’un des titre prestigieux parce qu’un de leurs aïeux ou elles-mêmes ont entretenu ou entretiennent des relations de parenté avec le clan cheffal « Ntshum ». Les « Bamen » de ce groupe, nous les nommerons « Bamen-parents ».

- La deuxième est attribuée aux personnes héritant du titre prestigieux en raison de la situation politique historique de leur clan. Ici, le titre est considéré comme un privilège exclusif du clan. Son passage d’un clan à un autre signifie un changement de dynastie ou l’extinction d’un clan. Cernons ces deux notions.

Notes
2.

VANSINA, Sur les sentiers…, op.cit., 101-102.

1.

La tradition orale corrobore cette opinion générale. Ainsi, par exemple, pendant les migrations, Dupar, ancêtre de Ntor, en route pour Nsong, sa capitale, installa à Malung un Mumen. Celui-ci porta le titre de « Mulebaa », Informations reçues de KASAN

2.

Cf. infra.

3.

Le kikongo traduit bien cette réalité en désignant le « mumen » par les périphrases « mfumu ya ntoto » (chef de terre) ou « munkwa ntoto » (celui à qui appartient la terre) pour l’oppose au « mfumu ya bwala » (chef du village).

4.

NDAYWEL, Organisation sociale…, p. 193.