2. 2. 3. La principauté

Concernant les Ding orientaux, il serait erroné de concevoir, ce que nous désignons improprement ici par le mot de « nation » ou « principauté », comme un territoire géographiquement circonscrit avec des frontières bien définies. Nous n’avons, pour le moment, pas suffisamment de preuves pour confirmer ou infirmer que les Ding orientaux d’aujourd’hui avaient, avant la colonisation, la conscience d’appartenir à un territoire bien déterminé et différent de ceux de leurs voisins. S’ils se considéraient comme formant un seul peuple, c’est, avant tout, parce qu’ils avaient en partage une même langue dans laquelle ils pouvaient s’exprimer et se faire comprendre par un ensemble suffisamment vaste d’individus. En fait, nation et peuple se confondent ici avec l’espace linguistique.

Lorsque plusieurs villages et plusieurs clans parlent un même idiome, ils peuvent être considérés comme constituant un seul peuple, une seule nation. Cette communauté linguistique peut, ultérieurement, se doter des institutions politiques spécifiques qui viennent renforcer l’unité linguistique. Chez les Ding orientaux, l’unité politique se traduit par l’allégeance des clans, locuteurs de la langue ding 1 , au seul et unique clan « Ntshum » à qui ils acceptent de payer le tribut noble.

À examiner de près ce que nous avons détaillé au paragraphe précédent, la société des Ding orientaux est divisée en plusieurs clans et chaque clan possède son pouvoir (nkub). Ces pouvoirs, matérialisés par les titres prestigieux de leurs « actualisateurs », sont hiérarchisés. Dans cet agencement, le pouvoir du clan « Ntshum » (nkub bantshum) se trouve en première position. Il domine tous les autres et les soumet. Dans la réalité, cette domination signifie que le pouvoir du clan Ntshum s’impose sur plusieurs villages et sur plusieurs domaines de chasse. Comme il est au-dessus de tous les autres, nous pouvons, faute d’autres termes, qualifier ce pouvoir de royal.

Le « nkub bantshum » est, dans les faits, actualisé par trois titres prestigieux : Munken, Nsoa-mwi et Nkumukoor. Ce pouvoir, contrairement aux autres, est bisexué. Il est, selon la propre comme des Ding orientaux, mâle et femelle. La partie masculine est exercée par les hommes et actualisée par les porteurs des titres Munken et Nsoa-mwi. La partie féminine est l’apanage des femmes et celle qui l’actualise porte le titre de Nkumikoor. Un récit étiologique raconte l’origine de ce pouvoir, à la fois, masculin et féminin :

‘A l'origine, nous ne portions pas le "Kieng". Ce métal était entre les mains du clan Mbeo. Nous brûlions d'envie de posséder le "Kieng" afin d'être reconnus chefs. Dans notre périple pour venir ici, il s'est présenté une occasion d'arracher aux Bambeo leur pouvoir. Fatigués du voyage, les Bambeo et nous, avions tous faim. Nous avons bâti un camp. Le clan Mbeo gardait son anneau dans sa corbeille sacrée. Mais les Bantshwum n'avaient qu'un "Mundée" dans leur corbeille. Nous avons proposé au clan Mbeo d'aller chercher les feuilles de manioc afin d'en faire un repas. Nos corbeilles étaient restées au village. Ce n'était qu'un stratagème. Une des nos filles s'est dissimulée dans une case. Après le départ de tout le monde, elle est sortie de sa cachette, est entrée chez les Bambeo et a échangé notre Mundée contrre le Kieng. Après avoir tout remis en ordre, elle nous a suivis au champ de manioc. Au crépuscule, les Bambeo et les Bantshwum se sont retrouvés au village. Les tam-tams et les chants de joie se sont fait entendre chez les Bantshwum en signe d'allégresse, car ils venaient d'arracher le symbole du pouvoir. Chez les Bambeo, cependant, c'était la colère : le métal brillant avait disparu de leur corbeille et, à la place, ils ne trouvaient que le métal blanc, symbole de la vassalité. Il s'est ensuivi une grande dispute entre les deux clans. Lorsque le Bambeo nous accusaient d'avoir volé leur "Kieng", nous rétorquions : " Quand avons-nous volé votre Kieng ? N'étions-nous pas tous au champ de manioc? Notre "Kieng" nous vient de Dieu ". Les juges se sont rassemblés afin de trancher la palabre, mais ils n'y sont pas parvenus. C'est alors qu'on a recouru à une compétition. Nous devrions traverser une rivière concourament avec les Bambeo. Ceux qui atteindraient, les premiers, la rive opposée deviendraient des possesseurs du métal, objet de la dispute et de ce fait seraient chefs de tous les Bading. Au jour de l'épreuve, nous avons fait notre radeau avec l'arbre flottant "Musiang", tandis que les Bambeo ont fait le leur avec un "Mukub", arbre très lourd. Au signal du départ, les Bantshwum naviguaient joyeusement, tandis que les Bambeo tombaient dans l'eau chaque fois qu'ils voulaient tenter la traversée. Les Bantshwum avaient atteint sans difficultés la rive opposée de la rivière. Les cris de joie et des chants accompagnèrent cette victoire. L'événement est immortalisé par la devise des Bambeo : " Moi, Mbeo, poule à qui on construit un poulailler, je suis devenu Mukwum, oiseau voyageur, sans nid. Moi, Mbeo, j'ai construit une maison sans l'habiter ". Les Bambeo et les Bantshwum ont les mêmes interdits claniques 1 . ’

La royauté des femmes aurait donc été instituée pour récompenser la femme ayant volé le cuivre jaune (kieng).

Examinons ces deux parties du pouvoir du clan Ntshum.

Notes
1.

Il s’agit de la variante parlée aujourd’hui essentiellement dans le secteur de Kapia et qui se démarque de celles de Bulwem et de Mateko.

1.

NKAY, Histoire des Ding…, op. cit., p. 44-45.